.jpg)
Les églises se vident d’années en années dans la ville aux cent clochers. Certaines finiront en condos, tandis que d’autres se couvrent de poussières, offrant des bazars à bon prix. Mais les communautés religieuses ne sont pas mortes et certaines oeuvrent encore, parfois pour de grandes causes. C’est le cas des églises-sanctuaires qui protègent les réfugiés qui n’ont pas obtenu le droit de rester, mais qui sont menacés dans leur pays d’origine. Tout en livrant une bataille juridique sur un front, ces indésirables se terrent aux creux de ces lieux saints pour éviter d’être déportés de force. Une famille kurde vit présentement dans une église de Rougemont espérant faire bouger le gouvernement. Portrait d’une tradition qui a gagné beaucoup de batailles, malgré la baisse de l’influence religieuse au Québec.
Le concept de sanctuaire existe au moins depuis l’époque de l’antiquité, mais ce n’est que vers le début du 20e siècle que le mouvement religieux de protection des migrants s’intensifie. Élisabeth Garant, directrice générale de Foi et Justice explique : “par sa reconnaissance de la présence de Dieu en chaque être humain, la foi chrétienne invite à veiller au respect de la dignité et de la valeur de tout être humain.” Le droit d’asile offert par les églises a été respecté dans une myriade de pays autoritaires, voire totalitaires à travers le temps. C’est une tradition ancrée dans l’histoire qui ne possède cependant pas de légitimité juridique.
“C’est tout à fait dans l’esprit de la désobéissance civile. Convaincus qu’une règle imposée est une règle injuste, on considère qu’y déroger de façon non-violente est une forme de contestation légitime pour arriver à changer les choses.” Ils se dressent contre la loi et s’exposent à des poursuites.
Et si c’est illégal, pourquoi est-ce que la police ne vient pas tout simplement chercher les contrevenants? “C’est une espèce de respect symbolique qui agit comme frein.” Sans parler forcément de sacré, la spécialiste a l’impression que l’opinion populaire empêche les interventions directes dans les églises. La population entretient encore un grand respect pour les lieux, bien qu’une grande partie de celle-ci ne soit plus pratiquante.
L’histoire de Mohamed Cherfi en 2004 est le seul cas rapporté au Québec où les forces de police ont violé un sanctuaire. Ça s’est passé à Québec, et Élisabeth pense que les choses auraient été différentes à Montréal. “Les policiers de Québec étaient moins familiers avec cette question-là et n’ont pas eu les réflexes qu’aurait eu probablement la police montréalaise.” Après avoir été expulsé, Monsieur Cherfi a gagné son combat et a pu rentrer au pays cinq ans plus tard.
On cherche aussi à s’emparer d’un problème privé et à le transformer en débat public. La plupart des immigrants illégaux se cachent chez des amis ou des connaissances par peur de se faire déporter de force. Les groupes qui leur viennent en aide leur propose de s’installer dans les églises, parce que le lieu est beaucoup plus propice à la médiatisation de leur situation.
Techniquement, toutes les églises de toutes les confessions peuvent protéger un individu et lui offrir le droit d’asile et ce, peu importe son allégeance religieuse. La famille palestinienne musulmane Ayoub a ainsi bénéficié de l’aide d’une église catholique en 2005 et a obtenu gain de cause après 391 jours de confinement.
Mais tous les rejetés n’ont pas droit à la même protection et ce n’est pas qui veut bien qui peut être pris en charge. Il doivent passer par un groupe de défense oeuvrant pour le respect des droits humains ou un groupe religieux. Ces derniers sélectionnent les cas qui ont une chance de gagner ou de faire avancer la jurisprudence. Tant pis pour les cas perdus. “C’est très exigeant et si on n’a pas espoir que ce cas-là est suffisamment fort ou qu’on puisse le médiatiser, c’est souvent beaucoup de contraintes pour peu de choses.” Ils n’ont évidemment pas les ressources nécessaires pour s’occuper de tout le monde.
Les cas de sanctuaires sont de plus en plus rares, parce que l’espoir de faire bouger le gouvernement est de plus en plus mince depuis 2012, mais il en existe encore, comme c’est le cas avec la famille Turk. La tradition n’est pas sur le point de mourir et plusieurs veilleront à ce qu’elle perdure.