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Se mobiliser pour la Turquie, un manteau d’hiver à la fois
« Honnêtement, j’essaie de ne pas aller sur les réseaux sociaux. Ça me donne trop mal au cœur. »
Assis à une petite table ronde, thé fumant dans une main et cigarette pas encore entamée dans l’autre, Victor Bökö semble épuisé. Il faut dire que les derniers jours ont été particulièrement éreintants et stressants pour le propriétaire du Café Gitana, une institution du Quartier latin depuis plus de vingt ans. L’entrepreneur a été projeté dans l’horreur lundi matin, lorsque la Turquie, son pays d’origine, et la Syrie ont été les proies de violents séismes meurtriers. À ce jour, on recense plus de 15 000 victimes et le bilan ne cesse de s’alourdir d’heure en heure.
À l’instar de la communauté internationale, Montréal est en branle-bas de combat pour venir en aide aux communautés frappées par cette tragédie. Si on peut compter sur des organisations officielles comme le Centre communautaire turc de Montréal pour mener l’offensive, de petits joueurs comme Victor essaient aussi de faire leur part.
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Chaque pièce de vêtement compte
Comme beaucoup de monde, Victor a été mis au fait de la situation grâce à des alertes sur son cellulaire dimanche soir dernier. « On a commencé à éplucher les réseaux sociaux pour voir ce qui se passait et on ne croyait pas les images que l’on voyait. » Le tenancier a vite poussé un soupir de soulagement lorsqu’il s’est aperçu qu’il n’avait pas de parenté dans les régions touchées, soit au sud du pays.
« J’ai commencé à penser à tous mes amis là-bas et je me suis souvenu que j’en avais quelques-uns qui vivent dans ce coin-là. Je les ai textés, mais je n’ai pas eu de réponse encore… », explique Victor qui ne désespère cependant pas de les retrouver sain.e.s et sauf.ve.s.
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Les deux premiers jours ont été difficiles. « J’étais comme bloqué. Je ne savais pas quoi faire pour aider. Puis, j’ai vu que des membres de la communauté ont mis sur pied des initiatives pour venir en aide comme ils le pouvaient en ramassant des vêtements chauds afin de les envoyer là-bas. J’ai décidé de faire pareil en faisant un appel sur nos réseaux sociaux et en proposant mon aide auprès d’organismes. »
Avec des températures oscillant entre 5 et -5 degrés en moyenne et des milliers de gens soudainement sans un toit sous lequel s’abriter, les pièces de vêtements chauds sont donc très convoitées, explique Victor. Timidement, des donneurs et donneuses ont commencé à laisser des manteaux d’hiver devant la porte du Café Gitana au début de la semaine. Mais un passage à l’émission de radio Tout un matin sur ICI Première mercredi dernier a donné une bonne poussée dans le dos au projet de Victor.
« Mon téléphone n’a pas arrêté depuis. Des inconnus et des clients réguliers m’ont contacté pour venir porter du stock. J’en attends encore en ce moment », se réjouit l’entrepreneur en pointant une pile de sacs de poubelle remplis de manteaux, écharpes, polars, bottes et même un sac de couchage. Ces dons seront ensuite acheminés vers des points de chute officiels pour être transportés de l’autre côté de l’Atlantique.
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« Je ne m’attendais pas à une mobilisation aussi rapide des gens d’ici et de la communauté internationale, avoue Victor avec un petit sourire en coin. Ça fait chaud au cœur de voir que l’humanité n’est pas encore morte. »
Un pays à reconstruire
Né à Montréal de parents turcs, Victor rêvait depuis longtemps d’aller visiter son pays d’origine avant de booker un billet d’avion direction Istanbul à l’âge de 16 ans. « Je cherchais l’aventure et je voyais ça comme un challenge. Je parlais à peine le turc », se remémore le sympathique gaillard en riant. Au bout d’un parcours de sept ans ponctué de nouvelles rencontres et d’un diplôme en communication de l’Université de Ege, près d’Izmir, le jeune Victor est revenu à Montréal en 2016 pour prêter main-forte au bar-tabac de ses parents. Il a officiellement repris les rênes du commerce seul pendant la pandémie.
S’il avoue s’ennuyer en partie de son pays d’origine, Victor estime qu’il y a beaucoup de chantiers à mettre en place pour que les choses changent pour le mieux. « Disons que l’application des lois n’est pas toujours aussi rigoureuse que dans les pays occidentaux. Si on prend en exemple tout ce qui concerne les normes de construction, évidemment, il faut passer par plusieurs paliers d’approbation avant d’aller de l’avant avec un projet. Mais il existe de multiples façons de contourner les règles, comme diminuer la qualité des matériaux choisis par les contracteurs pour sauver de l’argent, par exemple. »
Des logements de faible qualité bâtis en hauteur et une zone géographique propice aux séismes expliqueraient qu’une telle catastrophe soit aussi meurtrière, selon Victor. « C’est triste à dire, mais on ne peut qu’espérer que cette tragédie soit un exemple pour améliorer les choses dans le futur. »
Pour l’heure, le commerçant souhaite continuer d’amasser des dons de vêtements et pense même envoyer le reste de son inventaire de hoodies, polars et autres accessoires chauds à l’effigie de son café vers la Turquie.
Quand on lui demande s’il a un message pour ses compatriotes turcs, l’entrepreneur prend le temps d’y penser entre deux gorgées de thé. « Courage. Ça va passer. »