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Se faire revirer de bord par texto : le meilleur du pire

Punchlines incisives, silences et mensonges : entrevue avec Audrey Gagnaire sur ces messages qui mettent le point final à une relation.

Par
Pauline Allione
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« Il fait froid quand je suis plus dans tes bras »; « Mets un pull ».

Sur son compte Instagram tejpartexto [en verlan, « tej » signifie « se faire jeter », donc une rupture, NDLR], Audrey Gagnaire partage depuis 2019 des échanges comme celui-ci. Des ruptures 2.0 les plus cocasses aux rejets impitoyables en passant par les excuses foirées, le « service après-vente des cœurs cabossés » tourne en dérision ces situations devenues terriblement banales, mais qui font toujours aussi mal. Une manière de prendre un peu de recul sur nos relations et de se souvenir que derrière les textos, il y a surtout des personnes.

Comment est né @tejpartexto?

Ce n’est plus très original aujourd’hui, mais j’ai été victime de ghosting un jour, et je n’ai pas compris que ça me torture autant, ni que ça torture mes copines à qui il arrivait la même chose.

«Le sujet des conversations numériques, avec les “vu”, les screenshots et les silences, revient énormément dans les discussions lorsqu’on a entre 18 et 35 ans.»

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Le sujet des conversations numériques, avec les « vu », les screenshots et les silences, revient énormément dans les discussions lorsqu’on a entre 18 et 35 ans, et j’ai réalisé qu’on passait énormément de temps à se questionner sur ces histoires de messages, entre les textos non ouverts, le ghosting et tout ce que les applications numériques et les réseaux sociaux nous donnent à voir. Ces questions habitent nos quotidiens, mais on ne pointait ni le problème du doigt, ni la souffrance que cela engendre. C’est cela que j’ai voulu mettre en lumière.

Le compte rassemble des centaines de ruptures 2.0, est-ce aussi une façon de se sentir moins seul.e face au rejet amoureux numérique?

L’idée était vraiment de montrer que ça arrive à tout le monde, sous des formes diverses et variées. Des excuses lunaires aux méchancetés gratuites en passant par l’absence d’explication après s’être fait jeté.e sans autre forme de procès, le compte a pour objectif de montrer tout le « panel » d’irrespect auquel on peut être confronté aujourd’hui.

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Une publication partagée par #TEJPARTEXTO (@tejpartexto)

Comment sélectionnes-tu les messages que tu publies?

Je fais régulièrement des sessions de lecture, dès que j’ai un petit moment. Le but reste d’être un peu humoristique, donc j’essaie de choisir les messages les plus originaux, ceux qui racontent des situations incongrues. Il y a très souvent les mêmes types de messages, les « c’est pas toi c’est moi » ou les excuses à la con qui n’ont plus rien d’original, mais j’essaie de publier les pépites et de tourner le message en dérision avec la légende, même si la plupart du temps le message se suffit à lui-même.

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Tu as vu passer des centaines voire des milliers de messages de ruptures, lesquels sont les pires selon toi ?

Ceux que je déplore le plus sont les moqueries. C’est souvent quand les personnes ne se sont jamais rencontrées qu’un jugement sur le physique est porté à partir de quelques photos. Ça n’a rien de constructif, c’est juste de la cruauté gratuite.

Existe-t-il une bonne façon de mettre un terme à une relation par message?

«Les applications et réseaux sociaux contribuent à dématérialiser l’être humain et nos relations en pâtissent.»

Avec un minimum de compassion, d’intelligence et de politesse. Je ne trouve pas que la rupture par texto soit déplorable quand c’est fait avec respect, que l’on considère la personne à qui on s’adresse et qu’on prend en compte qu’elle peut mal le vivre et a besoin de respect pour tourner la page. Le problème, c’est que tu as des gens qui se sentent pousser des ailes derrière leur téléphone et se camouflent derrière cette interface pour faire preuve de lâcheté ou d’impolitesse.

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Le projet t’a-t-il donné une autre perspective sur les ruptures 2.0?

Ça m’a confirmé que les gens passent à autre chose sans accorder vraiment de crédit à la personne avec qui ils ont vécu une histoire, et je trouve ça bien triste. On vit dans une société jetable et dès qu’un truc ne se passe pas très bien, on préfère la facilité d’un message ou du ghosting. Les applications et réseaux sociaux contribuent à dématérialiser l’être humain et nos relations en pâtissent.

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Depuis que tu as créé @tejpartexto, tes conversations sur les échanges numériques ont-elles évolué?

On en parle toujours de la même manière, mais désormais, j’ai cette étiquette de semi love coach. Mes amies m’envoient les captures d’écran de leurs conversations quand elles se font rejeter, et je ne sais pas comment, mais on me reconnaît souvent lorsque je suis sur les applications de rencontre à titre perso. Je suis un peu devenue le réceptacle des ruptures numériques dans mon cercle proche, mais les cordonniers sont toujours aussi mal chaussés et les comportements sur les réseaux sont loin de s’être améliorés.

Qu’est-ce que tu conseillerais à celles et ceux qui se font rejeter sur le numérique, pour gérer le texto de rupture ou la frustration du message qui n’arrive pas?

De lâcher son téléphone. C’est très bateau, mais je pense qu’on donne trop d’importance à l’objet par rapport à ce qu’il représente réellement. Quand on y pense, c’est juste un objet minuscule, mais sur lequel tout est basé désormais. Avec le stalking, un rejet peut prendre des proportions délirantes et même si tu as un terrain psychologique entre guillemets sain, les réseaux donnent accès à tellement de matière que l’on peut très vite sombrer dans la curiosité malsaine ou l’obsession. C’est devenu l’enfer de gérer une rupture, et il s’agit vraiment d’arriver à déconnecter de temps en temps pour vivre le moment présent et se remettre dans la réalité.

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Quel est le message qui t’a particulièrement marquée?

Celui que je cite souvent, c’est une fille qui écrit : « Tu m’as appelée? », le gars dit : « Oui je l’ai fait comme je t’ai séduite », elle lui demande ce que ça veut dire, et il répond : « Par erreur connasse ». La rupture est presque devenue un art.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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