.png)
Notre réaction aux déclarations anti-chatons du maire Stéphane Gendron et à l’omniprésence du sourire d’Ed Burkhardt lors de son passage à Lac-Mégantic révèlent un seul et même phénomène : notre dépendance aux relations publiques. Nous avons un besoin incommensurable de se faire dorer la pilule.
Je me suis mise à dos la presque totalité des professionels des relations publiques du Québec récemment en publiant un billet qui visait à expliquer le peu d’intérêt des journalistes pour Mélanie Joly qui, je ne sais pas si vous vous en souvenez, se présente comme candidate à la mairie de Montréal. Je regrette ce billet – qui pouvait sembler méprisant aux yeux de personnes dont le métier est justement de parler avec tact et diplomatie, ce qui n’est pas mon cas – chaque fois que j’ai une faveur à demander à un relationniste.
Mais surtout, ça m’a fait réfléchir à cette relation étrange qu’entretiennent depuis des années les journalistes et les relationnistes. Bien sûr, les relationnistes ne sont pas réellement ce que les journalistes détestent le plus au monde. It takes two to tango, comme on dit, et s’il existe une relation mutuelle, dans le monde, à part celle qu’entretient l’anémone de mer avec le poisson clown, c’est bien la relation relationniste/journaliste. Ils ont autant besoin de nous que nous avons besoin d’eux.
Mais force est d’admettre que les deux parlent un langage totalement différent. C’est ce que je me dis quand je lis un communiqué de presse qui ne laisse aucune place à l’intérêt et que je sais qu’à l’autre bout, on s’étonne de ne pas me voir recopier mot à mot le gribouillis. C’est ce que doivent se dire, de leur côté, les relationnistes lorsque je suis convaincue qu’ils sont à mon service.
Mais quand je parlais de notre dépendance aux relations publiques, je ne faisais pas simplement référence à nous, les journalistes, qui ne serions rien sans les aiguillages avisés de nos camarades des communications. Je pensais surtout au public. Car c’est bien d’eux, que les relationnistes sont les protecteurs. Ça paraît infantilisant, comme ça, mais l’affaire Ed Burkhardt nous le prouve : si on ne met pas un filtre devant la bouche (et le visage en entier), de certains pdg, le public est HORRIFIÉ.
La semaine dernière, pour plusieurs Québécois, c’est le diable en personne, qui s’est rendu au cœur de Lac-Mégantic, pour constater les dégâts qu’il a lui-même causés. Dans une bande dessinée, un phylactère aurait indiqué «gnac gnac gnac» au-dessus de la tête du vilain se frottant les mains. On comprend les Méganticois de l’avoir élu bouc émissaire officiel de la tragédie.
Mais comme le disait si bien André Pratte, la semaine dernière, on comprend plus difficilement la réaction des journalistes. « L’hostilité des médias à son endroit est plus difficile à comprendre, car ce qu’on reproche à l’homme d’affaires, c’est de ne pas avoir employé les trucs des firmes de relations publiques, trucs que dénoncent régulièrement les journalistes. D’ailleurs, le cas Burkhardt deviendra sans doute un des meilleurs arguments de vente des firmes en question», expliquait l’éditorialiste en chef de La Presse. On se plaint du manque d’honnêteté des dirigeants, mais la vérité – pas tout le monde a un cœur – est trop dure à avaler.
Arriver trop tard sur les lieux d’une tragédie, sourire malgré le drame, accuser à tort et à travers ceux qui obtiennent largement la faveur populaire, comme les pompiers et la mairesse, répondre n’importe quoi aux journalistes, ne pas préparer un point de presse en bonne et due forme, ne pas avoir l’air compatissant, autant d’erreurs qu’un simple appel chez National aurait pu éviter.
Est-ce à dire que feindre la compassion est si simple? Je l’ignore. Mais chose certaine, voilà ce qui se passe lorsque l’ignominie se présente sans fard. Ed Burkhardt, c’est la journée sans maquillage des communications corporatives.
Enrober le message de bons sentiments n’aurait rien changé à l’affaire. Ed Burkhardt ne se serait pas senti plus coupable et sa principale préoccupation aurait continué d’être la perte de profits engendrée par l’arrêt de sa liaison ferroviaire. L’enrobage aurait simplement rendu la chose plus acceptable pour le public. Est-ce que tous les dirigeants, d’entreprises ou de pays, sont aussi inhumains, mais juste mieux conseillés? Je ne crois pas. Mais d’ici à la mise sur pied d’une journée sans cassette, il sera difficile d’en avoir la certitude.
Quant à Stéphane Gendron, il avait un point : les chats errants sont un réel problème et il serait urgent que Québec mette sur pied un programme national de stérilisation. Un relationniste avisé aurait toutefois mis en garde le maire de Huntingdon contre l’utilisation des mots «chaton», «tuer» et «plaisir» dans une même phrase. Le même message, dit différemment.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!