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Ça sent l’été. C’est chaud, humide et un brin étouffant. Mais on va pas chialer, han? On a assez gelé, cet hiver… Tu as surement pris un verre sur une terrasse, fait un BBQ entre amis, ouvert une bouteille dans un parc. Le rosé se boit sans soif, j’suis sûre.
Les enfants crient sous la fenêtre de ma chambre. Je ne bois pas de rosé, mon BBQ est fermé et je sors même pas sur ma terrasse. Je suis de retour dans mon éternelle nuit du 3e jour. Y’a pas de musique qui me vient à l’esprit, cette fois-ci. Juste deux mots : « Liche-toé ».
Il y a quelques semaines, je t’ai parlé d’une de mes tantes. Tu te souviens? Elle s’appelait Pauline et elle était la benjamine de ma famille maternelle. Quand on traversait un malheur et qu’on savait pas comment faire pour le régler, Pauline disait tout l’temps ça : liche-toé. Ça peut paraitre bête de même, mais je te jure qu’à ses funérailles, chacune des personnes qui a pris la parole pour lui rendre hommage a cité cette phrase célèbre et toute l’assistance a ri, pleuré et acquiescé.
Au fond, ce qu’elle disait Pauline, c’est : roule-toi en p’tite boule comme un animal, lèche tes blessures et essaie de comprendre ce qui t’a mené là. Tu te relèveras.
Le problème c’est que je plie pas. De la taille au cou, ça plie pu. Je dors sur le dos depuis deux mois. Quand j’ai mal au cœur post-chimio, je peux pas me rouler en boule autour du bol de toilette frette en attendant que la pilule anti-vomi fasse son effet.
Ouin… Mais là, ma tante, le problème c’est que je plie pas. De la taille au cou, ça plie pu. Je dors sur le dos depuis deux mois. Quand j’ai mal au cœur post-chimio, je peux pas me rouler en boule autour du bol de toilette frette en attendant que la pilule anti-vomi fasse son effet. Chus raide comme une barre.
Une mastectomie bilatérale avec évidement axillaire, ça guérit pas du jour au lendemain. Pour t’imager la chose, visualise ta poitrine, tes avant-bras, tes aisselles et tes omoplates comme un bloc. Imagine que ton dentiste te gèle tout ça comme pour un traitement de canal de quatre heures. Tu sais, quand tu touches ta joue après l’intervention? Ben c’est ça. Mon bloc à moi, il est gelé de même. Depuis le 11 avril. Fait que je plie pu.
Ça va passer, je le sais. Ça prend du temps pis ça adonne que j’en ai tout plein, par les temps qui courent. Mais en attendant, la chimio est juste plus tough su’l body.
…
Avant la chimio, tu passes par la prise de sang. Faut que ton corps ait retrouvé une certaine vigueur pour recevoir une nouvelle dose de nettoyant à cellules.
Je veux manger ma volée. Je veux mal feeler. Parce que c’est juste comme ça que je peux avancer. Demain, je veux pouvoir me dire : y’en reste juste six! Mais c’est pas moi qui décide. C’est mon sang.
J’ai toujours eu confiance en mon corps. Il marche bien. Bon, j’ai eu le cancer, tu me diras. T’as raison, j’en ai même eu trois d’un coup. Mais avant ça, en 47 ans, j’avais jamais eu de problème à part une péritonite… Alors quand je me pointe à l’hôpital, la veille de ma chimio #2, je suis confiante.
Je veux manger ma volée. Je veux mal feeler. Parce que c’est juste comme ça que je peux avancer. Demain, je veux pouvoir me dire : y’en reste juste six! Mais c’est pas moi qui décide. C’est mon sang. En fait, je décide pu de grand-chose, je te dirais.
J’accepte. Je prends, j’apprends, pis je respire. En tout cas, j’essaie.
Je pourrais chialer, maudire, tempêter, gronder sourdement ou exploser comme un volcan. Je sens tout ça en moi, par moment. Mais comme la vie est ben faite, quand ça arrive, y’a une porte qui s’ouvre sur quelqu’un et mon cœur dévie de sa coulée de lave.
Ce matin-là, la porte s’ouvre sur Pedro. On est les deux seuls patients (dont une impatiente, moi) dans l’aile d’oncologie. Il est 7 h. Il passe en premier à la prise de sang, puis c’est mon tour. Un homme sans âge, droit, fier, bien vêtu, le cheveu et l’œil foncé. Il me fait penser à mon papa. Je vois dans son regard ce que j’aime par-dessus tout : un amusement. Une pointe de dérision heureuse. Dans cet univers (in) hospitalier, je les spot rapidement, ceux qui ont ça dans l’œil.
Le fatalisme ne fait pas partie de cet homme. J’aime ça. Je suis allergique aux victimes. Ça me prend de la colonne, de l’humour et de l’abnégation. Facile de même! Il avise mon afro comme un gentleman et on se présente. Il est médecin. Il vient de Rio de Janeiro, mais le Québec est son pays depuis longtemps. Ça a commencé par le poumon, il y a quelques années. C’est maintenant généralisé. Il vient à l’hôpital chaque jour que le Bon Dieu amène. C’est normal, il est docteur! De la répartie en plus.
Il ne s’en sortira pas vivant.
Mais avant de passer à la « médecine du ciel » comme il dit, il offre son corps à ses camarades. Ils essaient des « choses ». Ils testent des nouveaux traitements. « Si ça peut aider… »
Quand on se compare, on se console.
Et on fait de fichu de belles rencontres.
…
Après la pluie, le beau temps. Ou comme ici, inversement. Il fait froid, il vente, il pleut. Après la canicule post-chimio, je revis en cette journée grise.
J’ai finalement eu mon traitement avec trois jours de retard. Il manquait neuf plaquettes à mon sang. Ça m’a permis de retrouver mon chalet. Je n’y avais pas mis les pieds depuis la semaine de relâche, ce fameux samedi où mon cœur s’était emballé. Où ma vie et son sens ont virés bout pour bout.
J’ai braillé à grands sanglots en y mettant les pieds. Braillé cette vie qui ne sera plus jamais la même (et c’est tant mieux). Braillé aussi de voir tout l’amour dans ce lieu.
J’ai braillé à grands sanglots en y mettant les pieds. Braillé cette vie qui ne sera plus jamais la même (et c’est tant mieux). Braillé aussi de voir tout l’amour dans ce lieu. Une fée est passée pendant mon absence pour y mettre de la lumière en pot et redécorer ma chambre. Tsé quand on dit « bien entourée »?
J’ai mangé du steak trop cuit et des épinards, regardé des films et jasé avec ma voisine. Ça m’a fait du bien. J’ai dormi comme un bébé. Je me suis fait 30 plaquettes en 3 jours! Mon sang et moi, on avait juste besoin d’un peu de temps.
— —
Je me suis fait masser, ce matin. Et devine quoi? J’ai senti mon omoplate gauche! Mon bras gauche pétille depuis, signe que la circulation se fait tranquillement. J’ai retrouvé ma liberté : je conduis mon auto comme une grande! Mes bras lèvent à environ 90 degrés et mes cheveux sont disparus. Je ressemble à Howie Mandel, notre nouveau M. Just for Laugh.
Je verserai toujours dans l’humour.
Mais avec une p’tite twist.
Pas juste pour rire.
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