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Si le rap québécois connaît actuellement ses heures de gloire, certains voient le phénomène se profiler depuis plus d’une décennie. C’est le cas de Samuel Daigle-Garneau, rédacteur en chef et gestionnaire des médias sociaux pour HHQc.com. Un pied dans le rap, un autre dans le punk, le militant antifasciste travaille d’arrache-pied au développement de la nouvelle mouture de cette plateforme audacieuse pour donner une impulsion inédite au réseautage entre fans et artisans du hip-hop québécois. Portrait d’un fier autodidacte.
Un jeudi ensoleillé en fin d’après-midi, je rencontre Samuel Daigle-Garneau avec une grosse Boréale à la main. Samuel et moi, on se connaît depuis une dizaine d’années. En fait, depuis cette période pas si lointaine (mais de plus en plus archaïque) où, comme tout bon fan de hip-hop québécois, on devait taper Hiphopfranco.com. Pour se tenir au courant des dernières actualités de la scène et, surtout, pour donner notre point de vue à propos de tout et de rien sur le forum du site, repaire anarchique qui a graduellement perdu de son lustre avec le développement de Facebook. À ce moment-là, Samuel Daigle-Garneau était connu sous le nom de krleposer, sobriquet de forum dont les lettres « kr » désignent « keupon » (« punk » en verlan) et « rappeur ». Bref, « le punk qui s’intéresse au rap ».
« Je m’habille très skinhead punk depuis le début de l’adolescence, et c’est comme ça que je me suis fait reconnaître dans le milieu hip-hop. Au début, je me faisais regarder croche dans les shows, mais à un moment donné, le monde a commencé à venir me parler parce que j’étais différent. En fin de compte, ça m’a plus aidé que nui », observe-t-il.
« Ce sont deux mouvements qui viennent de la rue et qui sont nés à la fin des années 1970,deux milieux très anti-esthablishment aussi. C’était l’époque où l’on devait choisir une gang ou l’autre, mais moi, je préférais créer des ponts. »
Dès l’âge de 15 ans, le jeune Thérésien arpente d’est en ouest la Rive-Nord et la métropole afin de ne rien manquer des spectacles punk et hip-hop de sa grande région. Pour lui, les deux genres ont des affinités naturelles. « Ce sont deux mouvements qui viennent de la rue et qui sont nés à la fin des années 1970, deux milieux très anti-esthablishment aussi. C’était l’époque où l’on devait choisir une gang ou l’autre, mais moi, je préférais créer des ponts. »
Anticonformiste, Samuel décroche de l’école en secondaire 4, préférant suivre une voie encore inconnue plutôt que de se faire dire quoi faire. « J’étais un bum. L’école ne m’intéressait pas, je préférais lire beaucoup. C’est ça qui m’a aidé à devenir bon en français », révèle celui qui, à ce jour, n’a toujours pas terminé ses études secondaires. « Maintenant, quand des amis à l’université me demandent de corriger leurs travaux, je me dis que j’aurais clairement pu y aller, moi aussi, à l’école. »
L’APPEL DES MOTS
L’écriture l’attendait au prochain détour, celui de sa période active au sein du mouvement militant RASH (acronyme pour Red and Anarchist Skinhead). « C’est un rassemblement de skinheads antifascistes, et j’organisais beaucoup de shows pour eux. En marge de tout ça, j’ai commencé à écrire dans le fanzine Casse sociale. Je participais également à beaucoup de manifs. Je n’étais pas violent du tout, mais je n’avais pas peur de grand monde. »
En 2009, il obtient son premier emploi officiel dans le monde des médias lorsque Murphy Cooper (celui qui enflamme maintenant les réseaux sociaux à coup de stunts rocambolesques et de fausses identités) l’embauche pour gérer le blogue du populaire site Hiphopfranco.com. Jusqu’en 2012, Samuel est aussi chargé de la volumineuse section MP3 de la plateforme, ce qui consiste à approuver ou non les chansons que les rappeurs lui envoient. « Ça m’arrivait souvent de refuser les chansons trop homophobes ou sexistes. Je suis assez fier d’avoir fait ça et, surtout, de constater que maintenant le hip-hop a changé. Il y a beaucoup moins de sexisme dans les paroles, et on se rend compte que le milieu rap évolue aussi rapidement que les autres milieux. C’est certain qu’il y a encore des propos misogynes, mais je deal bien avec. Ce n’est pas parce que tu écoutes quelque chose que tu l’endosses forcément. »
« Oui, j’ai un manque de confiance en moi, mais surtout, je ne suis pas un licheux de cul. Les jobs dans les médias me sont toujours tombées dessus, et j’aime le fait que les gens viennent vers moi plutôt que le contraire. »
Le déclin du site au profit des réseaux sociaux et des plateformes d’écoute en continu le mène à changer d’emploi et à se concentrer sur le journalisme. Avec Camuz et 33mag.com, il se fait une place timide dans les médias indépendants de la métropole, mais refuse de pousser davantage sa carrière. Sans se l’avouer, il doute de son propre potentiel. « Oui, j’ai un manque de confiance en moi, mais surtout, je ne suis pas un licheux de cul. Les jobs dans les médias me sont toujours tombées dessus, et j’aime le fait que les gens viennent vers moi plutôt que le contraire. En quelque sorte, je montre qu’on peut tracer son chemin et gagner sa vie avec sa plume sans cogner aux portes. »
Prétentieux un peu, Samuel? « Oui, mais c’est une façade… Je me remets tout le temps en question sur plein d’affaires. Y’a tellement d’opportunités que j’ai refusées,car je ne croyais pas en moi. Avec du recul, j’aurais tellement été capable… » admet-il, sans pour autant cultiver de remords.
LE NOUVEAU RÉSEAU DU RAP QUÉBÉCOIS
Fin 2016, il saisit une occasion en or : celle de redonner vie à HHQc.com, rival absolu de son premier employeur. Créé au milieu des années 2000, ce site a connu son heure de gloire en même temps que Hiphopfranco.com, durant l’apogée des forums, mais peine alors à générer un intérêt considérable chez les fans de rap devant la domination des réseaux sociaux. Cofondateur du site, Carlos Munoz recrute Samuel à temps plein avec l’idée d’adapter sa plateforme aux nouvelles réalités du web et de revamper complètement son interface d’ici quelques mois.
Mais avant cette remise à neuf, Samuel a la tâche ardue de développer l’audience d’un site essentiellement constitué de MP3 datés et de vidéoclips que tous ont déjà vu passer sur leur fil Facebook quelques jours avant. Ingénieux, le blogueur fait appel à ses nombreux contacts pour mettre en place une foisonnante section de faits divers sur le hip-hop. À défaut de faire l’unanimité auprès d’une scène encore peu habituée à ce genre de couverture médiatique plus sensationnaliste, ils attirent un nombre considérable de clics. En témoignent certains des articles les plus populaires de l’histoire du site, tels que le retour du rappeur Lost en prison ou l’hospitalisation de S.P. due à une brûlure au troisième degré. « J’essaie d’avoir moins d’articles à potins qu’avant, mais le public a vraiment un intérêt pour ça. Ce qui est bien, c’est qu’une fois que ces gens sont sur le site, ils vont peut-être cliquer sur un autre article plus étoffé. »
« J’essaie d’avoir moins d’articles à potins qu’avant, mais le public a vraiment un intérêt pour ça. Ce qui est bien, c’est qu’une fois que ces gens sont sur le site, ils vont peut-être cliquer sur un autre article plus étoffé. »
Chose certaine, le blogueur n’a pas manqué de contenu dans les derniers mois. Plus en santé que jamais, la scène voit naître de nouveaux rappeurs et projets dignes de mention chaque semaine. Dans ce fouillis parfois chaotique, Samuel joue un rôle de défricheur essentiel qui, selon ses observations, trouve un écho favorable auprès du public et des médias plus généralistes. « Je pense avoir le pouvoir de populariser certains rappeurs, de leur apporter une certaine crédibilité, de les aider ou de leur nuire. Si j’utilise ma plume pour dire que tel nouveau MC doit être écouté, y’a un bassin de fans qui vont le faire. Je constate aussi que certains journalistes restent à l’affût de ce qui se passe sur HHQc.com, car ça reste une référence dans le domaine. Ils regardent beaucoup mon travail et, après, ils vont possiblement parler d’un artiste [que j’ai déjà couvert] », dit-il, déplorant au passage le manque d’intérêt de ces mêmes journalistes pour « la musique la plus écoutée par la jeunesse d’aujourd’hui ».
Neutralité journalistique oblige, le blogueur doit parfois mettre de l’eau dans son vin pour dresser un portrait juste du microcosme qu’il couvre. Le krleposer intraitable, irrévérencieux et un peu baveux que j’ai connu il y a dix ans sur les forum c’est maintenant bien loin. « C’est sûr que le Sam de 2009 trouverait que le Sam de 2018 est crissement soft… Mais, je n’ai pas vraiment le choix, car les rappeurs ont de la misère à se faire dire leurs quatre vérités. On ne peut jamais les critiquer et, si jamais j’ose le faire, ils ne voudront plus collaborer du tout avec le site. Sincèrement, si j’étais 100 % honnête, je finirais par me mettre tout le monde à dos. Juste l’an dernier, je me suis fait plaisir avec un top 5 des pires tracks de 2017 et j’ai eu beaucoup de retours de gens pas contents », révèle-t-il, à propos de cet article qui citait notamment des chansons de Dice B, Sans Pression et Sir Pathétik.
Il y a aussi la question de l’indépendance journalistique, à laquelle le journaliste est bien souvent confronté. Après tout, HHQc.com a les deux mêmes propriétaires que Joy Ride Records, nouvelle étiquette déjà bien en vue avec les signatures de Loud et Rymz. « Je ne travaille pas pour Joy Ride, mais c’est sûr que je n’ai pas le choix de promouvoir leurs artistes. Pas parce que mes patrons me le demandent, mais bien car ce sont des artistes incroyables. On ne m’impose rien », assure-t-il.
UN SITE AUX MULTIPLES OPTIONS
La nouvelle plateforme du site laisse entrevoir de nombreuses possibilités. Elle permet notamment à un artiste d’administrer une page personnalisée où se retrouvent ses derniers clips, ses plus récentes actualités, ses albums photo, son compte Instagram, ses prochains spectacles et ses liens vers les plateformes d’écoute en continu. « On a vraiment imaginé la plateforme comme un réseau social à travers lequel on mélange notre actualité éditoriale avec le contenu musical des artistes. Pour un fan, ça va être plus facile de venir consulter la page d’un rappeur sur notre site que d’aller se perdre dans un océan de feed Facebook. »
Avec 50 000 visiteurs uniques par mois, HHQc.com est de loin le site hip-hop québécois le plus populaire actuellement.
Avec 50 000 visiteurs uniques par mois, HHQc.com est de loin le site hip-hop québécois le plus populaire actuellement. Dans un futur proche, Samuel Daigle-Garneau aimerait doubler ce rendement. « Je veux aussi faire du contenu vidéo, car on a quand même 22 000 abonnés sur notre chaîne YouTube. Je vais me rajouter cette tâche-là, même si la charge est déjà pas mal lourde. En plus, je n’ai jamais vraiment de congé, contrairement à certains de mes collègues journalistes. S’il y a une nouvelle importante qui arrive le soir ou la fin de semaine, je n’ai pas trop le choix de me mettre à l’écrire. »
Mais en ce jeudi soir, rien ne semble presser pour Samuel. Les breuvages terminés, il me dévoile ses trucs infaillibles pour rentrer subtilement de la bière dans son sac à dos durant les festivals. Ensuite, il m’avoue conduire son vélo dans le sens inverse de la route parce que « l’impact d’une portière est vraiment moins fort quand tu arrives de face ».
Le genre de choses qu’on n’apprend pas à l’école.
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