Logo

Sami Zayn: le Québécois au sommet de la WWE

L’histoire orale du lutteur le plus « hot » de l'heure.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Soyez honnêtes avec vous-mêmes. À un moment de votre vie, vous avez lutté dans le salon de la maison familiale et sauté du coin du divan pour asséner une descente du coude à votre petit frère ou votre meilleur ami tout en vous imaginant devant une foule en délire en train d’administrer le coup de grâce à Steve Austin, Triple H, Mankind, John Cena ou peu importe le champion WWE de votre époque. C’est ce que s’apprête à faire le Lavallois d’origine syrienne Rami Sebei au Centre Bell, ce samedi.

Pour vrai de vrai, là.

Vous le connaissez (ou pas) sous le nom de Sami Zayn, le lutteur le plus hot présentement à la WWE. Pas le lutteur québécois le plus hot. Le lutteur le plus hot tout court. Le voici en train de « péter la gueule » au champion en titre Roman Reigns sur les ondes de Smackdown, il y a deux semaines à peine :

Publicité

Pour certain.e.s, la lutte est un vaudeville grotesque qui cible les pauvres d’esprits. C’est une manière de voir les choses. Personnellement, je vois ça comme une discipline singulière qui requiert des talents athlétiques, pugilistiques, théâtraux et improvisationnels. C’est aussi demandant que de boxer, faire de la gymnastique et du rap freestyle en même temps.

Ceci n’est pas une histoire de lutte comme les autres. Sami Zayn est d’abord et avant tout l’homme qui vit le rêve de tous les petits gars de ma génération.

Publicité

Le fabuleux destin de Rami Sebei

« À l’époque, j’avais une émission de lutte au 1280 AM. Ça s’appelait In the Ring avec Patty the Kid », me raconte au bout du fil Patrick Smart, un lutteur aguerri de la scène montréalaise qui vit aujourd’hui en Ontario. « On avait un stagiaire à la station qui s’appelait Johnny et Johnny m’a demandé de lui enseigner la lutte à lui et sa gang d’amis. Ils étaient trois : Johnny, Steven et Rami. »

Patrick s’est donc mis à enseigner les rudiments du sport à trois ados dans une cour arrière à Vimont. Pas de ring. Direct sur le gazon. « C’était des gars que je n’avais pas vus depuis trois ans », expliquait Zayn lui-même au balado de Stone Cold Steve Austin, The Broken Skull Sessions. « J’ai dû changer d’école à un moment donné à cause d’une histoire de zonage et j’ai perdu contact avec tous mes amis. Trois ans plus tard, je me fais rappeler sorti de nulle part pour me faire demander “tripes-tu encore sur la lutte”? C’est comme ça que tout a commencé pour moi. »

« Il a très vite commencé à prendre ses bumps aussi bien que les pros. »

Publicité

Pendant plusieurs semaines, Patrick a entraîné les trois jeunes à prendre leurs bumps. C’est-à-dire, apprendre à tomber correctement, sans se faire mal et pour maximiser l’effet dramatique aux yeux des spectateurs et spectatrices. C’est la base dans le monde de la lutte. Si les jeunes pouvaient apprendre à tomber sur la gazon, ils pourraient le faire partout.

Pour lui, le talent et l’affinité de Rami pour le sport étaient inévitables. « C’est difficile à expliquer. Il a très vite commencé à prendre ses bumps aussi bien que les pros. Il s’est aussi vite mis à bien faire les petites choses subtiles qui prennent d’habitude plusieurs années à faire comme il faut, comme prendre soin de son adversaire, par exemple. S’assurer qu’il ne se blesse pas quand on lutte avec. Ça paraît con, dit comme ça, mais c’est super important si tu veux avancer dans le milieu. »

Publicité

Ça a pris six mois avant que Rami saute dans le ring. « La première fois que je l’ai vu lutter, il avait remplacé quelqu’un à pied levé pour un événement de la promotion montréalaise International Wrestling Syndicate. Ça arrive tout le temps dans le monde de la lutte locale, que du monde se pointe pas. C’est comme ça que les nouveaux ont leur chance », m’explique Andrew Stott, alias Shayne Hawke, un ancien élève de Sami Zayn aujourd’hui directeur exécutif de I’IWS. « Ce soir-là, Rami a jobbé pour se mettre un pied dans la porte et il est resté jobber par la suite. Les gars qui restent et qui acceptent de faire bien paraître les autres, on finit toujours par leur donner quelque chose. »

Jobber, ça veut dire perdre de façon convaincante (parce que oui, la lutte c’est arrangé : même ceux qui aiment ça le savent) afin de faire bien paraître l’adversaire. C’est l’équivalent dans le monde de la lutte du stagiaire qui fait les photocopies, le café et un travail pour lequel il n’est jamais crédité.

«Tout ce que je voulais, c’était un match », racontait Zayn à Stone Cold. « Si j’avais un match, je pouvais aller cogner à toutes les portes en disant que j’étais lutteur. »

C’est un peu ça qui s’est passé.

Publicité

De Vimont à ELimination ChambER

Bon, vous me direz que c’est cute, comme histoire, mais que ça n’explique en rien le passage du gazon d’une cour arrière au plus prestigieux ring du métier.

« La percée des lutteurs québécois aux États-Unis, en tout cas pour notre génération, a commencé avec un lutteur nommé Sexxx Eddy. Il a participé à un événement nommé Tournament of Death de la compagnie Combat Zone Wrestling et il s’est blessé très sérieusement contre, ironiquement, un autre lutteur de Montréal nommé The Arsenal. Il s’est coupé une artère et s’est mis à boire son propre sang sur le ring. Disons que ça a laissé un souvenir et attiré l’attention vers les gars d’ici », me raconte Andrew Stott.

D’ailleurs si vous souhaitez voir le match en question, il est disponible sur YouTube. Andrew ne rigolait pas du tout à propos de la sévérité de la blessure de Sexxxy Eddy. Âmes sensibles s’abstenir.

Publicité

Zayn et son meilleur ami Kevin Owens (lui aussi aujourd’hui lutteur en vue à la WWE) commencent donc à s’exiler chez nos voisins du Sud et font immédiatement tourner les têtes avec la petite promotion pennsylvanienne, mais aussi partout ailleurs sur le circuit indépendant. Pro Guerilla Wrestling, Ring of Honor; tout le monde se les arrache. Ils remportent les titres de champions par équipe et le prix du match de l’année dans presque toutes les promotions qui choisissent de leur donner une chance. Ils deviennent aussi rivaux et captivent toutes les audiences qui leur prêtent attention.

Sami à l’époque de El Generico
Sami à l’époque de El Generico
Publicité

Combattant à l’époque avec un masque et sous le nom de El Generico, Zayn est parti lutter autour du monde pendant quelques années, notamment avec la compagnie japonaise DDT qui organise un événement annuel notoire sur un terrain de camping. Le voici d’ailleurs en train de lutter sur un kayak :

Ce n’est qu’en 2013, soit plus de onze ans après le début de sa carrière de lutteur professionnel, qu’il signera avec NXT, la plateforme de développement de la WWE basée en Floride. « Ça a été un long processus », affirme son ami James McGee, lui-même promoteur de lutte à Montréal. « Ils t’arrivent pas avec un contrat du jour au lendemain. Il faut que t’aies fait tes preuves, mais il faut que tu sois proactif et que tu le démontres aussi. Ces gens-là doivent savoir que t’existes. Ça a commencé en 2012, mais ça n’a pas été officiel avant la fin de l’année. Il n’a pas fait ses débuts avant l’hiver suivant. »

Publicité

Après une décennie à prendre des risques, vivre dans ses valises et ne pas recevoir le dixième de tout l’amour qu’il voue au métier, Rami Sebei alias Stevie McFly, alias El Generico, devient officiellement Sami Zayn et fait ses débuts avec la WWE.

Crédit : WWE
Crédit : WWE

Oui, mais pourquoi lui et pourquoi maintenant?

C’est une bonne question. La hiérarchie du monde de la lutte fonctionne beaucoup avec l’amour de la foule alors qu’a-t-elle trouvé de si spécial en Sami?

Publicité

Le niveau ahurissant de succès que récolte Sami Zayn aujourd’hui est dû à plusieurs facteurs. Il est tout d’abord extrêmement talentueux et surtout unique. Alors que la plupart des lutteurs s’époumonent au micro et jouent à s’envoyer des invectives de mauvais goût, Zayn, lui, dégage un mélange d’intensité et de vulnérabilité qui le rend immédiatement sympathique auprès de la foule. Pour preuve, regardez juste cette promo effectuée avec Cody Rhodes lundi dernier, à RAW :

Même pas besoin de comprendre l’anglais pour se laisser gagner par son travail. Tout se passe dans le ton de voix et le langage du non verbal. Les épaules voûtées, la lèvre inférieure tremblotante, la voix qui casse, mais le regard fougueux malgré tout. Il projette l’image parfaite du underdog, ce lutteur qui doute de ses capacités, mais qui affronte néanmoins ses peurs avec courage. Surtout, il n’a pas l’air de jouer un personnage. Tout en lui semble vrai.

Publicité

« Sami a toujours eu un don pour attirer la sympathie de la foule. Même à l’époque où jouait El Generico et il faisait juste crier olé parce qu’il ne parle pas espagnol, il a toujours été capable de créer quelque chose qui résonne », témoigne Andrew Stott.

Stott m’explique aussi que si le chemin de Sami a été si long, c’est en partie parce qu’il a subi une blessure à l’épaule qui l’a gardé hors du ring pendant très longtemps. « Le facteur blessures compte pour lui, mais aussi pour les autres », m’explique-t-il. « Il y a eu beaucoup de gros noms qui se sont blessés en 2021 et 2022. Cody Rhodes, Randy Orton, les organisateurs ont dû jongler un peu et c’est comme ça que Sami a eu sa chance. Je pense pas qu’ils avaient prévu que son histoire avec Roman Reigns allait décoller comme ça, mais c’est vraiment lui qui a saisi son opportunité. »

Publicité

Au-delà des prouesses techniques, sa capacité à raconter une histoire et à convaincre un auditoire de l’authenticité de ses émotions le placent dans une classe à part.

Que vous trouviez la lutte ridicule ou non, un Québécois raconte présentement une histoire qui captive le public et déclenche les passions au niveau planétaire et ça, ça vaut la peine d’être célébré, non? Sami Zayn a navigué le monde complexe, disloqué et hyper compétitif de la lutte pendant vingt ans pour pouvoir nous divertir sur la plus grande plateforme dédiée à son sport et aujourd’hui, il a enfin réussi. Alors j’te souhaite le titre, Sami. T’es déjà le champion pour moi, mais j’te le souhaite quand même.

Crédit : WWE
Crédit : WWE
Publicité