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Samedi soir au gala de boxe d’influenceurs
Le Bain Mathieu est plein à craquer. Malgré le froid polaire qui sévit sur Montréal, entre 300 et 400 âmes (selon mon humble estimation) ont fait leur pèlerinage sur la rue Frontenac pour s’entasser autour de la piscine abandonnée qui sert aujourd’hui de salle de spectacle. Welcome to the Jungle de Guns N’ Roses rugit dans le système de son de la place. La foule est en liesse.
L’entraîneur personnel et célébrité TikTok Louis Racicot, dit « Coach », arrive sur le ring affublé d’une cape de superhéros. Qu’est-ce qui se passe, au juste? Qu’est-ce que je fais dans l’Est de Montréal par un samedi frigorifique? Je suis venu voir des combats de boxe d’influenceurs.
Douze vedettes du web (et de la téléréalité) s’affrontent ce soir dans six combats de boxe olympique. Mais pourquoi, au juste? J’ai moi-même boxé et pris part à des combats de MMA pendant une dizaine d’années et croyez-moi, c’est pas quelque chose qu’on fait pour le clout. Pour prendre des claques sur la gueule, il faut vraiment vouloir en donner aussi.
Je suis donc allé voir ce que les idoles de nos jeunes avaient dans le ventre et je n’ai pas été déçu.
Coach Racicot, Prinzy, Le 2 Watt et les autres
La boxe d’influenceurs est loin d’être un nouveau concept. Inauguré en août 2018 par un affrontement entre les célèbres youtubeurs Logan Paul et KSI, l’événement a donné naissance à toute une sous-culture de combats entre célébrités qui foisonne encore aujourd’hui. Ça fonctionne autant, sinon mieux, que la vraie boxe parce que les gens viennent tout d’abord encourager une personne envers qui ils ressentent un certain attachement émotionnel et non pas simplement regarder un événement sportif.
Pensez-y un peu comme un entre-deux entre la « vraie boxe » et la WWE. L’histoire des pugilistes et leur relation avec leur public sont aussi importantes que le combat lui-même. L’organisateur de Caged Ape Fight Club, Neil Sheppard, ne s’en cache pas.
« Cette soirée est un exercice de promotion pour le projet Caged Ape Fight Club au sens large », m’explique-t-il dans un franglais sympathique avec un sourire contagieux qui lui traverse le visage. En toute transparence, Neil et moi sommes de vieux amis. Il m’accueille d’ailleurs avec un bro hug des plus sincères. À une autre époque lointaine, je lui ai donné des cours de jiu-jitsu brésilien.
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Aujourd’hui, c’est lui qui enseigne. « Les combats sont seulement un segment de mes activités. J’ai aussi mis sur pied une académie de combats en ligne et une collection de NFTs. L’idée m’est venue pendant la pandémie. Les combattants étaient vulnérables et je voulais trouver une manière de les aider à gagner un peu d’argent. Je regarde aussi les possibilités pour tout ce qui est paris, mais disons que c’est pas encore fait. »
Encore aujourd’hui, Neil est incapable de demeurer sur place plus que cinq minutes, tel un lapin Energizer équipé de piles infinies. Il court aux quatre coins du Bain Mathieu et s’arrête sans crier gare pour me donner des bribes d’informations sur l’événement : « Mon meilleur vendeur de billets est dans une fraternité. J’ai pensé à ça et je vais essayer d’organiser Fraternity Wars si y’a assez d’intérêt. T’imagines? »
Les vedettes de la soirée arrivent au compte-goutte à partir de 16h. Pour tout vous dire, je ne connais personne. Mon collègue gen Z Clément m’a cependant invité à surveiller Prinzy, Le 2 Watt, Victor Yoo et Coach Racicot (lui, je le connais un peu). Ils ont tous l’air de combattants réguliers. Personne n’agite de selfie sticks (je n’en verrai qu’un seul dans ma soirée). Personne ne me fait de sourire de faux-cul, les yeux cachés derrière une paire de lunettes miroir. Aucun d’entre eux ne semble éprouver une confiance irrationnelle.
« Tout le monde dans mes commentaires me dit que je suis trop soft pour faire ça, que je vais me faire défoncer », me confie Prinzy Groulx, tiktokeurs et acteur au physique long et noueux qui compte plus de 415 000 abonné.e.s. « J’veux leur prouver que tu peux être chill pis doux dans la vie, mais que tu peux avoir un dark side aussi, t’sais? »
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Prinzy n’a pas d’expérience en sport de combat, mais il un profil athlétique et beaucoup d’expérience en compétition sportive. Il a été gardien de but de haut niveau au futsal, un cousin du soccer qui se joue en gymnase. À l’origine de cette soirée de boxe d’influenceurs, Prinzy ne cache pas ses inspirations : Jake et Logan Paul.
Si ça fonctionne chez nos voisin.e.s du sud, ça peut bien fonctionner chez nous aussi.
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« Logan Paul, c’est mon idole. Lui et son frère Jake », m’affirme sans aucune ironie Benjamin Loiselle, alias Le 2 Watt, qui affrontera Prinzy plus tard dans la soirée. Le jeune homme de 22 ans compte 236 000 adeptes sur TikTok et prépare la sortie d’un talk show sur YouTube. « Ce sont deux gars qui grandissent dans l’adversité. Il y a eu les combats de boxe, pis plein d’autres affaires aussi. On les a vus évoluer là-dedans. J’aime leur façon de s’exprimer, leur transparence. C’est des gars qui se battent devant des millions de personnes et qui réussissent à livrer la marchandise. Ils sont impressionnants. »
Le combattant professionnel Xavier Alaoui et le vétéran du UFC Aiemann Zahabi, deux autres vieux amis, sont à la soirée et la commenteront pour sa diffusion en direct sur YouTube. « Ces gars-là vont pas se faire mal », me confie Aiemann avec un sourire en coin.
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Il a raison : ça prend beaucoup d’entraînement pour réussir à pincer quelqu’un solidement. Mais on sait jamais, dans une soirée comme celle-là. Un coup part si vite.
C’tait tu bon?
Bon. C’est sûr qu’il faut moduler ses attentes.
Personne n’allait voir le Caged Ape Fight Club pour voir de la bonne boxe, mais pour accompagner son influenceur préféré alors qu’il saute dans l’inconnu et affronte ses peurs… ou pas. J’assume un brin. Honnêtement la foule (d’environ 400 personnes) semblait composée principalement d’ami.e.s des combattants et de curieux. Oui, il y avait des touristes, mais il y a toujours des touristes dans les soirées de combat. La seule différence était qu’au lieu d’être des PDG de compagnies avec leurs client.e.s, c’était des gars avec de p’tites tuques roulées au-dessus des oreilles, même s’il faisait -30 dehors.
Le billet d’admission générale coûtait 40 $ pour onze combats. Un prix somme toute raisonnable en pleine crise d’inflation.
Oui, il y avait des touristes, mais il y a toujours des touristes dans les soirées de combat.
C’était de la boxe de d ébutants. Il y a eu quelques moments gênants dans la soirée, mais la Fédération Québécoise de Boxe Olympique était là pour veiller au bon déroulement et surtout, à la santé des combattants. La première partie du spectacle consistait en cinq combats de boxe olympiques dits « normaux » entre non-influenceurs et, dès le premier affrontement, l’arbitre a mis les choses au clair en décernant un compte de huit debout à un boxeur qui avait établi comme stratégie de bloquer les coups avec son visage. Pour les néophytes, il s’agit d’une pause où l’arbitre agit comme s’il y avait eu chute au plancher.
Le message est clair : aucun freak show ne sera toléré.
Remarquez, je dis ça, mais le premier affrontement d’influenceurs entre Adam Chaouki et Loïc Marchand-Dion, vétéran de Célibataires & Nus et darling OnlyFans, s’est soldé en double disqualification après que les deux se soient retrouvés au tapis à rouler par terre comme des pas fins dans la cour d’école pour la deuxième fois de suite.
Ça s’est amélioré par la suite, j’vous le jure.
Colin Pilotte et Nathan Lachapelle n’ont pas exactement fait de flammèches, mais Prinzy et Le 2 Watt ont fait lever la foule avec un combat endiablé. Les deux créateurs de contenu se sont échangés des comptes de huit debout au deuxième assaut. La portée de Prinzy semblait lui donner un avantage jusqu’à ce que Le 2 Watt se branche sur le 220 et transforme un affrontement jusqu’ici tactique en combat de rue. Il viendra à bout des réserves de son adversaire et l’arbitre n’aura pas le choix de s’interposer avant la fin du troisième engagement.
Coach Racicot lui ? Pour emprunter son expression, il n’a pas fait sa bitch. Le jeune homme a même fait preuve de beaucoup de courage. Devant un adversaire avec une meilleure portée et qui, franchement, me semblait avoir plus de boxe dans le corps, il a donné le meilleur de lui-même pendant trois rounds. Racicot a vaillamment essayé de gagner ce combat et n’a jamais abandonné.
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Sa soirée s’est peut-être soldée par une défaite, mais il a remporté plusieurs victoires psychologiques pour se rendre jusqu’au verdict des juges. Il a incarné les valeurs de résilience et de potentiel humain qu’il prône sur ses réseaux sociaux. Je sais pas s’il est fier de lui, mais il devrait l’être.
Le combat entre le vétéran de L’Île de l’amour, Samuel Brunelle, et VVS s’est déroulé sans incident gênant à part quelques grimaces inopportunes qui auraient pu blesser sérieusement VVS si son adversaire l’avait attrapé avec un coup de poing au mauvais moment. Même chose pour l’affrontement entre Jayme Triumph et le youtubeur Victor Yoo qui s’est soldé par un arrêt de l’arbitre en faveur de Triumph au deuxième assaut.
Non, le spectacle le plus étrange de la soirée n’est pas venu des influenceurs, mais bien de la ring girl qui, de combat en combat, a graduellement abandonné ses tâches de la soirée au profit de galipettes pour faire réagir la foule. Twerking, escalade des câbles, chandelle humaine, une split qui aurait rendu jaloux le Luc Senay de l’époque de La Guerre des Clans. Au dernier combat de la soirée, elle avait même arrêté de parader les cartons avec le numéro des rounds.
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Les influenceurs et nous
Après dix heures sans manger ni boire, j’ai fini la soirée au McDonald’s à côté de chez nous avec un repas des champions : McCroustillant épicé avec une grande frite et un grand thé glacé. Perdu dans mes pens ées, je réfléchissais au concept même d’influenceur. Pendant la soirée, j’ai croisé un entraîneur personnel, un jeune acteur, quelques humoristes en herbe qui ont décidé de commencer leur carrière sans passer par l’École Nationale de l’humour et qui réussissent à mieux galvaniser une audience que n’importe qui.
C’est quoi un influenceur, au fond? C’est quelqu’un qui a réussi à créer une audience pour sa présence en ligne et qui exerce un certain pouvoir auprès d’eux. Ils ne sont pas nécessairement jeunes. Ils ne sont pas nécessairement plus vides ou superficiels que d’autres personnalités publiques plus âgées. Du moins, pas ceux que j’ai rencontrés. Personne ne ressemblait, de près ou de loin, à la parodie d’influenceur qu’avait interprété Mehdi Bousaidan au Bye Bye, il y a quelques années.
« Yo, c’était les combats d’influenceurs ce soir », s’exclame un jeune garçon d’une douzaine à la table d’à côté, le nez enfoui dans son téléphone intelligent. « Le 2 Watt a pété Prinzy. »
Son grand frère croise mon regard amusé. « Ben là, il l’a pas pété. C’était un arrêt de l’arbitre », je me sens obligé de préciser.
Personne ne ressemblait, de près ou de loin, à la parodie d’influenceur qu’avait interprété Mehdi Bousaidan au Bye Bye, il y a quelques années.
Les jeunes me canardent de questions à propos du déroulement de la soirée pendant que je finis mon repas. Je leur rends la pareille en leur demandant des informations sur les influenceurs en questions et leur champ d’expertise. Ils sont polis, allumés et beaucoup mieux informés que moi sur le sujet parce que cette génération de jeunes communicateurs leur parlent, à eux. Pas à nous. Encore plus important: ils les aiment. Ce sont des présences importantes dans leurs vies. Des amis qui leur apprennent des choses. Qui les font rire quand ils en ont besoin. Avec qui ils partagent des moments forts.
On devrait peut-être faire mieux que nos parents et arrêter d’avoir peur quand le monde change. Si les influenceurs que j’ai rencontrés servent de modèle à nos jeunes, la prochaine génération ne réussira pas moins bien que nous. Au contraire.