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Salut Pat, as-tu mis du sel dans ton café?
Salut Pat (tu m’excuseras si je t’appelle Pat pour faire plus court. C’est que, vois-tu, ça ne chille pas tant aujourd’hui).
C’pas la température, t’inquiète, ni même le fait qu’une longue semaine de travail se pointe le bout du nez afin que je puisse subvenir à mes besoins et à ceux de ma fille.
Non, vois-tu Pat, je chille moins parce que tu t’es adressé à moi ce week-end avec le torse un peu bombé et une condescendance à peine camouflée et, sans surprise, ça m’a fait de la peine.
Bon, ok, pas de la peine, mais j’ai poussé un ou deux tabarnaks.
Tu t’es dit agacé par une conférence de C2 Montréal tenue par des mythiques milléniaux de 17 à 22 ans tout en définissant lesdits milléniaux comme étant des personnes nées entre 1981 et 2001.
Yo, ça fait une grosse fourchette générationnelle ça, tu ne trouves pas?
Étant moi-même une cuvée 84, je le prends un peu personnel quand un journaliste dans la quarantaine me regroupe avec des kids de 17 à 22 ans, comme tu les cataloguais dans ton texte, alors qu’il était lui-même le kid baveux qui avait un blogue sur les zinternets quand je chauffais encore les bancs de l’université.
Vois-tu, nous les maudits milléniaux, l’accessibilité à la propriété, on n’y croit plus vraiment.
Tu t’en souviens de ça Pat, de ton ambitieuse trentaine? Était-elle si différente de celle des maudits milléniaux qui osent espérer améliorer leur sort?
J’ose croire que non.
J’ai envie de t’offrir une autre perspective, celle d’un «vieux» millénial qui, contrairement à ce que tu laisses entendre, considère que c’est une bonne chose de vouloir brasser l’establishment pour se construire quelque chose qui ressemble à des vieux jours paisibles.
Vois-tu, nous les maudits milléniaux, l’accessibilité à la propriété, on n’y croit plus vraiment. Fini le temps où une maison s’achetait sur une hypothèque de dix ans avec un prix qui se calculait en quelques années de salaire brut. Forcément, se projeter dans l’avenir avec un chez-soi, des actifs, du solide et du concret, ça nous glisse un peu plus entre les doigts.
Et là, je n’ose même pas te parler de mes plans de retraite qui sont, au moment d’écrire ces lignes, l’espoir de mourir avant 65 ans pour ne pas devenir prisonnier d’un système étouffant et ridiculement peu efficace pour les aînés. Tu le sais, tu nous as raconté plein de belles histoires touchantes à ce sujet au fil des ans. Des naufragés du système, des gens qui mangent du pain noir parce qu’avoir faim ça t’oblige à être moins regardant. Des puckés, comme tu le dis si souvent.
Tous les milléniaux ne sont pas de jeunes allergiques au travail et tous les boomers ne sont pas des paresseux
Pour toi, ce sont des histoires, des chroniques, des tranches de vie. Pour nous, c’est ce que l’avenir nous réserve si on ne change pas les choses, si on ne bouscule pas les vieilles façons de concevoir le travail et si on ne s’oppose pas farouchement à l’engraissement maladif des cadres accessoires au sein des entreprises qui ne sont flexibles que quand vient le temps de supprimer des postes de juniors, justement.
Donc toi, tu nous l’avouais dans ta chronique, tu as ri et fort en plus. C’est le fun, ça fait du bien rire. Mais moi, comme je t’ai écrit plus haut, j’ai poussé quelques sacres. Pourquoi? Parce que c’est insultant de se faire réduire par la génération d’avant. C’est un peu comme verser du sel dans les céréales de tes enfants, Pat. C’est pas très chill.
Tu l’as dit toi-même, il est impossible de comparer les générations et j’oserais même ajouter qu’il est insouciant de les généraliser. Tous les milléniaux ne sont pas de jeunes allergiques au travail et tous les boomers ne sont pas des paresseux qui s’assoient sur leurs acquis issus d’un temps révolu.
Travailler fort n’égale pas forcément une place au soleil.
Mais ce que je voulais vraiment te dire, Pat, c’est que travailler fort n’égale pas forcément une place au soleil. Prenons mon exemple qui n’est quand même pas si pire. J’ai fait un long détour en enchaînant plusieurs métiers depuis ma sortie de l’université, pour finalement atterrir dans la grande famille des médias. Je ne suis pas plus con qu’un autre, du moins j’imagine, et pourtant je tire encore le diable par la queue quand ma voiture décide qu’elle a besoin de nouveaux freins parce que c’est un modèle 2004 que j’use au possible vu les prix exorbitants des petites nouvelles cool et chill avec des accessoires incroyables comme une radio Bluetooth.
Bref, mon exemple, c’est la classe moyenne d’aujourd’hui. Celle qui travaille, beaucoup, qui va porter les petits à l’école le matin et qui fait des lunchs le soir. Celle qui ose, avec les quelques heures d’éveil restantes quand la marmaille somnole enfin, bûcher un peu plus pour un jour améliorer sa situation à grands coups de projets, d’idées et d’espoir.
Je suis un millénial, j’ai 33 ans et je ne me sens pas du tout spécial, Pat. Je me sens plutôt déçu et fâché quand les X, ta gang comme tu semblais nous le dire, sont occupés à rire de nous avec un mépris à peine subtil.
Sauf quand vient le temps de nous demander de travailler la fin de semaine, de la maison, pour rendre service en échange d’une belle visibilité sans forcément nous faire suivre un chèque. Là, vous avez le s’il-vous-plaît et le merci pas mal facile. Comme quoi tout est relatif.
Faut être de son temps Pat et, surtout, éviter le mépris.
Dans le fond, Pat, oui tu sonnes comme un vieux radoteux et probablement que le Pat de 25 ans qui était un peu à l’image de la Generation X imaginée par Douglas Coupland, du moins je me plais à le croire, pousserait les mêmes tabarnaks que moi en lisant ta lettre.
C’est ça, vieillir. Comme moi qui soupire quand des ados bruyants dans le métro m’empêchent de lire tes chroniques dans feu le journal en papier.
Faut être de son temps Pat et, surtout, éviter le mépris. Quossa donne de généraliser sur une génération à cause d’une conférence dans un environnement comme C2 où les jeunes, comme les technologies, sont servis en pâturage à des X et des Boomers qui ont les moyens de venir rire de ces mêmes jeunes dans une conférence masturbatoire hors de prix sur l’avenir des entreprises qui se sont enrichies, entre autres, sur le dos du cheap labor motivé, souriant qui ne brasse pas trop d’air?
Bisous Pat, mais pas yo. On est des milléniaux, pas le punchline d’une joke de mononcle.
Pour lire une autre chronique de Stéphane Morneau : «Messieurs, n’ayez pas peur de la porno féministe.»
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