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Salut Ozzy!

Le prince des ténèbres est mort, mais son royaume est éternel.

Par
Benoît Lelièvre
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La première fois où j’ai aperçu Ozzy Osbourne sur un écran de télévision, j’avais huit ans. C’était en 1991, il avait le même âge que j’ai aujourd’hui : 42. La vidéo de sa chanson No More Tears passait à MusiquePlus. Dans ma tête, il a toujours été vieux.

Sur le coup, je ne me suis pas exactement « senti vu » comme on dit si bien dans le jargon psychopop. Ozzy et moi, ce n’était pas exactement le coup de foudre. Au premier coup d’œil, mon cerveau d’enfant impressionnable s’est fait une réflexion qui devait ressembler à : « Quel terrifiant énergumène. Si Satan se cache parmi nous, je viens de le démasquer. »

Celui qu’on surnomme (étrangement affectueusement) le prince des ténèbres n’a rien d’un personnage de série jeunesse. Avec ses grands yeux maquillés qui avaient l’air d’en voir plus que le commun des mortels et sa voix nasillarde qui oscillait constamment entre l’horreur et l’urgence, il représentait la faillite de tout ce qu’on promet à un enfant : sécurité, stabilité, amour, accomplissement personnel, etc.

Le Ozzy de No More Tears aurait fait peur à n’importe quel ti-cul avec un peu d’imagination.

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Trente-quatre ans plus tard, le décès d’un des premiers Bonhommes Sept Heures de mon enfance me foudroie sur un trottoir de la rue Sherbrooke. Un immense chagrin auquel je ne m’attendais pas me paralyse pendant plusieurs minutes. Tous les métalleux de la terre s’attendaient au décès d’Ozzy Osbourne plus tôt que tard. C’était déjà un miracle qu’il se soit rendu à l’âge vénérable de 76 ans vu les décennies de sexe, drogue et rock’n’roll qu’il avait derrière la cravate.

Mais Ozzy n’était pas qu’un chanteur. C’était le patriarche d’une sous-culture.

Le pape des marginaux

John Michael Osbourne est devenu le symbole de la musique du diable pour un paquet de raisons : parce qu’il était le visage de Black Sabbath, parce qu’il transgressait les interdits sociaux avec enthousiasme, parce que l’homme et le personnage sont devenus interchangeables, mais surtout parce que la formule lui a apporté le succès nécessaire pour se perpétuer dans le temps.

Ozzy était (et sera toujours?) le pape des marginaux. Une icône au même titre que Karl Lagerfeld en était une de la mode ou que Michael Jordan de la performance sportive. Il a été l’inspiration pour d’innombrables musiciens, mais aussi pour des tatoueurs, stylistes, artistes visuels en tout genre et combien d’autres métiers où la différence et l’individualité pouvaient désormais s’exprimer.

Si Ozzy a pu se sortir du purgatoire industriel qu’ÉTAIT Birmingham en faisant ce qui lui plaisait, il a suscité la question « pourquoi pas moi? » dans un nombre incalculable d’esprits.

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Quand je racontais plus haut que la tronche glauque d’Ozzy dans No More Tears reflétait la faillite de toutes les promesses qu’on fait à un enfant, ce que je ne vous ai pas dit c’est que les nuances derrière cette image terrifiante ont grandi en même temps que moi.

Ce qu’il raconte à travers la métaphore de cette chanson (et dans plusieurs autres), c’est que le monde est un endroit violent et volatile et que chercher l’amour à tout prix c’est courir à sa perte. Le plus vite on accepte cette vérité plate et difficile, le plus vite on peut devenir libre comme lui et ne pas finir comme la pauvre victime qui se noie dans ses larmes dans le vidéoclip.

Il est devenu un symbole tellement important dans ma vie que j’ai nommé mon bulldog en son honneur :

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Non, Ozzy Osbourne n’était pas exactement Annie Brocoli. Sa musique ne s’adressait pas du tout aux enfants, mais il m’a quand même montré à travers elle une voie vers une vie adulte qui me ressemble. C’était une sorte de grand-papa qui nous invitait à gérer nos peurs.

Jusqu’au dernier concert

Un des facteurs qui a rendu le décès du prince des ténèbres aussi marquant, c’est qu’il a donné son dernier concert le 5 juillet dernier dans son patelin, à Birmingham. Il n’était peut-être pas en forme olympique, mais il avait l’air d’en avoir encore un peu dans le réservoir.

Comme tout bon métalleux qui se respecte, j’ai regardé l’événement en direct sur le web et me suis surpris à verser quelques larmes pendant Paranoid. Pourquoi donc? Quel drôle de choix après tout, une chanson à propos d’un gars qui s’aliène son entourage parce qu’il n’arrive pas à se sentir heureux.

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Tout d’abord parce qu’il s’agissait de la dernière chanson du concert. Quand Ozzy demande à la foule : go fucking crazy, it’s the last time, c’était vraiment la toute dernière fois qu’on allait vivre ce moment en temps réel avec lui. On le voit trépigner, taper du pied, être traversé par une énergie sans nom et sans âge que tous les métalleux comprennent intuitivement. Il essaie même de se lever de son trône à un moment.

A posteriori, on est en droit de se demander : est-ce qu’il attendait ce dernier moment avec nous avant de partir?

Paranoid, c’est aussi un plaisir partagé entre les métalleux et le reste du monde. Pas du tout la meilleure chanson de Black Sabbath, mais leur plus grand succès. Un langage universel que tout le monde peut apprécier, comme une bouteille de vin qu’on ouvre avec des invités. C’était on ne peut plus approprié comme cadeau de départ.

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Salut Ozzy! Merci pour la musique, mais merci aussi pour tout ce que tu as représenté au fil des années. C’est à nous maintenant de vivre à la hauteur de l’héritage que tu nous laisses. On m’a invité à en parler au 98,5 deux fois plutôt qu’une dans les heures suivant son décès et c’était très étrange d’exposer un lien si intime avec une personne que je n’ai jamais rencontrée, mais c’est important de perpétuer son souvenir de la bonne façon.

Si vous me cherchez, je vais probablement être en train de brailler devant la dernière performance de Paranoid pendant quelques jours.

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