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Salut Gilles

Par
François Lachapelle
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Oui, mais non… pas ce Gilles-là. J’imagine que l’image, le titre et le fait que je vais parler de sport peuvent porter à confusion, alors voici.

2008, un samedi, le soir. Je rentre chez moi. J’étais peut-être éméché, il était sans doute tard, probablement l’hiver, me souviens pas. Me souviens par contre que quelqu’un, un ami, sportif peut-être, certainement amateur de sport, m’a parlé de l’asti-d’but-d’fou-d’Kovalev. Je veux voir. Il n’y a pas de meilleure berceuse qu’un beau but de l’Artiste, surtout qu’en 2008, il les scorait pour la bonne équipe. Internet, Radio-Canada, nouvelles du sport, BANG :

« Un Devil qui purge sa peine, Kovalev, devant un horizon opaque, tire vers le but. »

Pardon?

« Brian Gionta va s’emparer de la rondelle qui gisait là, comme un vieux billet gagnant de loterie, c’est de cette façon assez saugrenue que s’est créée l’égalité. »

Hein?

« Carey Price qui est encore le douanier de garde à la guérite est aux prises avec un problème de daltonisme temporaire. »

Je venais de rencontrer Gilles Gagnon.

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Qui? Gilles Gagnon. Si vous ne savez pas de qui je parle, c’est que vous ne l’avez jamais entendu. Gagnon était le visage, la voix et surtout le texte des nouvelles sportives de la société d’État (SRC et RDI) de fin de semaine. Il est assez facile à replacer, c’est celui qui ne ressemble absolument pas aux autres. Personnellement, j’aimais beaucoup ce qu’il faisait, au passé, parce que le journaliste a récemment quitté les ondes sportives radio-canadiennes. J’ai donc décidé de lui consacrer mon dernier billet de la semaine. Résumé de ma rencontre avec le raconteur des sports.

Après avoir fait ses classes à Windsor, Toronto et Ottawa, c’est en 1994 que Gilles Gagnon arrive à Radio-Canada Montréal. Affaires publiques, culture, animation matinale, tout y est passé. Les sports (comme métier) sont arrivés dans sa vie un peu par hasard, un beau hasard : « Je trouvais que c’était plus facile de se démarquer, ou de faire quelque chose de différent dans les sports qu’au culturel où la matière première est pas mal plus flyée que la conférence d’après match de Jacques Martin. »

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Se démarquer. Oui, je pense que c’est assez réussi. Dans un milieu assez conservateur, il développera un style de lecture de nouvelles imagé, où la syntaxe de la phrase est aussi importante que les images qu’elle décrit (pas plus, aussi). « Aujourd’hui, quand les amateurs de sport écoutent un bulletin, ils savent déjà c’est quoi le score. Mon optique, c’était de leur faire revivre l’affaire d’une autre façon. » Si vous croyez que cette façon de faire est un vaste processus d’intellectualisation de la chose sportive, rien n’est plus faux. Gagnon a longtemps improvisé ses bulletins, armé de quelques notes, sur les images que son équipe lui fournissait, chaque bulletin étant différent du précédent (les résultats restant habituellement intacts). Lorsqu’un jour le réalisateur du téléjournal l’a sommé d’écrire des textes, le journaliste a décidé d’écrire à sa manière : « Je trouvais que ça prenait beaucoup de temps d’écrire des textes alors je les ai écrits de cette façon-là, pas par ironie, mais pour avoir du plaisir à le faire ».

L’écriture ne se fait pas en solitaire, c’est un travail d’équipe et il reviendra souvent sur ce point, l’importance de l’équipe. « C’est des jeunes, de 25 à 30 ans, rapides, ça veut défoncer l’univers, c’est moi le parcomètre en violation constante par rapport à eux, mais c’est incroyablement stimulant! »

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Quand je qualifie son style de littéraire, il me corrige « je ne dirais pas littéraire, je dirais plus… (hésitation) différent! », toujours est-il que ce style lui a amené des critiques autant positives que négatives, à l’interne comme à l’externe. « Il arrivait que je doive passer au bureau de mes supérieurs pour quelques expressions. Ils me disaient que c’était trop, qu’il y avait une formule standard à respecter, mais moi je ne trouve pas. Si un mot est plus à trente sous qu’un autre, je ne vais pas l’évacuer parce qu’il est plus cher.» Du côté du public, les « pooleux » (ceux qui veulent le score et rien d’autre) aiment plus ou moins, mais le but de ses bulletins était de ratisser plus large : « Je pense qu’il y a des gens qui aiment suffisamment le sport pour rester là, dans un bulletin, s’ils ne se sentent pas exclus. Leur faire faire un petit voyage, est-ce que c’est pécher? » La seule critique qui l’a vraiment atteint, c’est quand on l’accusait d’utiliser ses mots pour voler la vedette aux athlètes et à leurs exploits. « Une collègue qui voyait souvent des athlètes m’avait confirmé qu’au contraire, ils avaient l’impression que je faisais revivre ce qu’ils avaient accompli dans la journée ». Sachant les athlètes de son bord, il peut mettre le reste des critiques en perspective : « Il y a des personnes qui ne nous aiment pas et je ne suis pas sûr que ce soit une mauvaise nouvelle! »

Nous avons aussi discuté de Jean-Luc Godard, d’Harold Ballard, du meilleur journaliste selon lui (Guy D’aoust), de Benoit Brunet (il a l’expertise, mais pas la langue pour l’exprimer), de Pékin, du fait francophone à Toronto, etc. Les vingt minutes d’entrevue que je lui avais demandées ont duré une heure.

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Bien qu’il ait quitté l’antenne, il travaillera toujours aux sports, comme secrétaire de rédaction, pour épauler son équipe. Quand en conclusion je lui demande ce qu’il pense avoir laissé comme souvenir, ça réponse ne peut être plus franche : « Honnêtement; rien! Peut-être la langue ou l’esprit de rigueur, l’esprit d’équipe […] et l’ouverture. Les sports ne doivent pas être réservés seulement à ceux qui se tiennent chez Champs! »

Personnellement, figure de style pour figure de style, j’aimais cent fois mieux écouter un bulletin de Gilles Gagnon qu’une toune de Grand Corps Malade. Si vous avez passé à travers ce texte en n’ayant aucune idée de qui est Gilles Gagnon, vous pouvez aller écouter son dernier bulletin, livré en novembre dernier.

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