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Salt Bae: passion, excellence et memes

Les humains derrière les mythes et légendes du web.

Par
Benoît Lelièvre
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Devenir un meme, c’est pas souvent une bonne nouvelle.

Si la personne concernée a d’autres aspirations dans la vie que celle de voir sa face 300 fois par jour sur les réseaux sociaux, c’est encore une moins bonne nouvelle.

Il arrive cependant que le web tombe follement en amour avec quelqu’un. C’est exactement ce qui est arrivé le 7 janvier 2019 lorsque le boucher turc à l’estime de lui-même irréprochable Nusret Gökçe décida de téléverser sur son compte Instagram une courte vidéo de lui en train d’apprêter un steak avec une passion et une dextérité jusqu’ici jamais vues dans la profession. Voici le clip en question:

C’était la naissance d’un nouveau phénomène: Salt Bae, le boucher sexy. La confiance, l’expertise et le sens du spectacle du jeune amateur de viande déclenchèrent une avalanche de créativité en ligne:

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Avec le recul, c’est facile de comprendre le succès monstre de ce meme. La confiance en soi n’a pas toujours bonne presse. Si on excelle à quelque chose, les personnes autour de nous s’attendent à ce qu’on s’acquitte de cette tâche avec sobriété. C’est pas cool d’agir comme si on le savait qu’on était bon. C’est pour ça qu’on fait des memes avec Salt Bae. Il est devenu un symbole de confiance et d’excellence à une tâche particulière…ment inutile.

La confiance de Salt Bae est socialement acceptable pour deux raisons: 1) il est tout seul avec son steak dans la vidéo. C’est comme si on le surprenait à avoir du fun tout seul et 2) c’est clairement un personnage. Il est habillé et coiffé de la même façon dans la majorité de ses vidéos et paraîtrait même que c’est le cas lorsqu’on se rend à son restaurant.

Comment Nusret Gökçe est-il devenu Salt Bae? Qui est ce mystérieux boucher d’Europe orientale? C’est une drôle d’histoire.

Un petit gars d’Erzurum

Nusret Gökçe est né dans une communauté minière de l’Est de la Turquie. J’y suis moi-même passé en voyage il y a quelques années. Erzurum est une ville monochrome avec d’immenses immeubles en béton abritant des familles nombreuses. Si cette culture terne n’a pas du tout influencé notre homme, c’est qu’il a dû faire ses valises pour Istanbul en 6e année. N’ayant pas les moyens de le garder à l’école, sa famille lui a trouvé une place d’apprenti boucher dans la grande ville.

Une légende venait de naître.

N’ayant pas les moyens de le garder à l’école, sa famille lui a trouvé une place d’apprenti boucher dans la grande ville. Une légende venait de naître.

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Comme tout le monde à qui la vie n’a pas donné le choix, Gökçe s’est mis à prendre plaisir à exercer le métier qui l’avait choisi par la force des choses. Il est resté boucher jusqu’à l’âge de 24 ans où (comme plusieurs milléniaux) il a tout crissé là pour partir en voyage. Passionné par la cuisine, il part visiter les cuisines des grands restaurants d’Argentine jusqu’aux États-Unis pendant trois ans, y travaillant gratuitement pour apprendre.

C’est en revenant au pays en 2010 qu’il fonde son premier restaurant Nusr-Et, à Istanbul. Un succès immédiat. Ce que les memes ne racontent pas sur Chef Nusret, c’est qu’il est une célébrité en Turquie depuis plusieurs années. Il est le Gordon Ramsey de l’Empire ottoman. Il possède plusieurs restaurants dans la région et ailleurs dans le monde, dont un à Dubai. On est les derniers venus dans le bandwagon de Salt Bae.

L’homme, le mythe, la légende

Ce qui est intéressant et unique à propos de Salt Bae, c’est qu’il est probablement la première personne à avoir souhaité devenir un meme, à l’avoir planifié et à l’être devenu de la manière exacte dont il l’avait anticipé. Sa vidéo était parfaitement mise en scène et d’un format idéal pour le partage en ligne. Il voulait montrer au monde ce qu’il savait faire de mieux et les internautes en constante recherche de créativité au quotidien l’ont adopté.

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Il existe plusieurs mythes à propos de l’homme. Parce qu’il parle très peu anglais et ne donne pas beaucoup d’entrevues. Lorsqu’on lui pointe une caméra au visage, il devient silencieux et laisse son métier parler pour lui. Une rumeur voulait qu’il ait abandonné une femme et des enfants à Ankara, chose qu’il a vivement niée lors d’un rare passage devant les médias en expliquant qu’il travaille beaucoup trop pour fonder une famille.

La rumeur est basée sur cette photo qu’il a publiée lui-même en 2018:

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La lumière n’est toujours pas faite sur ce cliché, mais il s’agirait des enfants de ses trois frères. Gökçe est un gars qui parle peu et qui travaille beaucoup alors le mystère risque de planer encore longtemps. C’est cependant difficile à croire, sachant qu’il retourne régulièrement à Erzurum pour aider à forger un futur pour les jeunes de la région.

En 2020, Salt Bae a largement transcendé son statut de meme pour devenir une célébrité en bonne et due forme. Il continue à redéfinir la portée de son succès et à fréquenter les hautes sphères de la société partout où il passe. Fréquenter ses restaurants est devenu une marque de bon goût :

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La morale de cette histoire: il y a une différence entre un douchebag et un gars comme Nusret Gökçe. Ils portent peut-être les mêmes vêtements et agissent de façon similaire, mais ce dernier reste dans le contexte de sa cuisine et ne sort jamais de son personnage. Aux yeux du public, il est une idée plus qu’il est une personne et Salt Bae semble très à l’aise avec ça.

C’est correct d’avoir confiance en soi et c’est correct de l’afficher si vous avez une raison de l’être et que vous ne rabaissez pas les autres.

N’ayez pas peur d’être flamboyants!

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