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Combien ça gagne, une musicienne classique?

« On le fait pour cet amour-là, vraiment pas pour l’argent. »

Par
Mélissa Pelletier
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« Quand les gens me voient sur scène avec ma robe longue, mes bijoux et mes escarpins en train de jouer du Ravel ou du Mozart, ils pensent souvent que je suis super high class… Même que je fais partie de l’élite. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je prends le métro après le concert pour aller manger mes toasts à l’hummus! »

Quand j’ai demandé à Mélodie de me parler de son salaire et de ses conditions de travail de musicienne classique à la pige, elle a d’abord hésité. « Ça me tente de me prêter au jeu… Mais seulement à la condition de le faire anonymement pour pouvoir parler librement et m’éviter un suicide professionnel! » Vous comprendrez donc que notre chère Mélodie porte un autre prénom pour l’occasion et joue d’un instrument que je garderai pour moi jusqu’à la tombe. Fiable de même!

« Je suis toujours à 2-3 mots de gâcher ma carrière. »

Revenons à nos moutons : un suicide professionnel parce qu’on ose jaser cash, vraiment? « Je suis toujours à 2-3 mots de gâcher ma carrière. Je ne sais pas si tout le monde se sent comme moi, mais j’ai vraiment l’impression que je suis mieux de me taire si je ne veux pas perdre des contrats ou même me brûler complètement dans le milieu. J’ai déjà vu une personne être flushée à cause de son parfum cheap. T’imagines? Quand on est pigiste, notre réputation c’est de l’or! »

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La vraie richesse

Cette fameuse réputation, elle commence à se dessiner dès les premières notes un peu maladroites jouées dans une école de musique ou une autre. « Je n’en étais tellemeeeent pas consciente quand j’étais jeune… Mais dès que tu reçois ton diplôme, 50% de ta carrière est déjà écrite dans le ciel. Les personnes qui jugent tes examens seront tes futurs collègues, par exemple. »

En entrant dans le monde du travail, le destin des musiciens classiques se définit apparemment assez vite merci. Star en devenir, artiste en quête de renommée internationale, professeur de musique… Les options sont assez variées. Mélodie a quant à elle emprunté un chemin de pigiste, qui va de gig en gig. « On est tellement beaucoup à se battre pour la même affaire! Je dis souvent que la pige, c’est comme le célibat. S’il y a douze filles pour deux gars dans un party, ils vont être beaucoup plus sélectifs. C’est ce qui me fait chier : il faut être fidèle à tout le monde alors que personne ne l’est envers nous. »

« Tu peux jouer dans un orchestre on and off pendant huit ans, et te faire remplacer du jour au lendemain sans explication. »

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Surtout quand une saveur du mois passe par là pour brouiller les cartes. « Tu peux jouer dans un orchestre on and off pendant huit ans, et te faire remplacer du jour au lendemain sans explication. Souvent, un petit nouveau va être engagé sans même avoir été entendu parce qu’il est hot : il a été jouer à l’étranger, a été dans tel show… Ça m’a toujours écœurée. »

Dans les finances de Mélodie

La glace étant officiellement brisée, je me lance. « Et toi, ça ressemble à quoi ton salaire? » Mélodie prend le temps de réfléchir. « L’image qui me vient, c’est des montagnes russes. À la pige, ça varie énormément d’une année, d’un mois et même d’une semaine à l’autre. C’est pas mal impossible de te dresser un portrait clair, mais disons que je fais entre quatre et huit concerts par mois, en plus d’enseigner environ 10 heures par semaine. Un spectacle est payé entre 140 et 170$. Je fais en général 75$ de l’heure pour les répétitions. En gros, je m’en sors souvent avec 600$ pour trois jours de travail. »

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Wow. Easy breazy la vie de musicienne classique, hein? Ouin, non. « Beaucoup se disent que ce n’est pas si pire, que c’est mieux que d’être commis à l’épicerie. C’est vrai! Mais ce que les gens ne comprennent pas, ce sont les heures non payées pour préparer mes concerts et maintenir mon niveau. Ça tourne autour de 3 à 4 heures par jour, parce que la qualité de jeu attendue est extrêmement élevée. En tant que pigiste, je n’ai pas droit à l’erreur comme les musiciens de l’OSM par exemple, qui sont dans une relation stable », blague-t-elle. « Et quand je dis “erreur”, je veux dire des broutilles, hein. Ce sont d’extraordinaires artistes. Certains gagnent près de 100 000$, et c’est très peu pour la pression qu’ils vivent. » Ça a du sens, quand on sait que le salaire annuel de base d’un musicien de l’OSM était fixé à 75 762$ en 2012.

« Ce qui influence le salaire, c’est surtout l’instrument, la difficulté de la partition, etc. »

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Le salaire change-t-il d’un orchestre à un autre? « Pour moi, ça varie peu à la pige! On peut compter sur la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, qui fait respecter nos conditions et le salaire minimum. » Bien sûr, ça peut changer énormément d’un musicien à un autre, pour une tonne de facteurs qu’il serait presque impossible d’énumérer. Comme pour tous domaines à la pige, le salaire fluctue. En gros, cette fameuse Guilde négocie notamment des ententes collectives avec les orchestres et propose un contrat type aux musiciens (que vous pouvez aller zieuter ici). Est-ce que c’est possible d’accepter des contrats hors-Guilde? « Oui, mais c’est pas mal des gigs brunes. J’en fais presque jamais. C’est vraiment plus pour les étudiants qui commencent dans le métier! »

À quoi bon?

Après plusieurs années de carrière, Mélodie n’est jamais arrivée à dépasser les 30 000$ par année même si elle cumule plus de 50 000$ en instruments, partitions et outils. « C’est ça, mon REER. Je suis loin d’être une star, mais je travaille beaucoup. Je suis respectée dans mon milieu. Et je suis quand même pauvre. Mes collègues pigistes les plus riches ont un salaire qui tourne autour de 50 000$, mais ils travaillent comme des maudits malades! »

Qui dit milieu précaire dit remises en question régulières. « Ça arrive surtout à la fin vingtaine, début trentaine, quand certains commencent à vouloir fonder une famille. J’ai des anciens collègues qui ont décidé de changer complètement de métier en devenant avocats, journalistes, médecins… Et certains reviennent parce qu’ils trouvent leur nouvelle vie est trop fade! »

« Je peux vivre avec la pauvreté, mais c’est sincèrement le côté humain que je trouve plus dur. »

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Est-ce que Mélodie a déjà pensé tirer sa révérence? « Je fais partie de ces gens pour qui changer de métier n’est pas possible. Je chiale, je chiale, mais j’adore ça. Je peux vivre avec la pauvreté, mais c’est sincèrement le côté humain que je trouve plus dur. C’est vraiment difficile de voir des personnes se faire flusher, ou de le vivre soi-même. » Elle marque une pause. « En fait, c’est un métier vraiment le fun quand t’es là. C’est quand t’es pas là que c’est poche. Je vis régulièrement des moments de connexion incroyable avec des orchestres et des spectateurs! C’est ça qui est riche. On le fait pour cet amour-là, vraiment pas pour l’argent. »

*Ce texte a été modifié le 18 décembre 2019 pour retirer une citation qui aurait pu être mal interprétée.