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RuPaul’s Drag Race et cie : la culture du bitchage est-elle en train de ruiner la scène drag?

Certaines drags en ont assez de se faire traiter de «salope»...

Par
Laïma A. Gérald
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S’il y a bien une chose qui m’a manqué cet été, c’est Fierté Montréal. Bien sûr, le festival a été adapté pour être COVID-19 friendly mais les shows hauts en couleur, les fêtes jusqu’aux petites heures et le célèbre défilé n’ont pas pu avoir lieu comme d’habitude.

Bien que je n’appartienne pas moi-même à la communauté LGBTQ+, je trouve ça important de soutenir ses causes et d’être la meilleure alliée possible, pendant la Fierté mais aussi, tout au long de l’année.

Parlant de Fierté: depuis quelques semaines, je suis devenue complètement accro à Canada’s Drag Race, la version canadienne de la très populaire télé-réalité RuPaul’s Drag Race. Pour ceux et celles qui ne seraient pas familier.e.s avec le concept, il s’agit d’un concours visant à récompenser la meilleure drag queen, sur un modèle s’apparentant à America’s Next Top Model.

Tout au long des saisons de RuPaul’s Drag Race, qui ont révélé le talent de performeuses comme Sasha Velour, Bianca Del Rio, Brooke Lynn Hytes et Shangela, on voit les drag queens se disputer la première place en créant des costumes flamboyants, jouer la comédie, danser, lipsync for their life et aussi, se bitcher.

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On peut penser aux critiques pour le moins…frontales de Jimbo envers Rita Baga, lors de l’épisode 7 diffusé le 13 août dernier.

Ouch! Si vous êtes adeptes de RuPaul’s Drag Race et de toutes ses franchises, vous savez que ce genre de scène est commune. Le bitchage, la pratique du reading (une joute verbale consistant à exposer voire amplifier les défauts entre drag queens, bien présente dans la culture drag) sont parfois mis en scène lors de certaines épreuves, quand ce n’est pas fait spontanément dans les coulisses, entre les challenges, comme le montre bien cet extrait.

Lors d’une discussion avec des gens aussi fan de Canada’s Drag Race que moi, un ami a attiré mon attention sur un statut Facebook de Kelly Torielli, une drag queen montréalaise qui évolue dans le milieu depuis 14 ans. Le but de sa prise de parole? Dénoncer la culture du bitchage au sein de sa communauté, une tendance qu’elle attribue notamment à la diffusion de RuPaul’s Drag Race. Je l’ai contactée pour en savoir plus sur son point de vue.

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Le bitchage en spectacle

Celui qui adore personnifier Britney Spears, Christina Aguilera et Demi Lovato voit une tendance claire: le bitchage est bel et bien normalisé dans la culture drag. « Bien sûr, c’était une pratique présente avant l’arrivée de l’émission, à travers la pratique du reading par exemple, mais là c’est comme si c’était devenu mainstream », me confie Kelly Torielli.

La drag queen montréalaise, bien connue dans le village pour son amour de la pop et de la fête, déplore ce changement d’ambiance. « Je trouve qu’on perd la chance d’avoir des conversations réelles, que ce soit entre nous dans les loges ou avec le public, dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux. On est toujours en train de se bitcher entre nous ou dans le dos d’une de nos consœurs. Je trouve qu’on a perdu le sentiment de camaraderie que je voyais davantage au début de ma carrière. » m’explique Kelly avec franchise.

Deux cultures qui s’affrontent

De mon point de vue de spectatrice, je perçois bien que la culture du roast et les attitudes bitchy font partie des interactions entre drag queens, mais Kelly Torielli me fait prendre conscience que cette tendance dépasse le simple spectacle. « Une fois, dans un bar où je travaillais, un client habitué n’arrêtait pas de me traiter de “salope” et de “conne”. J’ai tout de suite vu dans son attitude qu’il se donnait un air bitchy à la RuPaul. Ce qui est insidieux, c’est que c’est souvent fait sous le couvert de l’humour, mais c’est fatigant de passer ses soirées à entendre des choses comme ça quand tu essaies de te concentrer sur ton travail. » déplore Kelly.

https://www.instagram.com/p/B-AP9FGJgAk/

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Le performeur me confie même avoir déjà songé à tout laisser tomber et à se dissocier des événements de Fierté Montréal. « On nous dit toujours de se forger une carapace dans le milieu et Dieu sait que j’en ai une après 14 ans. Mais un moment donné, tu te demandes pourquoi on opte toujours pour ce mode de communication. ». Kelly attire également mon attention sur un paradoxe. « Nous, les drag queens, prônons l’acceptation et l’ouverture d’esprit et nous sommes souvent au-devant dans les grandes célébrations de la Fierté. Mais parallèlement à ça, on se manque de respect constamment. C’est très contradictoire! »

Sashay away: la méchanceté!

Si Kelly Torielli a voulu s’exprimer à ce sujet, c’est pour créer une prise de conscience dans l’espoir de changer les choses. Il incite ses camarades et le public à ne pas prendre l’émission RuPaul comme exemple d’interactions envers les drag queens, dans la vie ou sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs, plusieurs participantes de Canada’s Drag Race, dont Ilona Verley, Rita Baga et Scarlett BoBo, ont récemment pris la parole publiquement pour dénoncer l’intimidation dont elles sont victimes sur les réseaux sociaux. En effet, Ilona Verley, une drag queen autochtone de Vancouver s’identifiant comme Two-Spirited (bi-spirituel.le), a révélé sur Twitter avoir été hospitalisé.e suite à une tentative de suicide motivée par des commentaires haineux reçus sur les réseaux sociaux. La drag queen ne passe pas par quatre chemins : « Qu’allez-vous faire quand vous allez finir par tuer l’une d’entre nous? ».

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Alors qu’elle subit elle-même de la cyberintimidation depuis plusieurs semaines, Rita Baga, participante montréalaise de Canada’s Drag Race (ma prèf!), sert de contre-exemple à Kelly Torielli: « Rita Baga, une grande amie à moi, me redonne espoir puisqu’elle n’est pas complètement tombée dans le moule du bitchage entre participantes. Je la trouve respectueuse et elle utilise ses moments de confessions pour être drôle et sensée, ce que j’applaudis. Elle donne déjà un meilleur exemple. »

Don’t fuck it up!

Suite à ma discussion avec Kelly Torielli, je ne peux pas m’empêcher de transposer cette réflexion à la vie en général. Et si on faisait preuve d’un peu plus de douceur et de respect entre nous, que ce soit au travail ou dans notre vie personnelle? Comme Kelly le dit si bien, même si certains commentaires désobligeants sont faits sous le couvert de l’humour, ça peut être éreintant à recevoir à la longue.

Ce serait peut-être le moment de remettre en question la nature de nos interactions en personne ou sur les réseaux sociaux, surtout au coeur d’une année aussi rough que 2020.

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Bienveillance: Shantay, you stay! En fait, je nous lance ça comme un Maxi Challenge, avec un sourire aussi beau que celui de Jeffrey Bowyer-Chapman!

Et surtout, Don’t fuck it up!