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Rues désertes et appels absents, les temps sont durs pour les chauffeurs de taxi

Comment gagner sa vie la nuit quand les rues sont désertes?

Par
François Breton-Champigny
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Vendredi soir, 2 h du matin. Vous sortez du bar un peu éméché et pestez sur le fait que le bus ou le métro ne passe pas près de votre coin pour vous ramener chez vous.

C’est alors qu’avec grand soulagement, vous apercevez un taxi qui attend bien sagement qu’un badaud alcoolisé dans votre genre se présente. Il vous embarque et vous amène à un bon port.

Fin de l’histoire.

Avouez que ce scénario digne d’une époque révolue vous a donné les larmes aux yeux.

Tout comme une panoplie d’autres professions, les chauffeurs de taxi en prennent pour leur rhume depuis le début de la pandémie qui va souffler sa première bougie aromatisée au fumier dans à peine quelques semaines.

Au mois de mars dernier, plusieurs compagnies observaient déjà une baisse estimée de 75% de leur clientèle.

En effet, la fermeture des bars et des restaurants un peu partout à travers la province a eu un effet direct sur l’industrie du taxi. Au mois de mars dernier, plusieurs compagnies observaient déjà une baisse estimée de 75% de leur clientèle habituelle.

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Près d’un an plus tard, au moment où un couvre-feu force une très grande majorité de Québécois à s’encabaner à partir de 20h, on s’est demandé comment ça se passe pour les chauffeurs qui persistent malgré tout à être derrière le volant le soir et la nuit pour faire leur job.

Essayer de «tougher» malgré tout

«Faut que je tough jusqu’à 5-6h, mais c’est pas facile ces temps-ci. Y’a personne», avoue d’emblée Michel au bout du fil.

Le vétéran chauffeur comptant plus de 40 ans de métier dans le corps vient tout juste de se lever lorsqu’on le contacte pour une entrevue aux alentours de 11h. «Je fais trois shifts de soir par semaine. D’habitude, je réussis à me faire un peu d’argent, mais depuis un bout, j’arrive à peine à payer le gaz et les frais de location du taxi», se désole-t-il.

Depuis le couvre-feu décrété samedi dernier, c’est carrément la panne sèche. «J’ai embarqué 3-4 personnes en moyenne par shift. En temps normal, j’ai au moins trois fois plus de voyages. »

Selon lui, les clients qui ont utilisé ses services appellent à la centrale pour commander un taxi, «pour être sûrs de ne pas se faire coller par la police». «Les 5-6 autres calls que j’ai reçus provenaient de l’hôpital. Ils (les employés de l’hôpital) demandent souvent aux taxis d’aller livrer des médicaments ou d’autres affaires à des personnes qui peuvent pas sortir de chez eux», explique Michel.

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À une époque où le mot «pandémie» dormait bien paisiblement au fond d’un dictionnaire, l’ancien DJ dans le Vieux-Montréal pouvait compter sur une clientèle foisonnante de fêtards de fin de soirée des multiples clubs et bars de la métropole. «Ça a fessé fort quand ils ont tout fermé ça», admet simplement Michel, encore un peu engourdi par le sommeil.

«Même si y’a moins de monde, je vais pas commencer à lifter des tout croches pour autant. Je fais toujours attention à qui j’embarque.»

Pour pallier le manque de clients, le chauffeur doit faire «beaucoup plus de territoires» qu’à l’habitude. «Même si y’a moins de monde, je vais pas commencer à lifter des tout croches pour autant. Je fais toujours attention à qui j’embarque», assure-t-il, ajoutant du même souffle n’avoir embarqué personne jusqu’à maintenant qui semblait enfreindre le couvre-feu pour des raisons personnelles, juste des travailleurs essentiels.

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Les temps ont beau être durs, le sympathique bonhomme ne compte pas délaisser le volant de si tôt pour autant. Il a notamment besoin de cet argent pour subvenir aux besoins de sa fille de 10 ans.

Mais pour lui, conduire un taxi aux petites heures du matin, c’est plus que ça. «Je fais ça parce que ça me motive. Ça me donne une raison de me lever et ça, c’est priceless».

D’oiseau de nuit à lève-tôt

Même avant que le couvre-feu soit décrété, Martin avait commencé à faire des quarts de travail de jour, lui qui était pourtant habitué aux balades nocturnes depuis belle lurette. «C’était pas assez payant et je me suis dit que j’essayerais d’avoir un beat de vie plus “normal” et de dormir la nuit».

Mais la transition pour cet oiseau de nuit autoproclamé n’a pas été aussi facile qu’il le croyait. «J’ai de la difficulté à me lever le matin. Je suis trop accoutumé à vivre de soir et de nuit», explique-t-il.

’ai remarqué sur le système qu’il y avait eu 3 appels en 20 minutes pour toute l’île de Montréal. J’ai jamais vu ça.»

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Récemment, il a décidé de retenter sa chance en travaillant de nuit pendant le couvre-feu, se disant qu’il y aurait moins de compétiteurs et donc possiblement une opportunité de faire plus d’argent. «J’ai remarqué sur le système qu’il y avait eu 3 appels en 20 minutes pour toute l’île de Montréal. J’ai jamais vu ça», avoue le chauffeur avec plus de 5 ans d’expérience, qui est vite allé se coucher, désespéré de constater la famélique quantité d’appels.

Malgré un premier essai décevant, Martin compte retenter sa chance pendant un quart de soir prochainement, pour «voir si ça mord plus». Le chauffeur n’est d’ailleurs pas trop pessimiste pour la suite des choses. «Je pense que ça va revenir plus à la normale vers la fin de l’été quand les gens vont commencer à être pas mal vaccinés et que les commerces vont rouvrir tranquillement».

Côté perte d’argent, Martin se compte chanceux puisqu’il a un bon «deal» pour sa location qu’il ne paie «pas trop cher», ce qui n’est pas le cas de la plupart de ses collègues, qui doivent débourser «pas mal» d’argent afin de pouvoir rouler leur carrosse sur les rues de Montréal.

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Comme il n’a pas vraiment travaillé les soirs après 20h depuis la mise en place du couvre-feu, il ne peut pas se prononcer sur les possibles clients qui ont brisé les règles pour aller frencher leur crush ou faire du karaoké dans le sous-sol d’un ami à l’abri des regards.

En revanche, depuis le début de la pandémie, le chauffeur estime qu’«en masse» de clients ont utilisé son taxi pour aller dans des partys clandestins. «Quand ça fait “cling,cling,cling” dans le sac des clients, tu sais exactement ce qu’ils traînent, où ils s’en vont et ce qu’ils s’en vont faire. Mais on est pas là pour jouer à la police donc on dit rien».

9,25$

Pour tâter le pouls sur le terrain, on s’est d’abord aventuré sur la rue Dorion près du métro Papineau puis à deux pas du McDo près du métro Frontenac, où les chauffeurs de taxi attendent habituellement d’avoir un call ou un client fraichement sorti des wagons.

Premier constat en arrivant près du métro Papineau: la très grande majorité des chauffeurs interrogés vers 18h30 finissaient leur journée dans moins d’une heure. Aucun n’avait travaillé de nuit depuis le couvre-feu, mais plusieurs avaient entendu des histoires de collègues qui avaient constaté des rues « désertes » et une absence pratiquement complète de clients pendant leur quart de travail.

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« Bonne chance pour trouver quelqu’un à qui parler, plus personne veut faire de course après 8 heures », a lancé un des chauffeurs alors qu’on repartait bredouille de la rue Dorion vers le métro Frontenac.

«Avant je faisais souvent des shifts jusqu’aux petites heures du matin. Mais depuis un bout, avant même le couvre-feu, j’ai arrêté ça. Y’avait plus personne après 9h .»

C’est finalement Michel (un autre) qui a été le premier à vouloir nous parler. « Avant je faisais souvent des shifts jusqu’aux petites heures du matin. Mais depuis un bout, avant même le couvre-feu, j’ai arrêté ça. Y’avait plus personne après 9h , » témoigne-t-il entre deux bouffées de sa cigarette alors que des autobus de la STM passent en arrière de lui.

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Tout comme Martin, Michel n’a jamais vu la ville aussi morte en 50 années de service. « Hier, je suis sorti quelques heures pour voir si je pouvais faire une couple de piastres de plus. J’ai fait un lift pendant tout mon shift. La course coûtait 9,20$. Le client m’a donné 9,25$ et m’a dit de garder le change. Je n’ai même pas eu la force de m’énerver après », avoue-t-il, visiblement à bout.

Bien qu’il maugrée sans retenue sur les conditions « exécrables » des chauffeurs de taxi pendant l’entretien, et ce même avant la pandémie selon lui, l’homme d’un certain âge continue de faire quelques sorties de taxi par semaine. « Ça m’occupe. Pis ça aide à arriver à la fin du mois », explique Michel, qui confie ne pas avoir un sou en banque et être un artiste « fini » qui pratique une forme de tai-chi thérapeutique dans ses temps libres.

À la lumière de ces témoignages, on se dit qu’une petite ride en taxi pour aller marcher sur le mont Royal ou prendre une bouffée d’air frais sur le bord du fleuve à Lachine ne serait pas une mauvaise idée.

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