Logo

Rosemont : un projet de refuge pour itinérants dans une ancienne église sème la discorde

Un affrontement entre des citoyens en quête de réponses et des élus qui peinent à les rassurer.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

C’était salle comble, lundi soir, au Centre communautaire Petite-Côte, à l’occasion du conseil d’arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie.

Un achalandage record, de l’aveu même du maire François Limoges, en poste depuis 2021 sous la bannière de Projet Montréal.

S’y entassaient des citoyens de tous les âges, plusieurs familles aussi, forçant quelques membres du comité exécutif à tirer leurs tables pour permettre à tout le monde de se frayer un chemin dans la salle.

Tout ce beau monde n’était pas là pour en apprendre plus sur la distribution de fleurs et de plantes potagères du 25 mai prochain, ni pour exiger l’ajout d’un dos d’âne sur une rue passante, mais bien pour ventiler leur inquiétude entourant un projet précis.

L’histoire remonte à janvier dernier, lorsque Le Devoir révèle le dépôt par la Ville d’une promesse d’achat de 2,5 millions de dollars pour acquérir deux immeubles, afin de leur donner une vocation sociale et communautaire.

Publicité

Un de ces bâtiments est l’église Sainte-Bibiane, située à l’angle du boulevard Saint-Michel et de la rue Dandurand, fermée depuis octobre 2022.

« L’ancienne église accueillera des “services aux personnes en situation de vulnérabilité” », mentionne un document annexé à la promesse d’achat faite par la Ville à l’Archevêché de Montréal, propriétaire du lieu de culte.

Même si les mots « refuge pour itinérants » ne sont pas explicitement inscrits dans l’avis, on peut facilement lire entre les lignes en parcourant la suite du document, dans lequel on énumère des exemples de services incluant l’hébergement, la nourriture, l’intervention psychosociale et l’accompagnement vers le logement.

Publicité

Rien de surprenant lorsque l’on sait que les ressources d’hébergement sont pleines à craquer à la grandeur de l’Île, forçant les refuges à refuser des milliers d’individus chaque année, rapporte le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). Cet enjeu dépasse largement Rosemont, mais le projet de refuge s’inscrit dans une volonté du milieu de financer des lieux d’accueil selon un modèle 24/7.

Si la ville centre ne nie pas l’existence d’un projet de refuge pour sans-abri, elle se fait avare de détails sur ses tenants et aboutissants. Résultat : le voisinage de l’église nage en plein brouillard, reprochant à l’arrondissement son manque de transparence dans ce dossier.

Même flou pour le sort réservé aux quatre locataires actuels du presbytère – dont la Maison d’Hérelle offrant de l’hébergement à des personnes atteintes de VIH -, qui pourraient voir leur bail résilié dans la foulée de la transaction.

Publicité

« Pourquoi on a l’impression que les dés sont déjà pipés? »

C’est dans ce climat d’incertitude que s’est ouverte la séance du conseil d’arrondissement.

D’incertitude et de tension, aussi, puisque quelques citoyens courroucés ne se gênaient pas pour passer leur message, malgré les appels du maire au respect du décorum. Les « c’est pas chez vous que ça va aller chier!» et le proverbial « pas dans ma cour », se sont néanmoins fait rabrouer par la salle. Les gens ont beau être préoccupés, ça ne veut pas dire qu’ils s’opposent nécessairement au projet de refuge. Ils ont juste l’impression d’être volontairement laissés dans la noirceur quant à sa définition. « Pourquoi on a l’impression que les dés sont déjà pipés? », a résumé une voix dans la salle remplie à craquer, dans les acclamations générales.

Et c’est là le nœud de l’affaire. Si les élus martèlent que le projet est embryonnaire et pas encore approuvé, des citoyens sont parvenus à en apprendre les grandes lignes en passant quelques coups de fil.

Publicité

En gros, la Ville, avec la collaboration de l’arrondissement, aurait l’intention de présenter un projet de refuge d’une cinquantaine de lits, offrant des services 24h/7 et subventionné par le CIUSSS.

Le porteur communautaire demeure inconnu à ce jour, tout comme l’échéance du projet.

Martelant que ce dernier n’est pas encore entériné, l’arrondissement a néanmoins souligné qu’il avait déjà fait connaître ses conditions, soit un refuge pour maximum 30 personnes (au lieu des 50 évoqués dans l’avis initial et réclamés par le CIUSSS).

Avant de lancer la période de questions, le maire Limoges a rappelé les règles à suivre. L’une d’elles, limitant à trois le nombre de questions sur un même sujet, a entraîné un tonnerre de désapprobation.

-Les règles sont toujours les mêmes, a plaidé le maire.

-On peut s’adapter! Pourquoi pensez-vous que nous sommes si nombreux ici?, a fait valoir l’auditoire.

« Ce sont des êtres humains. »

Serge, se décrivant comme un militant connu dans le quartier, s’est avancé le premier au micro pour briser la glace en évoquant le sujet présent sur toutes les lèvres. « Je suis venu dire que j’appuie François (Limoges) dans son projet d’aménagement de l’église Sainte-Bibiane. Je trouve médiocre la manière dont on parle des itinérants. Ce sont des êtres humains et non des monstres », a-t-il fait valoir, demandant au maire de mieux convaincre les gens que c’est un « crisse de bon projet ».

Publicité

Le cri du cœur de Serge a suscité un mélange d’applaudissements et de réserve, à l’image du climat qui régnait dans la salle.

Au tour de Simon de faire valoir ses arguments. Le citoyen a d’abord présenté au greffier une pétition de près de 900 signatures obtenues lors d’un porte-à-porte dans le voisinage, réclamant grosso modo une plus grande transparence de la part de l’arrondissement quant au dossier. « On demande à l’arrondissement de s’engager à une analyse sérieuse des besoins et des impacts sociétaux liés à l’implantation de différents types d’hébergement pour personnes vulnérables avant de donner l’aval à un refuge à fort volume », peut-on notamment lire sur la pétition.

Publicité

Simon a ajouté être parfaitement conscient du contexte actuel et de l’importance de faire sa part pour les plus vulnérables, mais réitère ses craintes de voir les citoyens laissés en plan dans le processus. « Comment allez-vous défendre les concitoyens qui veulent s’impliquer auprès de l’administration Plante? Avez-vous le courage de nous défendre auprès de la machine politique? », a demandé Simon dans les applaudissements nourris.

La plupart des citoyens présents veulent être mis à contribution d’un éventuel projet, dans le but de préserver un milieu de vie sécuritaire et familial autour de l’église.

Même son de cloche chez Sébastien, soulignant la solidarité historique des citoyens de Rosemont. « On est capables de faire notre part pour répondre à une crise qui nous dépasse, mais je suis d’accord avec tout le monde qu’il nous manque des détails », concède le résident, souhaitant lui aussi que l’organisme mandataire accepte de travailler de concert avec le voisinage.

Publicité

Les besoins sont criants

Une fois encore, le maire Limoges a rappelé que le projet n’avançait pas aussi vite que les gens semblent le croire, qu’il faudra aussi probablement décontaminer et mener d’importants travaux dans l’église advenant une éventuelle conversion en refuge.

François Limoges a toutefois rappelé l’urgence et la gravité de la situation, faisant état d’un bond de 44% de la population itinérante entre 2018 et 2022, selon des données obtenues grâce au dernier dénombrement.

À l’échelle locale, les organismes PACT de rue et L’Anonyme sont intervenus auprès de centaines de personnes dans l’arrondissement l’an dernier seulement. « Les deux tiers des personnes en situation d’itinérance n’ont pas de places dans les ressources, et il n’y en a aucune dans notre arrondissement. Les gens vivent pourtant de plus en plus de chèque de paye en chèque de paye et les besoins sont criants », a illustré le maire.

Publicité

Une dernière citoyenne, Geneviève, a demandé aux élu.e.s s’il existait à l’heure actuelle la moindre étude d’impact concernant la sécurité des enfants, en lien avec un éventuel projet de refuge. La présence de seringues dans l’espace public préoccupant les familles avec de jeunes enfants. « Je ne sais pas quoi dire, parce que des ressources du genre existent déjà dans plusieurs quartiers, sans que ça ne soit dangereux pour les enfants », a finalement résumé le maire, pour finalement demander la tenue d’un conseil extraordinaire pour parler seulement du projet de l’église Sainte-Bibiane.

Le droit d’avoir l’heure juste

Après les trois questions prévues pour l’église, la salle s’est rapidement vidée.

Le projet n’est pas plus clair, mais la grogne est palpable et la mobilisation concrète.

Les élu.e.s ont beau répéter qu’aucun projet n’est encore officiellement sur la table, personne ne semble dupe. Un projet de refuge est dans l’air et les citoyens aimeraient y jouer un rôle en amont, plutôt que d’en subir les dommages collatéraux.

Publicité

À l’heure du cynisme envers la politique, le projet de refuge à l’église Sainte-Bibiane serait l’occasion idéale de prouver que la politique est au service du peuple et non le contraire.

Pendant que la population itinérante donne à Montréal des airs d’hôpital psychiatrique à ciel ouvert, avec la crise du logement et des opioïdes, force est d’admettre que la recette actuelle ne fonctionne pas. Les refuges débordent, le nombre de sans-abri augmente sans arrêt, les campements poussent un peu partout et la tolérance de la population est parfois mise à rude épreuve dans certains quartiers résidentiels.

Publicité

Le pouvoir politique a jusqu’ici échoué à gérer cette crise majeure dont les répercussions se font voir jusque dans le métro et débordent aux quatre coins de la province.

Et si la solution reposait en partie entre les mains des citoyens? Et si l’inclusion des personnes en situation d’itinérance passait par une mixité sociale, participative et volontaire?

Les citoyens de Rosemont semblent en tout cas déjà avoir quelques pistes de réflexion, écoutons-les.

Publicité

Et de grâce, accordons-leur plus que trois petites questions dans un conseil d’arrondissement, tout aussi chaotique soit-il.