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Romance sur la Plaza

Une épopée culinaire épistolaire entre deux auteurs populaires

Par
Marie Darsigny
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Marie : Poulet à rabais pour célibataire en solitaire

Je brave une tempête pour aller m’assoir dans une salle à manger brune. C’est ce que je me répète alors que je remonte la Plaza St-Hubert vers le nord, vers la glorieuse enseigne jaune et rouge du St-Hubert Express. J’y arrive, j’enlève mes lunettes pour me présenter à la serveuse derrière sa caisse.

“Je dois éponger une larme, c’est l’émotion”, dis-je, morvant sur ma gueule gelée par le -21 en contraste avec le chaud intérieur de la maison du poulet (qui, soit dit en passant, est la fière première succursale du Québec, d’où le nom St-Hubert). C’est fou ce qu’on ne ferait pas pour, oh I don’t know, se nourrir.

Très noble comme besoin, que je me dis.

En consommatrice avertie, je commande TOUTES LES SAUCES, d’un air blasé.

“Toutes les sauces?”, qu’on me demande.

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“Ouaip, tu peux même me charger un surplus”, que je fanfaronne comme si j’étais millionnaire.

On m’annonce que ce petit plaisir sera gratuit pour mes beaux yeux. C’est comme si la St-Valentin avait été devancée de deux semaines. Fiesta.

Mon assiette est déposée devant moi et c’est alors qu’un miracle se produit : j’ai quatre filets au lieu de trois! Quatre filets pour quatre sauces : décidément, quelqu’un m’aime bien dans les cuisines du St-Hubert.

Comme il s’agit d’un restaurant Express, je dois moi-même choisir ma table. La salle est comble, je n’ai donc pas le choix de m’installer à côté des toilettes. Chic. La famille à côté de moi me dévisage alors que je prends mon repas en photo. Quoi! Je dois bien immortaliser cette gastronomie, telle une Marie-Claude Lortie des pauvres.

Je m’installe pour manger mon festin à saveur de larmes. Comme toute bonne personne en solitaire dans un endroit public, je ne quitte pas mon cellulaire des yeux. Je swipe à gauche une couple de fois.

Je texte mon ami Ed : “Que fais-tu? Je conduis une expérience sociologique au chic St-Hub de la Plaz’. Il semblerait que Justin Bieber et éclairage néon tamisé sont bons pour l’âme.”

C’est la soirée des miracles : Ed me répond qu’il est à un coin de rue, au célèbre McDonald’s de la Plaza. Telles deux âmes esseulées, nos destins se rencontrent dans un grand feu d’artifice.

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En mangeant un filet trempé dans la sauce aux fruits (le moment que vous attendiez tous : mon ranking de sauces! #1 : double-dip de sauce St-Hubert et miel; #2 : sauce BBQ; #3 : sauce aux fruits; #4 : sauce aigre-douce), j’observe les familles dans la salle. St-Hubert, du moins dans son concept de salle à manger, est habituellement synonyme de petites familles bien tranquilles.

Le célibataire en solitaire, lui, commande habituellement via internet ou téléphone afin de déguster son poulet dans le confort de son havre de paix. Je me trouve donc à défier les conventions en m’attablant ainsi seule devant mes frites moites. Un acte de résistance. Girl power!

Un petit pas pour la femme, mais un grand pas pour l’humanité.

Ed, de son côté, finit son trio Big Mac. Je lui propose de venir me rejoindre.

“Pis, c’était comment?”, que je demande.

“Correct. Ambiance McDo”, dit-il en rotant.

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Glorieuse expérience. Nous sommes prêts à quitter. Je m’énerve avec mon verre en carton : “Attends, je vais me faire un dernier refill de Coke Zéro”. Je salue la salle, les banquettes, la distributrice de sauce brune, les caissières avec leurs tabliers brodés d’une tête de coq. Les premières notes de “Constant craving” de k.d. lang se font entendre.

Nous reviendrons.

***

Ed : Junk food frais pour Tinder match fin prêt

Chaque fois que je rentre à la maison, je m’exclame avec le sourire dans la voix “Salut chérie, c’est moi !” C’est juste plate que ça fasse plus d’un an que je me suis fait crisser là pis que j’habite seul dans un demi-sous-sol de pauvre en arrière de la Plaza Saint-Hubert.

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L’autre soir, quand il neigeait pis qu’il ventait pis c’était le vrai de vrai hiver, j’ai décidé de m’éviter le silence glacial qui suit tout l’temps mon “Salut chérie, c’est moi” pis je suis offert la chaleur d’un repas au restaurant. Vu que j’avais des coupons dins poches, j’ai choisi naturellement le McDonald’s au coin de Beaubien pis de Saint-Hubert.

Trois minutes et quart plus tard, j’étais attablé à côté des machines à liqueur avec mon trio Big Mac pis mon iPhone ouvert pour liker des femmes sur Tinder. Une bande d’adolescentes bicurieuses jouaient à la tag barbecue autour des tables, tandis que je me goinfrais sans faire le difficile autant sur la qualité de la bouffe qu’avec les femmes que je swipais à droite sur Tinder.

Mon cell a soudainement buzzé, c’était ma chum Darsigny qui me textait.

“Que fais-tu? Je conduis une expérience sociologique au chic St-Hub de la Plaz’. Il semblerait que Justin Bieber et éclairage néon tamisé sont bons pour l’âme.”

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Une coïncidence de même, on aurait voulu l’inventer qu’on se serait pété le nez contre le mur de l’invraisemblable.

“Chu au McDo à 100 pas de toi. J’tais dû pour une séance de luminothérapie.”

Les tites filles gloussent à chaque fois qu’elles se taguent pis qu’elles doivent se donner des becs. Elles se doutent pas une seconde qu’elles vont passer leur vie à briser ou se faire briser le cœur. L’amour est mort le 12 septembre 2012 quand l’application Tinder a été lancée. Tinder, c’est la manière facile de savoir qu’il y a toujours quelqu’un de mieux pas loin.

Encore cinq profils pis j’éteins, mais cinq profils plus loin, j’éteins pas, d’un coup que je pogne le match des matches, mais le match des matches, je vais aller boire quelques verres avec pis je vais le frencher pis peut-être le fourrer, pis le lendemain, je vais rouvrir Tinder, d’un coup que.

Darsigny m’invite à la rejoindre au Saint-Hubert, j’éponge la sauce à Big Mac pognée dans ma barbe pis je mets mon coat. Juste avant de partir, je fais une jambette à une des adolescentes, elles s’enfarge et tombe dans une flaque de slotche. Je m’excuse, je m’excuse en lui disant “c’est pas toi c’est moi” pis je sacre mon camp tandis que ses copines me maudissent.

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Je trouve Darsigny affalée à sa table à faire des bulles; quatre filets de poulet, c’est beaucoup trop pour une jeune femme comme elle. Je l’invite à venir jouer au Ouija à la maison; y a tellement de morts ces temps-ci, on devrait avoir du succès.

Quand on arrive à mon appart, je dis pas “Salut chérie, c’est moi” vu que je suis pas tout seul.

Enfin.

***

Pour lire un autre texte de Marie Darsigny : “Garde ça pour ton journal intime”

Pour lire un autre texte d’Edouard H. Bond : “La fin de l’amour”

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