.jpg)
Rocca : rencontre avec une légende du rap français
En 1995, Rocca a sorti, avec son groupe La Cliqua, un mini-album, Conçu pour durer, qui a marqué à jamais l’histoire du rap français. En 1997, le rappeur Franco-Colombien a débarqué au Québec pour une mini-tournée où il se souvient avoir « croisé des Hells Angels » et rappé avec Rainmen. Plus de 20 ans après, Rocca est toujours là. Et il s’est confié à URBANIA sur ses multiples projets et sa vie à Bogotá.
Voici ce qu’il avait à dire.
La dernière fois que tu étais venu au Québec, c’était en 1997 avec ton groupe La Cliqua…
Ouais! J’en ai gardé de vagues souvenirs parce que c’était une époque où j’étais un peu fou dans ma tête! Je me souviens quand même qu’on avait croisé des Hells Angels, fait plusieurs concerts et un freestyle avec Rainmen (l’un des premiers groupes du hip-hop québécois). Le Québec a toujours beaucoup apprécié le rap français. Et ça se ressent quand on vient ici encore aujourd’hui.
Que penses-tu de Montréal?
J’adore! La dernière fois, j’étais venu en été et c’était vraiment bon. Il y a un vrai mélange culturel. On a aussi l’impression que les gens viennent chercher une nouvelle vie à Montréal, des gens qui ont toutes sortes de passés, des passés parfois obscurs. J’ai rencontré quelques mecs au passé douteux qui viennent se planquer ici. J’ai compris! (Rires)
En parlant de mélange culturel, tu as pris l’habitude, depuis ton album Bogota Paris, de rapper tes morceaux à la fois en français et en espagnol. Tu peux nous expliquer ta méthode de travail?
Artistiquement parlant, c’est très intéressant parce que je fais une recherche dans les sonorités. Je ne fais pas une traduction d’une langue à l’autre, c’est plus une adaptation. Je traite un même thème du point de vue d’un Français et du point de vue d’un Colombien. Ce sont deux contextes différents. Les punchlines et les rimes ne sont pas les mêmes. Mais l’émotion doit rester la même. Et je garde le même flow. J’ai commencé à travailler comme ça sur Bogota Paris, et c’est devenu maintenant un automatisme. Mon prochain disque, Cimarron, sera également en français et en espagnol.
Lors d’un voyage à Medellín, j’ai rencontré des rappeurs qui m’expliquaient que c’était dur pour eux d’exister en Colombie face aux artistes de reggaeton qui ont attiré toute la lumière sur eux…
C’est un peu vrai. Les artistes reggaeton ont tout volé aux rappeurs. Mais il y a aussi une nouvelle génération de rappeurs en Amérique Latine qui arrivent à exister malgré tout. Je suis parti à New York faire un groupe de rap latino, Tres Coronas, bien avant que le tsunami reggaeton nous tombe dessus. On a survécu à ça. Et il y a aujourd’hui de très bons artistes en Colombie qui ont grandi avec Tres Coronas, des gars comme la Crack Family ou Alcolirycoz. Je suis content d’avoir pu parrainer, indirectement, cette nouvelle génération d’artistes.
Tu as commencé ta carrière à une période qu’on appelle aujourd’hui « l’âge d’or du rap français ». Quel regard portes-tu sur ces fameuses années 90?
À l’époque, il y avait une émulation musicale et artistique très intéressante en France, mais aussi dans les autres pays francophones. Les rappeurs cherchaient à ramener quelque chose de nouveau. Ce n’était pas une musique commerciale. La qualité primait. Aujourd’hui, on a du rap « fast food ». Le rap est devenu un chewing-gum. Tu le mâches, mais il ne te nourrit pas l’âme ni l’estomac. Tu le recraches et tu en prends un autre, il n’en reste rien. J’ai réécouté récemment le premier album éponyme de La Cliqua (sorti en 1998) et il y a des morceaux qui n’ont pas vieilli comme Jackpot, Le grand bluff, La vie dure, des morceaux hyper dark qui ont encore une résonnance très actuelle…
T’écoutes du rap français aujourd’hui?
Je vis en Colombie, dans une thématique culturelle complètement différente. Quand je suis entouré de ma femme et de mes amis à Bogotá, c’est très difficile pour moi de me mettre en mode rap français. J’en écoute seulement quand je vais en France. Le dernier truc qui m’a vraiment plu, c’est l’afro trap, un mec comme MHD, j’ai trouvé ça original. Sinon, j’ai du mal à écouter des mecs qui pompent des flows qui ne sont pas à eux. J’ai grandi à une époque où même si on s’inspirait des Américains, on avait un flow bien à nous.
Tu as composé la trame sonore du film de Jorge Navas, Somos Calentura, qui sortira en 2018. Tu peux nous parler de ce projet?
C’est un film sur des jeunes qui se lancent dans un battle de danse pour gagner l’argent qui leur permettrait de rembourser leurs dettes. Ça se passe à Buenaventura qui est l’un des endroits les plus défavorisés de Colombie, où vivent de nombreux Afro-Colombiens. Beaucoup de multinationales, notamment canadiennes, sont là-bas et pillent la forêt et les ressources naturelles. Les populations locales qui travaillent pour ces multinationales n’ont rien, pas même l’eau potable. C’est une situation sociale très compliquée avec beaucoup de trafiquants, de paramilitaires et de guerrillas qui gravitent autour.
Qu’as-tu pensé d’une série comme Narcos?
Cette série nous a fait beaucoup de mal. En Colombie, les gens ont détesté Narcos. Plus généralement, il y a beaucoup de clichés sur la Colombie. Les gens pensent qu’on porte tous la moustache, qu’on vend tous du café ou qu’on parle tous avec l’accent de Medellín.
À quoi ressemble la vie à Bogotá?
Il n’y a pas un Bogotá, mais des Bogotá, le Bogotá de l’injustice, le Bogotá du vice, le Bogotá de la corruption, le Bogotá de la musique, le Bogotá du street art… Malheureusement, c’est une ville complètement séparée par les castes sociales. Ce sont des frontières transparentes qui sont malgré tout flagrantes. C’est très sectorisé. C’est aussi une ville où il manque un métro pour pouvoir bouger d’un endroit à l’autre, contrairement à Medellín qui a le métro et le tramway… Bogotá, c’est encore très chaotique, c’est une pieuvre, c’est une ville que tu détestes ou que tu adores. Ça dépend dans quel coin tu te retrouves!
Rocca est en concert ce samedi à la Sala Rossa à 23 h 15 dans le cadre de M pour Montréal.