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Rire Queer

Fini les « les gars sont comme ci, les filles sont comme ça ».

Par
Sarah-Florence Benjamin
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« Je suis tannée de devoir commencer mes performances en disant : “Bonjour, je suis une femme trans!” C’est pas comme si les hommes qui font de l’humour ont à commencer leurs performances en disant : “Bonjour, je suis problématique!” » Cette blague de l’humoriste Tranna Wintour a bien fait rire sur le plateau de l’émission L’heure est grave en 2018. Il aurait été impensable de l’entendre sur les ondes de la télévision publique il y a quelques années à peine. L’ouverture face aux personnes issues de la diversité sexuelle se fait de plus en plus grande au Québec et l’humour n’y fait pas exception. L’humour queer, on en fait aussi ici même, à Montréal.

L’humour queer, selon Christelle Paré, enseignante à l’École nationale de l’humour (ÉNH), c’est « un humour qui sort des stéréotypes sexuels et de genre, une perspective nouvelle. » Fini les « les gars sont comme ci, les filles sont comme ça », l’humour queer emmène le public loin des sentiers battus.

Il y a l’humour queer et les humoristes queer et un n’implique pas nécessairement l’autre. « C’est un concept assez large qui va au-delà de l’identité », explique l’experte. Il sera donc question d’humoristes queer qui font des fois de l’humour queer et des fois pas et d’humoristes pas queer qui font de l’humour queer. Tout va bien jusqu’ici? Allons-y.

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L’humour queer, pourquoi?

« Je fais l’humour qui me manquait quand j’ai commencé », explique l’humoriste Coco Belliveau. Originaire de Grand-Sault au Nouveau-Brunswick. Belliveau en a fait du chemin avant d’être à l’aise de partager ses expériences plus personnelles, notamment sa pansexualité, mais aussi, l’agression sexuelle qu’elle a subie. « J’attendais d’être assez habile pour être certaine d’amener ces sujets-là avec tact, mais aussi pour que ça fasse rire les gens », explique-t-elle.

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La beauté incarné (comme mon ongle). 📷:@blakar_photographie

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S’il y a une part didactique aux numéros éclatés de Coco Belliveau, pour Thomas Leblanc, aussi humoriste, ce qu’il fait doit rester avant tout un divertissement : « J’apprécie vraiment les humoristes qui sont capables de sonner très smart, mais mon but premier est de faire rire. » Cela ne l’empêche pas d’être militant à sa façon. « Ma manière de faire passer un message, c’est d’être qui je suis », affirme l’humoriste qui fait de son homosexualité la pierre angulaire de ses numéros.

C’est une vision de l’humour que partage Tranna Wintour sa collègue autant sur scène qu’à la barre de Chosen Family, un podcast produit par CBC Radio. Artiste multidisciplinaire, elle est la première humoriste transgenre à se faire connaître dans l’univers francophone de l’humour au Québec. Pour elle, la représentation est le meilleur moyen d’encourager des personnes issues de la diversité sexuelle à se lancer en humour : « C’est dur de croire que toi aussi tu peux faire ça quand tu ne vois personne qui te ressemble sur scène. »

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C’est par souci de représentation que Wintour partage son expérience, mais aussi pour créer un échange avec le public. « La scène est très importante pour moi, ça me permet de rendre les gens heureux et de créer une communauté », explique l’humoriste originaire de Pierrefonds. Le désir de rassembler des personnes qui partagent des référents et des expériences semblables revient sans cesse comme motivation pour les humoristes queer.

S’autoproduire

Tranna Wintour se rappelle avoir donné son premier numéro dans le salon de l’appartement d’une amie avant d’essayer les open-mic dans les bars. Dès qu’elle en a été capable, l’humoriste a produit elle-même ses spectacles : « On ne peut pas attendre de se faire donner la permission d’aller sur scène ».

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Pour les artistes issus.e.s de la diversité sexuelle, il est plus difficile d’accéder au même temps de scène que leurs homologues plus privilégiés. « Je ne peux pas attendre qu’on me donne les mêmes chances qu’à un gars straight, il faut que je crée ma propre opportunité », affirme Wintour qui aimerait un jour créer une soirée open-mic réservée aux personnes marginalisées.

C’est ce genre d’opportunités qu’espère offrir le Snowflake Comédie Club. La soirée d’humour anti-oppressif a été remise sur pied en novembre 2019 par les humoristes Radicalice et Mathieu Chiasson. « Ce qu’on veut, c’est offrir une soirée où on peut garantir que les gens vont se sentir en sécurité avec ce qui va se dire sur scène, mais aussi dans l’endroit où ça se passe. », explique Radicalice qui coanime la soirée.

Pas de censure, cependant, au Snowflake, comme l’explique l’animatrice : « On ne va jamais relire les textes des humoristes, on se fie à leur bon jugement. Iels savent ce que les gens cherchent en venant ici. Une blague homophobe, sexiste, raciste ou transphobe, ça va juste pas passer. » Et ça fonctionne : « Avant la pandémie, toutes nos soirées étaient sold-out! Il y a un public qui est avide d’humour, mais qui est tanné de tomber sur des soirées “jambon” [rire]. »

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Elle reconnait néanmoins que le Snowflake Comédie Club pourrait être encore plus inclusif, notamment pour les personnes de couleur : « On aimerait en voir plus de la diversité en humour. Mais, celleux qui ont les ressources et le temps pour produire une soirée, ce sont toujours les gens les plus privilégiés. C’est donc notre responsabilité en tant que personnes privilégiées de faire l’effort. »

Quelques pas vers la diversité

L’état de la scène montréalaise n’est cependant pas coulé dans le béton. On voit de plus en plus de nouveaux visages en humour, bien différents de la figure de l’humoriste grand public traditionnel. Cela a tout à voir avec de profonds changements subis par l’industrie depuis 15 ans, selon Christelle Paré.

« Pendant les années 90 et 2000, au Québec, c’était très facile pour un.e humoriste talentueux.se d’être signé.e par une agence très rapidement, parfois même à la sortie de l’école », raconte-t-elle. Cette vitalité du milieu ne l’empêche pas de saturer au milieu des années 2000 : « On n’avait plus besoin de signer de nouveaux talents, ceux qui avaient signé 5 ou 10 ans auparavant produisaient encore de nouveaux spectacles. C’était encore très rentable », évoque Christelle Paré.

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La relève, laissée à elle-même, s’est donc tournée vers les soirées dans les bars, qui se sont alors multipliées à vitesse grand V à Montréal. C’est l’apparition de ce « circuit parallèle des bars » qui est à l’origine de la diversification du paysage humoristique depuis une quinzaine d’années selon Paré : « On voit de plus en plus des artistes qui ne sont pas passé.e.s nécessairement par l’ÉNH. Les soirées de bar permettent d’expérimenter et de faire émerger des voix qu’on n’aurait pas entendues dans le mainstream. »

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Ce changement, Thomas Leblanc le constate dans les goûts du public, mais aussi dans le matériel des humoristes : « Les gens recherchent de plus en plus des points de vue différents. C’est comme si on avait flippé le script. Être gay, ce n’est plus le punch de ta joke. Maintenant, ce sont des homophobes qu’on rit. »

L’avenir plus queer?

Bien qu’il reste beaucoup de travail à faire, Christelle Paré se dit optimiste : « Ce qui freine majoritairement les carrières des humoristes issu.e.s de la diversité, sexuelle ou autre, c’est la prise de risque économique. » Les productions craignent que le public soit incapable de s’identifier à ces humoristes et que la vente de billets en souffre. « Pourtant, on le voit, l’originalité, ça marche », affirme la spécialiste.

Pour Radicalice, certains changements structurels sont nécessaires pour permettre une plus grande inclusivité en humour : « Le problème, c’est que l’humour n’est pas protégé comme un art au Québec, donc il n’y a pas de subventions. Quand la majorité du revenu d’un.e humoriste provient de la vente de billets, c’est tentant de vouloir parler au plus commun dénominateur. »

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Il se pourrait que nous assistions bientôt à une transformation de la scène humoristique, secouée par une vague de dénonciations en ligne d’agressions sexuelles et de comportements déplacés, vague qui suit de près celle du mouvement #Metoo et de l’affaire Gilbert Rozon en 2017.

La présente crise sanitaire aura sans doute aussi des effets à long terme sur l’humour, et le reste de l’industrie culturelle. Plus flexibles que les grosses productions des humoristes vedettes, les petites soirées auxquelles participent les humoristes queer s’adaptent déjà. Plusieurs d’entre elles ont repris dans les parcs et les petites salles. Impossible de prévoir ce que l’avenir réserve à la scène humoristique montréalaise, on sait seulement qu’elle en ressortira profondément changée.

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Queer, qu’est-ce que ça veut dire?

« Queer », au départ, c’est une insulte en anglais dirigée vers les personnes qui sortent du cadre hétéronormatif. Depuis, le terme a été réapproprié par ces communautés. « Queer » désigne toutes les identités, mais aussi les pratiques et les idées qui remettent en cause les modèles sociaux en matière de genre et de sexualité. Le concept implique une contestation. Ce n’est donc pas juste une manière de ne pas avoir à répéter LGBTQIA2+ tout le long du texte.

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Source : Internligne, 2016, « Définitions sur la diversité sexuelle et de genre »