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Il y a une différence entre ne rien faire et faire rien. Nous sommes tous plus ou moins capables de ne rien faire. Mais peu d’élus savent faire rien.
Et voilà. L’été plombe sur la terrasse, dans les relents de sieste. Au loin, le bruit d’un hélicoptère. Parfois un haut-parleur, quelque part, hurle les commentaires d’une course à pied qui se rendent jusqu’ici dans des restants de sons sourds. Même la 20 fait des bruits de vagues, pourvu qu’on soit un peu poète. On fermerait les yeux et on se retrouverait sur une plage de la Méditerranée.
Mais alors même que l’idéal semble s’installer, j’avoue que mon âme est ailleurs, à vouloir me garder éveillé alors que je voudrais m’éteindre. En fait, mon esprit se cherche des problèmes à résoudre, fouille dans mon trouble ou bâtit des plans. Pas moyen de se reposer vraiment. Ma torpeur est empêchée par un empressement inutile.
Bref, comme la plupart d’entre vous, je suis un handicapé du rien.
Rassurons-nous — on a déjà assez de tracas comme ça —, nous ne sommes ni les seuls ni les premiers. Le plus grand d’entre nous, c’est Siddhartha Gautama, mieux connu sous le nom de Shakyamuni. Comme nous, il était un petit prince élevé loin de toute misère et de tout souci matériel. Comme nous, protégé des tourments et de l’adversité derrière les murs du palais — ok, pas comme nous d’abord. Il grandit ainsi à l’abri du vrai dehors, jusqu’à ce beau matin où il décida d’aller se promener dans les rues de la capitale, Kapilavastu. Son père déploya alors des trésors d’efforts pour cacher la misère aux yeux de son fils chéri, mais patatras, Shakyamuni découvrit le monde tel qu’il était. Le petit prince décida alors qu’à 29 ans, il ne pouvait plus vivre dans l’ignorance, la jouissance et la richesse. Dans la nuit, il quitta le royaume, dépourvu de tous ses ors et pieds nus, en quête d’un nouvel idéal.
Crâne rasé, mendiant et démuni, il pose alors la même question à ceux qu’il rencontre : « Connais-tu le remède à ce mal : la vie ? ». Dans sa quête, il reçoit le sage enseignement dans le royaume de Magada et devient Yogi. Six ans plus tard, dans la plus grande austérité de son apprentissage, dans la souffrance de la faim et de la soif, dans le vide le plus total, Shakyamuni atteindra l’éveil ; et Shakyamuni deviendra le premier Buddha. Nous sommes en 523 avant notre ère.
Installé sous un figuier, dans la pose de la méditation, langue collée contre le palais, souffle retenu, Shakyamuni torture son esprit pour imposer le vide absolu. « Tandis que je faisais ces découvertes et que je me livrais à ces contemplations, mon âme était délivrée du péché de la convoitise, délivrée du péché du devenir, délivrée du péché des fausses croyances, délivrée du péché de l’ignorance. »
Le Buddha resta 49 jours dans cet état de méditation et découvrit alors la Noble Vérité. « La naissance est souffrance. La vieillesse est souffrance. La maladie est souffrance. La mort est souffrance. Le chagrin, la douleur, la tristesse et le désespoir sont souffrance. Être uni à ce que l’on déteste est souffrance. Être séparé de ce que l’on aime est souffrance. Ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance. En un mot, l’attachement est souffrance. La cessation de cette souffrance, c’est le renoncement, le détachement. »
Notre incompatibilité au vide est alors bien compréhensible.
Le vide révèle une vérité insupportable : le bonheur, c’est du rien.
Cette semaine The Verge révélait une expérience scientifique toute simple, menée par l’Université de Viriginie. L’idée était de placer une personne seule dans une pièce vide, sans accès à un téléphone, un livre ou une télé. Rien. Seul face à soi-même. L’expérience durait de 6 à 15 minutes. Pas 49 jours, 15 minutes! Comme la plupart des gens trouvaient difficile de ne rien faire du tout, les scientifiques leur offraient une activité optionnelle. Les candidats pouvaient s’ils le désiraient s’administrer à eux-mêmes… un choc électrique. Comme ça, pour s’occuper.
Résultat : 12 hommes sur 18 préféraient s’envoyer du courant dans le corps que de ne rien faire. Chez les femmes, un résultat plus rassurant : 6 sur 20. Un gars a même pesé sur le piton 190 fois. L’Université avoue elle-même que l’étude n’est pas assez approfondie pour tirer des enseignements valables, mais tout de même, l’idée que plus de la moitié des gens préfère s’électrocuter eux-mêmes qu’attendre 15 minutes à ne rien faire, ça n’est pas rassurant pour l’humanité.
Élevons-nous contre l’action! Enfin… restons couchés! Allongeons-nous sur la terrasse, un peu assommés par un rosé trop frais, bercés par des oiseaux qui se chamaillent entre les branches.
Sans faire de nous de vrais Buddha, apprenons à faire rien, et à le faire bien.
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