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Richard Desjardins : histoires courtes d’Abbittibbi et de prison

Entretien de comptoir entre deux Norandiens.

Par
Louis-Philippe Gingras
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Le groupe Abbittibbi, comptant dans ses rangs le jeune et prometteur Richard Desjardins, n’avait jamais lancé officiellement son premier disque Boom Town Café, sorti à petit tirage en 1981 et mis en marché dans de drôles de circonstances. Boom Town Café, c’est un album qui allie de façon étonnamment efficace le country et le rock progressif. Des arrangements audacieux qui rappellent parfois Harmonium, parfois Steely Dan et qui soutiennent avec beaucoup de beauté la poésie déjà mature de Desjardins qui cosigne plusieurs chansons avec le groupe ou d’autres gars de Rouyn, notamment Jacques Tessier et Daniel Corvec.

37 ans plus tard, on redécouvre le disque avec un nouveau matriçage plus fidèle au son recherché à l’origine par les membres d’Abbittibbi. URBANIA a demandé au petit gars de Noranda que je suis de couvrir le 5 à 7 de lancement abitibien des nouvelles galettes au Cabaret de la dernière chance et de m’asseoir avec un autre gars de Noranda, que je ne vouvoie plus depuis quand même longtemps.

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Richard est un fin conteur d’histoires. Voici donc ses petites histoires de comptoir, récoltées au petit bar du Cab’.

Histoire de matrice et de magouille

LPG : Depuis les derniers jours, je me tape Boom Town Café avec la plus grande qualité d’écoute que j’ai jamais eu. C’t’un esti de bon album!

Richard : Merci merci!

LPG : Comment c’est de le réécouter?

Richard : Ben là, on l’entend pour la première fois!

LPG : (rire)

Richard : C’est vrai ! Quand c’est sorti [en 1981], on n’était pas présent à la fin des étapes de l’album, ni pour la pochette ni pour le mastering – la matrice – à partir de laquelle ils font les copies. Je savais pas que ça donnerait ça comme résultat, mais les producteurs destinaient l’album aux radios AM. Les fréquences AM, tsé les petits speakers de char, fallait que ça rentre toute là dedans. Ça fait qu’ils ont écrasé les basses, ils ont écrasé les hautes.

LPG : C’était pas fait pour le vinyle…

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Richard : Non, y avait pas de profondeur de champ sonore. Esti, on était down [NDLR pas down comme en 2018, down comme en 1981]. Pis pour la moitié de l’orchestre, c’était le seul album de leurs vies, tsé. Ça fait que c’est resté comme ça. C’est la vie. Pis là les productrices étaient parties, elles s’étaient sauvées. On n’a jamais su combien elles en avaient imprimé.

35 ans plus tard, je parlais de ça avec la fille qui tient notre label, pis elle a retrouvé une des productrices. Tsé, avec Facebook, tu trouves n’importe qui aujourd’hui. La productrice se souvenait vaguement de ce projet-là. Finalement on est venu à bout de mettre la main sur les bandes sonores pis on a, un ingénieur de son pourrait te l’expliquer, on a comme fait cuire les bandes, pis on a recouvré le son de studio!

Histoire de prison

LPG : Juste pour ma curiosité personnelle : j’ai vu le nom d’Alain Bellavance comme sonorisateur dans mes petites recherches…

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Richard : Il faisait le son en tournée [d’Abbittibbi]. Pauvre lui sti. Il buvait pas, il fumait pas, pis il s’est ramassé en prison à cause de nous autres à Québec.

LPG : (crampé raide, Alain Bellavance est un guitariste de Rouyn-Noranda et aussi le père de mon ami, excellent guitariste lui aussi, Jasmin Bellavance) T’es pas obligé de la raconter celle-là !

Richard : Bah, on jouait sur la rue St-Jean. À 3h du matin, on sort le stock du bar pis la police nous colle au mur, pis ils nous fouillent, ils nous volent de l’argent. La politique à l’époque, je sais pas si ça doit être encore de même [sic], c’était qu’à 3h, ils débarrassent les bums de la rue St-Jean pis à 4h, le balai passe. La police a demandé « Où c’qui est votre char? ». On avait un truck, pis on avait un char. On sortait, on paquetait le stock! On arrive au char pis la police trouve une espèce d’acétate avec une feuille de pot, toute étalée. Notre joueur de sax, Claude Vendette, y avait eu ça en cadeau.

LPG : Mais une feuille, ça vaut rien…

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Richard : Ben non, écoute (rires). Enweye en prison toute la gang, esti! Pis là Alain, esti de crisse… Là le lendemain, on est arrivé en cour, un des musiciens était accusé de possession, pis là le juge demande « combien [de pot]? ». On dit « J’sais pas, moé, c’t’une feuille, tsé. Vous saviez pas que ça marche au poids, ça là? » Faque il nous a libéré, mais fallait aller chercher le char à la fourrière par exemple.

Histoire de l’Ontario à Montréal

LPG : Est-ce que tu t’ennuies de la période Abbittibbi?

Richard : Non. On a tout fait ce qu’il fallait faire. Tsé, y a eu les premières tentatives en ‘74, en Ontario. On a arrêté ça là parce qu’y fallait faire du cover. Pis moé l’Ontario… Mais bon, on se servait de ça parce qu’on était ensemble, on montait un show francophone. On travaillait là-dessus tous ensemble, pis le soir on faisait du cover dans les bars. Je connaissais pas ce matériel-là. Tsé souvent y avait des bands où y avait pas de piano, fallait que j’invente, fallait que je travaille toute ça. Les autres musiciens disaient « non non, c’pas grave ça, écris du français! » Finalement on s’est retrouvé à Montréal. De là, on a fait l’album. On n’a pas de trouvé de gérant, personne mettait de l’argent sur nous autres. On était tous sur le BS. Mais on s’est repris, en ‘94, là ça roulait fort. On n’a pas eu de Félix, on a eu ben des nominations, mais jamais de trophée. Pis là ça a arrêté, c’tait faite.

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Histoire de slow

LPG : On retrouve sur Boom Town Café, la version originale de la chanson Le beau grand slow. Ce que les lecteurs d’URBANIA veulent savoir : approuves-tu la version d’Éric Lapointe?

Richard : Oui! Le vidéo aussi. J’aurais aimé mieux une bonne guitare électrique dans le bridge, là y a du synth.

LPG : Ouin, mais son guitariste est énervé aussi.

Richard : Ouin, mais on peut en trouver des bons guitaristes à Montréal.

LPG : Merci Richard.

Richard : Ben grand plaisir!

Un petit avant-goût de l’album:

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