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Revisiter le pain quotidien en famille
Parfois, remplacer un ingrédient dans une recette peut créer une nouvelle tradition familiale.

URBANIA et La Famille du lait s’associent pour vous présenter les portraits de néo-Québécois et de la place qu’occupe le yogourt dans leurs recettes préférées.
Au début de la pandémie, en mars dernier, on a assisté à un phénomène surprenant. Pour la première fois depuis l’époque de nos grands-mères, on dirait que tous les Québécois se sont adonnés à la boulangerie maison au moins une fois (avec plus ou moins de succès).
Lorsqu’on y pense, ça a beaucoup de sens. Le pain est un aliment de base, une des denrées nourricières les plus précieuses qu’à peu près toutes les cultures se partagent. Tout comme les ragoûts, les yogourts et les soupes, c’est notre valeur refuge, le genre d’aliment dont on sait qu’il sera toujours à portée de main.
Dans une petite rue de Deux-Montagnes, un dimanche matin particulièrement froid, une tradition chaleureuse se poursuit. Assia, agente de bureau dans le système scolaire, prépare le matlouh. À mi-chemin entre la brioche et le gâteau de semoule, ce pain traditionnel du Maghreb a bercé son enfance, et s’il n’en tenait qu’à elle, elle en ferait tous les jours. Même si elle me confie qu’il est difficile de réunir ses trois enfants autour d’un plat, les matlouh, eux, ne durent jamais très longtemps!
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« C’est facile à faire, surtout maintenant qu’on a des pétrins. Mais ça demande un peu de temps et d’attention », explique Assia. « Quand je rentre à la maison, avec les enfants et les devoirs, ça devient beaucoup. Mais les femmes des générations précédentes le préparaient très souvent. Quand j’en fais, j’en prépare pour en apporter aux collègues, aux amis. C’est un pain rassembleur, il est très prisé et apprécié. »
Le matlouh est aussi commun dans le Maghreb que la baguette ou le bagel au Québec. On le vend partout; il est préparé à la main dans la rue, devient élégant quand le boulanger ou la boulangère le prépare, ou est aussi insipide qu’un pain à hot-dog commercial lorsqu’on l’achète au supermarché.
le yogourt qu’elle ajoute accentue le côté brioché et aérien du pain.
Assia le prépare elle-même, comme sa mère le lui a appris, mais en prenant quelques raccourcis. Le pétrin mécanique lui fait gagner énormément de temps, notamment, comme le prouvera le mari d’Assia, qui s’est efforcé de pétrir la pâte pendant une vingtaine de minutes pour nous montrer la manière traditionnelle de le faire. Mais aussi le yogourt qu’elle ajoute, qui ajoute une profondeur lactique et légèrement acidulée au goût de la pâte et qui accentue le côté brioché et aérien du pain.
« Ce n’est pas une tradition familiale, je dois être honnête! », nous confie Assia. « Je suis abonnée à certaines chaînes YouTube de recettes, et ajouter le yogourt à la pâte est une astuce que j’ai vue et que j’ai essayée. J’ai trouvé le résultat tellement bon! Cela ajoute beaucoup de moelleux et de légèreté au pain. »
«Je suis abonnée à certaines chaînes YouTube de recettes, et ajouter le yogourt à la pâte est une astuce que j’ai vue et que j’ai essayée. J’ai trouvé le résultat tellement bon!»
En Algérie, le yogourt n’est pas un ingrédient traditionnel à proprement parler. Dans l’alimentation courante, toutefois, les enfants en raffolent à la collation, avec beaucoup de fruits, et les mères l’incluent dans des plats d’inspiration plus levantine. « Il est populaire sous toutes ses formes, c’est vraiment un ingrédient star. Les gens aiment l’accommoder à leur façon », explique-t-elle.
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Dans un bol, elle mélange de la farine et de la semoule de blé dur, auquel elle ajoute du levain, un peu de sel et de sucre, et du yogourt. Autre ingrédient secret, des graines de nigelle, qui confèrent à la pâte des arômes de poivre et d’oignon légèrement rôtis. Après un long pétrissage dans le batteur sur socle pour obtenir une texture très lisse, la pâte est recouverte d’un papier film et d’un torchon propre humide.
Si son mari a des étoiles dans les yeux en nous racontant les sandwichs que font les vendeurs de rue avec le matlouh, les souvenirs d’Assia avec cette recette la ramènent dans la cuisine de sa mère. « C’est un pain qui me rappelle mon enfance à Alger. Lorsque les enfants rentraient de l’école, les mères préparaient des matlouh chauds, dans lesquels on mettait du beurre et de la confiture », se souvient-elle avec émotion. « C’est le summum du plaisir d’un enfant. Surtout que ma mère était la reine des confitures! »
On comprend vite que la nourriture est une affaire de famille. Le mari d’Assia, qui s’assoit plus loin pour discuter avec nous, se fait vite rejoindre par leur fille, qui enlève ses écouteurs avec excitation lorsqu’elle voit lever son pain préféré. Très vite, elle se porte volontaire pour aider sa mère en cuisine, si ça signifie que le matlouh arrivera plus rapidement.
Sur la cuisinière, elle met à chauffer un grand tajine, grand plat de cuisson emblématique du Maghreb, habituellement fait en terre cuite. Assia utilise ici un tajine en fonte, avec des rayures circulaires qui donneront au produit final un motif. Elle sort la pâte, qui a gonflé à plus de deux fois son volume d’origine, et elle le dégaze sur une planche à découper. Elle et sa fille roulent l’appareil en gros billot, avant de le couper en rouelles d’environ 1 cm d’épaisseur.
«Ma fille m’aide à faire le pain, et je suis contente de pouvoir lui transmettre ça.»
« Les hommes cuisinent aussi dans notre culture, comme mon mari, qui adore préparer à manger. Mais c’est par les femmes que les recettes se transmettent. C’est un geste qui passe par la maman, surtout le pain », intime Assia. « Ma fille m’aide à faire le pain, et je suis contente de pouvoir lui transmettre ça. Je sais que tous mes enfants sauront se débrouiller en cuisine et se nourrir, quand ils partiront de la maison. »
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Une fois le tajine chaud, les disques de pâte sont cuits des deux côtés, jusqu’à l’obtention d’une croûte dorée et légèrement croustillante. Une fois prêts, ils sont mis dans un linge propre pour reposer tout en gardant leur chaleur.
Tout s’imbrique très naturellement, le gras de l’huile sur le côté doucereux du yogourt, avec le moelleux-croustillant que le tajine donne à la croûte du pain.
Impatiente, Anna prend sa pointe de matlouh et en rompt une part qu’elle trempe dans une huile d’olive au goût peu prononcé. En bouche, on se rend compte que le plat se définit par sa rondeur et sa simplicité désarmante. Tout s’imbrique très naturellement, le gras de l’huile sur le côté doucereux du yogourt, avec le moelleux-croustillant que le tajine donne à la croûte du pain.
« Partager de la nourriture, pour nous, c’est un acte d’amour très fort et particulier. En temps normal, le weekend, par exemple, si on invite des gens chez nous, ce n’est pas seulement pour passer un après-midi, c’est sous-entendu qu’ils restent aussi pour manger », souligne Assia. « Pour devenir ami avec quelqu’un, il faut partager à manger. Maintenant que vous êtes venus ici et que vous avez mangé le matlouh avec nous, vous faites partie de la famille! »
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Vous êtes prêts à retenter une expérience boulangère? Ajoutez du yogourt à vos pains et à vos gâteaux pour les rendre encore plus moelleux! Pour découvrir d’autres recettes porteuses d’histoire, rendez-vous sur le site des Recettes d’ici!