Guillaume Lambert est comédien et scénariste. Il est de nature angoissée et il adore entrer dans l’intimité d’autrui pour se rassurer sur ses propres inquiétudes. Les verbatim extraordinaires de Guillaume Lambert sont la transcription exacte d’échanges entre Guillaume Lambert et des gens qu’il trouve… extraordinaires.
13 décembre 2017
GL : Allô!
Silence.
GL : Allô Éric?
Silence.
GL : Oh mon dieu, c’t’un cauchemar à chaque fois.
Il tente de maîtriser l’application pour appeler Éric en Europe, qui est en tournée pour un spectacle. Finalement, Éric répond.
GL : Allô Éric!
EB : Allô Guillaume, comment ça va?
GL : Ça va bien, toi-même?
EB : Ben oui.
GL : M’entends-tu bien? L’autre fois j’ai parlé au téléphone avec Monia Chokri pendant une demie-heure pis j’ai même pas enregistré l’appel, y’a fallu que je recommence. Je vais juste m’assurer que ça enregistre…
EB : Oh, fuck, OK.
GL : Comment ça se passe en Europe?
EB : Ça va bien, c’est la dernière ce soir d’un show qu’on a fait au La Chapelle… on est en tournée. Là on est au Luxembourg. Ça finit ce soir.
GL : Pis le Luxembourg, ça te parle-tu?
EB : Ben écoute, c’est gris, il pleut, c’est l’image qu’on a du Luxembourg. Très riche. Les rues, c’est vraiment du Gucci… juste du luxe, du luxe, du luxe, tout un à côté de l’autre. Je me sens vraiment comme… quelqu’un du Tiers Monde qui se promène dans les rues. Je porte un pantalon que j’ai acheté chez Gap. Les itinérants me regardent pis y me sourient en se disant : « c’est un des nôtres ».
Guillaume rit.
GL : Moi je suis jamais allé au Luxembourg. Comment tu vis la tournée, en général? C’est-tu quelque chose que t’aimes?
EB : Je me rends compte que j’en ai fait beaucoup. J’ai pu l’espèce de romantisme… des fois j’ai l’impression que c’est comme si j’étais en stand by de ma vraie vie. Mais ce que j’aime, c’est me perdre dans une ville, ce qui arrive jamais à Montréal. Tu prends toujours les mêmes criss de rues. La tournée pour moi… j’aime vraiment partir, pas préparé… pis tomber sur des affaires pas de bon sens, ou décider que je vais dans un musée, mais sur le chemin du musée, y peut arriver des millions d’affaires. Mais remarque que j’essaie de garder ça aussi quand je reviens aussi à Montréal.
GL : Je comprends ce que tu veux dire. Je suis un peu de même. Quand je commence à avoir un peu le blues, ou que je plafonne – j’ai un peu les deux côtés, je suis très nomade, mais très sédentaire, anyway – pis un moment donné, je décide de sortir à, je sais pas, au métro Villa Maria, pis là je me promène dans ce quartier-là pour aucune raison.
EB : Oh mon dieu, t’es ben bon! Tu fais ça?
GL : Ouin. Je fais ça une fois de temps en temps, à défaut de voyager pour vrai.
EB : Ey, j’aimerais ça me perdre avec toi. Ça se fait-tu, à deux? Peut-être aussi faut être seul pour vraiment avoir l’expérience Villa Maria.
GL : Tu parlais de romantisme. Je faisais ça pendant un boutte, un moment donné. Ça me permettait d’aller au bout de ma solitude. Je me perdais en sortant d’une station de métro X. Je me sentais dans un film avec Pascale Montpetit dans les années 90.
Ils rient.
(…)
EB : Ici y’a une super cinémathèque pis y passent des films en pellicule, pis là je viens de voir Possession.
GL : Ah! Avec Adjani!
EB : Oui! Tu l’as-tu vu?
GL : Ben j’ai vu la fameuse scène du métro où a se flagelle avec des sacs de lait. Mais je veux pas le regarder au complet parce que moi ça me fait trop peur ces affaires-là. Je peux pas voir ça. Ça m’angoisse extrêmement.
EB : Ben en fait c’est presque drôle parce que tu te dis qu’i’a pu de films qui peuvent se faire de même. C’est surréaliste comme histoire. Comment tu joues ça aujourd’hui !
GL : Oui, pis au final, on sait pu trop pourquoi est possédée, me semble? C’est pas tant réaliste, au final.
EB : Zéro réaliste!
GL : Malheureusement, c’est impossible de faire des films de même maintenant. On nous demande tellement de justifier toute, on est pu dans l’exploration. On peut pu pitcher des idées de films sur la seule idée qu’Adjani va se swingner des pintes de lait dans face dans un métro.
EB : Non, mais elle déménage! Je m’excuse, mais c’est une scène d’anthologie!
GL : C’est clair, c’est un plan-séquence, pis c’est en pellicule!
EB : Ben oui, t’as raison : tu peux pas niaiser dans le métro, faut que tu sois possédé pour vrai.
GL : Peut-être que je devrais changer mes expériences de sortir explorer des stations de métro pis juste faire ça à place : être possédé dans le métro pour me sentir vivant.
EB : T’as juste à traîner des sacs de lait avec toi.
Ils rient.
(…)
GL : Un moment donné, on s’était croisé, pis tu m’avais dit : « ey si tu rushes avec tout ce qui t’arrive, tu me le diras ». J’avais trouvé ça ben fin.
EB : Ben. Comment tu gères ça, en ce moment? Aimes-tu ça? Aimes-tu cette nouvelle… position?
GL : Ben. Ça t’a peut-être fait la même chose. Mais comme j’ai la chance de jouer dans un show drôle, les gens dans le métro me regardent et partent à rire. Ils rient entre eux en me jetant des regards.
EB : C’est assez sympathique ça.
GL : C’est sympathique, mais ça me rappelle les années où je me faisais écœurer au primaire pis au secondaire. Je savais jamais si le monde riait de moi. Ça m’a pris un bout à m’adapter. J’avais toujours l’impression d’avoir la fly baissée.
EB : Je comprends.
GL : Ç’a été long, quand même… au début, je me sentais un peu menacé. Je me cachais dans des manteaux impossibles. J’étais un peu ridicule. Je me la jouais Jeanne Moreau avec des lunettes immenses, pis des tuques. J’étais tellement anxieux.
Ils rient.
GL : Les gens s’attendent toujours à une joke quand tu parles.
EB : Oui, les gens s’attendent à ce que tu sois aussi drôle qu’à télé. Tu veux être à la hauteur.
GL : J’avais peur en fait de décevoir les gens. Ça m’avait rendu triste. Je me mettais trop de pression à vouloir plaire à tout le monde en même temps. J’étais épuisé. J’étais toujours en représentation.
EB : Ça se calme, un moment donné. Tu te positionnes par rapport à tout ça. Ce que je trouvais ridicule au début, c’est que tout d’un coup on te demande ton avis sur l’Afghanistan, on veut t’avoir dans tous les shows de recettes, un moment donné, ça devient affolant. Tu te dis : « demandez à un spécialiste ».
GL : Exactement.
EB : Ça m’angoissait ça, pis je me suis déjà planté en donnant mon avis sur l’Afghanistan… tu te dis « ferme donc ta yeule ». T’as de l’attention, faque t’as l’impression que tu dois donner quelque chose en retour…
GL : Parce que je joue dans Like-moi, un moment donné, on voulait mon opinion sur l’utilisation excessive des émoticônes, pis j’ai pleuré. J’étais chez nous pis c’était too much. Je suis devenu super émotif parce que je me disais : « je peux pas devenir le spécialiste des émojis, c’est trop vide ».
EB : En tout cas, faut que tu choisisses. Tu vois la promo, j’ai toujours aimé ça, parce je suis fier de ce que je fais. Mais c’est tout ce qu’i’a autour de la célébrité, des fois. Y’en a qui sont bien là-dedans, mais c’est peut-être parce que ça m’est arrivé tard – j’ai commencé à 40 ans à faire de la télé – je croyais pas que le regard que les gens avaient sur moi avait une valeur.
GL : Comme t’avais déjà une carrière sur la scène, t’avais le sentiment d’accomplissement, mais t’avais pas le besoin d’être reconnu dans la rue.
EB : L’intérêt que le monde avait pour moi, je savais que c’était quelque chose de momentané. Parce que ça roule. Je prenais pas ça pour du cash.
(…)
GL : Qu’est-ce que tu manges, je t’entends manger.
EB : J’ai acheté un chocolat qu’on a pas chez nous.
Guillaume rit.
EB : Y’a des fruits rouges dedans. C’est très sucré.
GL : Wow.
EB (la bouche pleine) : C’est comme euh… c’est nouveau.
GL : Là, je te retiens-tu? Ça fait 30 minutes qu’on jase.
EB : Moi je suis bien. Moi sincèrement je pourrais parler jusqu’à minuit avec toi.
GL : Moi aussi j’adore ça! Ça me fait faire un temps d’arrêt sur la vie, genre.
(…)
GL : Si t’avais un biopic à faire, tu jouerais qui?
EB : Oh mon dieu. Ben écoute, si je pouvais vraiment… je ferais un biopic sur Björk.
GL : Ah ouin?
EB : Ouin. Je serais vraiment heureux de faire ça. Mais ça aucun sens.
GL : En même temps, Valérie Lemercier va jouer Céline Dion. Tout est possible.
EB : C’est vrai?
GL : Oui! En même temps, c’est Valérie Lemercier, faque c’est peut-être une joke, mais ça fait que tu peux croire en ton rêve de jouer Björk.
EB : Why not. Ben Björk c’est vraiment déstabilisant pour moi. Chaque fois qu’elle sort un disque, je peux pas le croire. Je la suis depuis les Sugarcubes. Je me rappelle, j’étais couché. J’écoutais une émission à la CBC, la nuit, pour m’endormir. Je mettais ça pas trop fort, pour avoir une musique de fond. Pis à 3-4 heures du matin, je me suis fait réveiller par une voix. Pis c’était la voix de Björk. Pis je me suis vraiment réveillé carré. J’ai monté le son. Pis j’ai fait : « c’est quoi ça ». Pis là je suis tombé complètement en amour avec sa voix. Pis je l’ai jamais lâchée, jusqu’à maintenant.
GL : On est dans une époque où on veut fuir la réalité en consommant de la téléréalité, ce qui est assez absurde, mais la réalité maintenant est tellement plus grande que nature avec les #metoo pis Trump pis toute, on a peut-être besoin de Björk pis de son onirisme.
Ça fait plus d’une heure qu’ils jasent de tout et de rien.
GL : Hey mon épicerie va arriver, Éric.
EB : Tu te fais livrer? Ben voyons.
GL : Je me fais livrer maintenant. Je suis rendu là.
EB : Wow.
GL : J’habite au centre-ville pis j’ai pas le choix.
EB : Ben voyons, comment ça t’es rendu au centre-ville.
GL : Ça pas rapport. Je te conterai ça. J’habitais en face de Radio-Canada, pis la crisse de Formule E m’a achevé.
Guillaume a une deuxième ligne. Éric est amusé.
EB : Oh, ça sonne, ça doit être ton épicerie. Je te laisse.
Guillaume rit.
GL : Hey je t’embrasse! Bonne dernière ce soir! Je t’embrasse!
EB : Bye!
Ils raccrochent.