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Ressusciter Sainte-Clotilde

Un projet de conversion d’église en centre culturel sur la table.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« On veut pas juste booker des gros noms de Montréal, on veut surtout faire rayonner le territoire! », lance avec aplomb Zoé Lamontagne, assise dans la salle à manger d’une pittoresque maison ancestrale de Sainte-Clotilde-de-Horton, dans la région de Centre-du-Québec.

Un coupe-papier repose sur la table devant elle, utilisé pour découper des invitations à une session d’information prévue samedi, afin de permettre aux citoyens de la bourgade de 1600 âmes de connaître les grandes lignes de son projet.

Ce dernier, en gros, consiste en la conversion de l’église de la rue Principale en centre communautaire et culturel.

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Théâtre, musique, humour, formation, captation d’événement, atelier de création, marché public, coworking, ligue d’impro et autres: l’idée est d’insuffler une bonne dose de culture dans un lieu pratiquement à l’abandon (une messe devant une poignée de fidèles aux deux semaines), tout en préservant sa valeur patrimoniale.

Réuni.e.s au sein de la Coop du cœur de Sainte-Clotilde, Zoé, son chum Mat, sa sœur Sarah et son beau-frère Tomy (un natif de la place) doivent maintenant convaincre la population d’embarquer dans leur délire créatif.

Une campagne de sociofinancement vient d’être lancée sur la plateforme La Ruche, dans l’espoir d’amasser 100 000$ en 90 jours. Si l’ambitieux montant est atteint, l’appui du programme Fonds Mille et Un pour la jeunesse viendra doubler les sommes recueillies. Cet argent servira notamment à pimper l’église en salle de spectacle et à organiser une centaine d’évènements.

le nerf de la guerre reste à convaincre la population à embarquer.

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Si l’objectif n’est pas atteint, l’argent des donateurs ne sera pas débité, les artisan.e.s du projet devront se tourner vers la banque et le projet mettra plus de temps à aboutir.

Le nerfs de la guerre reste à convaincre la population à embarquer. Le conseil de fabrique (qui administre le bâtiment) aurait pour sa part déjà entériné le projet et les négociations iraient bon train . Une entente de confidentialité nous empêche d’en savoir plus à ce stade-ci et le conseil de fabrique n’a pu retourner notre appel.

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Si tout se déroule dans l’ordre, la Coop du cœur pourra alors acheter l’église et amorcer avec le clergé les étapes pour la désacraliser. Loin de débarquer avec ses grands sabots, Zoé juge crucial l’appui de la communauté. « On essaye de répondre à trois questions: est-ce que ça (le projet) apporte quelque chose à la communauté? Est-ce qu’il protège le patrimoine? Est-ce possible de maintenir le culte? On pense pouvoir dire oui à tout ça », énumère cette Montréalaise de naissance, assez sérieuse dans ses démarches pour avoir déménagé en pleine pandémie à un jet de pierre de l’église qu’elle convoite.

Clotildoise dans le coeur

Sa sœur Sarah est déjà enracinée depuis une dizaine d’années dans la municipalité, avec son chum. Ils habitent l’ancien magasin général et sont propriétaires des Terres de Bélénos, un jeu de rôle grandeur nature médiéval fantastique organisé sur une terre de 64 hectares de Sainte-Clotilde.

«À cause de la pandémie, ma sœur me voyait perdre tous mes contrats d’écriture, mes tournages, etc. Ça m’a forcé à faire une remise en question»

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C’est d’ailleurs Sarah qui s’est fait approcher par la marguillière au détour d’une banale conversation. « T’aurais pas un projet pour l’église? », lui a-t-elle demandé.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la question n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. « À cause de la pandémie, ma sœur me voyait perdre tous mes contrats d’écriture, mes tournages, etc. Ça m’a forcé à faire une remise en question », confie la comédienne/scénariste/finissante de l’École nationale de l’humour, qui a roulé sa bosse au cinéma, à la télévision et en écriture.

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Zoé a donc ajouté une corde à son arc, en suivant une formation en entrepreneuriat avec la Jeune Chambre de commerce de Montréal.

C’est ainsi qu’elle a appris qu’il valait mieux opter pour le financement participatif, une façon plus concrète de palper l’intérêt ambiant. « C’est le genre de projet où tu dois avoir l’aval et le soutien de la population. C’est aussi le premier projet accepté par La Ruche au Centre-du-Québec », souligne Zoé, au sujet du village situé à mi-chemin entre Québec et Montréal, à dix kilomètres de l’emblématique Madrid (version 2.0).

Pour amasser des sous, Sarah qui a un background en agriculture s’est inspirée des ventes de paniers de légumes, où tu débourses au début de la saison pour recevoir tes produits plus tard. C’est pourquoi des passes de saison sont déjà offertes dans les contreparties, pour des spectacles encore à venir.

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Mais bon, la confiance règne et Zoé demeure convaincue que ce vent de fraîcheur sera bénéfique pour tout le monde, même les récalcitrants. « Acheter une église entraîne des enjeux d’acceptabilité sociale. La plupart des gens ont été baptisés ici et enterrés dans le cimetière derrière », souligne-t-elle.

Crédit: Sophie Lamontagne
Crédit: Sophie Lamontagne

Cette dernière raconte avoir senti un attachement se créer avec sa communauté d’adoption le 25 juin 2020, lorsqu’un incendie a ravagé trois maisons en face de l’église. « À cause de la pandémie, le centre de dons était vide et ne prenait rien. À Montréal, c’était au même moment le festival des choses jetées à la rue. On a donc loué un truck pour remplir un entrepôt de meubles pour les sinistrés, qui avaient trouvé refuge chez ma sœur. J’ai senti ce jour-là que mon cœur était à Sainte-Clotilde.»

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La Saint-Élie-de-Caxtonisation de Sainte-Clotilde

Si ce projet d’église vous sonne une cloche (ho-ho), c’est sans doute parce qu’il vous rappelle l’aventure de l’artiste Pilou, qui a quitté Montréal pour transformer l’église de Saint-Adrien dans les Cantons-de-l’Est en pôle créatif.

Une inspiration, ne cache pas Zoé. « Il (Pilou) est devenu le porte-parole de ce type de projet et est très sollicité. Mais comme on est voisins et qu’on a des objectifs semblables, on a pu le rencontrer », raconte la comédienne.

Elle a aussi parlé à des gens qui ont aménagé un centre d’escalade dans une église. « En parlant de leur expérience, on apprend plein d’affaires auxquelles nous n’aurions jamais pensé », admet Zoé, citant l’importance de mettre la main sur les plans d’aqueduc, connaître les enjeux de chauffage et savoir qu’on ne peut accueillir plus de 200 personnes sans système de gicleurs.

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Zoé a aussi pu témoigner des retombées d’un tel projet sur l’ensemble de la communauté. Là-dessus, Sainte-Clotilde n’a rien à perdre. « On n’a pas de resto (le seul est à vendre depuis deux-trois ans), pas de pharmacie, pas de café, pas de lieu de culture. Les gens de Sainte-Clotilde doivent faire beaucoup de route pour avoir un salaire décent », explique Zoé, précisant qu’ils doivent se rendre à Victoriaville ou Drummondville pour voir un spectacle.

«On veut créer de l’emploi, initier les jeunes à des métiers de la scène et juste offrir un endroit où aller quand t’es tanné de voir tes quatre murs»

En plus d’avoir créé une page Facebook pour tisser des liens (d’abord virtuels) entre les gens, Zoé et son équipe prévoient libérer la moitié de leur calendrier d’événements pour laisser la chance aux coureurs locaux. « Une dame m’a parlé d’organiser un débat politique à l’église par exemple », souligne-t-elle.

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L’idée de devenir un poumon économique grâce à la culture enchante beaucoup Zoé et sa gang, encore plus si ça permet d’attirer des jeunes et développer l’entrepreneuriat autour de l’église.

Souhaite-t-on en quelque sorte la « Saint-Élie-de-Caxtonisation» de Sainte-Clotilde? « Le village a beaucoup de cachet, oui on espère devenir un incontournable. On veut créer de l’emploi, initier les jeunes à des métiers de la scène et juste offrir un endroit où aller quand t’es tanné de voir tes quatre murs », résume Zoé.

Derrière elle, son chat Miss You est perché dans un panier. « Une vieille Picouille », décrit affectueusement la jeune femme, avant de me proposer une balade dans son quartier.

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« Pensez-y bien »

Des enfants s’amusent dans la cour de l’école La Sapinière juste à côté de chez elle.

L’église au cœur de son projet se dresse au bout de la rue Saint-Denis, en face d’une vieille maison à vendre. « Manon Massé est venue la visiter même récemment! », me confie Zoé, me mettant au parfum des potins du village.

Des chevaux trottent sur une terre luxuriante derrière l’écurie au bout de la rue de l’Église, en bordure de la rivière Nicolet. À voir ce décor de carte postale, on comprend Zoé d’entretenir des idées de grandeur. Il y a même un pont coupé comme à Avignon et des grands hérons en train de flotter dans le ciel.

Midi pile, les cloches résonnent.

« On veut les garder, c’est la tradition. Elles sonnent à midi et six heures », assure Zoé.

À l’ombre de l’église, il y a des caisses de bières vides sur le balcon de la maison du bedeau.

«Je trouve que c’est un bon projet, j’aime le côté “redonner l’église aux gens”»

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Le maire par intérim et candidat en lice pour le poste à la présente élection (il y a une course et paraît que c’est rare) se présente dans le stationnement à bord de son pick-up. « Je trouve que c’est un bon projet, j’aime le côté “redonner l’église aux gens” », commente Yanick Blier, un ébéniste qui habite Sainte-Clotilde depuis plus de vingt ans. « À date les gens en ont pas trop entendu parler (du projet) mais on prendra samedi le pouls de la population (lors de la session d’information). J’ai l’impression que ça va créer un enthousiasme », estime M. Blier, qui rêve de la réouverture d’un resto dans son village.

Le petit cimetière se trouve sur la cour de l’église. Sur la clôture en fer forgé noire pour y accéder, une phrase retient l’attention. « Pensez-y bien ».

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Drôle de slogan, qui donne matière à interprétation à la veille d’une session d’information sur la conversion de l’église.

Mylène Lampron, aussi candidate à la mairie, a pour sa part eu le temps d’y réfléchir en masse. « La religion catholique est moins populaire, nos églises se vident et c’est une bonne façon de garder le patrimoine vivant », explique Mylène, aussi propriétaire de l’organisme Les Poules à Colin, spécialisé dans la location de poulaillers urbains.

Cette maman d’ados et agronome de formation, qui travaille aussi à temps partiel au dépanneur du village, se dit bien consciente que les changements font peur dans des patelins comme le sien. « Moi, mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père ont été baptisés ici…»

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Pour les quelques artistes du coin, le projet de la Coop du Cœur est accueilli comme une bouffée d’air frais. « Pour moi, avoir un endroit qui vibre, ça permet un nouveau contact avec les gens, ça amène une autre vibe », croit Marie-Josée Maltais, une artiste multidisciplinaire engagée auprès des jeunes de Sainte-Clotilde. En plus de chanter et jouer de la guitare, elle a créé une murale avec les jeunes en marge du 150e anniversaire du village. « C’est important que l’art soit accessible et que tout le monde puisse l’expérimenter. J’aime l’idée de décloisonner l’art », résume-t-elle, sentant une volonté de voir Sainte-Clotilde reprendre vie au sein de la population.

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Parce que si les changements font parfois peur, tous ici se souviennent d’une époque pas si lointaine où le village grouillait davantage, où de grosses parades s’ébranlaient en marge de la Saint-Jean-Baptiste.

Là-dessus, Zoé Lamontagne préfère laisser le mot de la fin à Dédé Fortin, espérant un meilleur avenir pour Sainte-Clotilde.

Dans ma petite ville y sont pu rien que 3000

Pis la rue principale est devenue ben tranquille

L’épicerie est partie le cinéma aussi

Et le motel est démoli.