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Réservoir : les coulisses d’un premier long-métrage

Du village des coms au grand écran, une entrevue avec Kim St-Pierre.

Par
Brigitte Hébert-Carle
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Il y a 13 ans, j’étudiais en coms à l’UQAM, et je me tenais au « Village », un local dans le genre de la Cellule-Ose de Watatatow (moi qui travaille en pub aujourd’hui : ce jeu de mots fait mal.) On buvait de la O’Keefe pis on tripait notre vie entre deux cours de cinéma. À l’époque, j’étudiais pour devenir productrice, mais je rêvais d’être comédienne. Et comme la patience n’est pas ma plus grande qualité, je me disais que j’allais écrire des projets que je produirais et dans lesquels je pourrais jouer.

Ça fait un maudit gros chapeau à porter, ça. Mais je l’ai fait. Mon premier court-métrage mettait en vedette (tout un) Patrick Masbourian, et j’avais demandé à une amie d’université si elle voulait bien le réaliser. Kim St-Pierre (la réalisatrice, pas la gardienne de but) avait accepté.

Et la semaine dernière, au Festival de cinéma international de l’Abitibi-Témiscamingue, j’ai assisté à la première mondiale de son premier long-métrage.

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Réservoir, l’histoire

Réservoir, c’est l’histoire de deux frères diamétralement opposés (excellents Jean-Simon Leduc et Maxime Dumontier) qui viennent de perdre leur père et partent en road trip vers leur chalet d’enfance pour y déverser les cendres de leur père. Ce n’est pas un film à gros budget, donc tout repose sur le scénario et le jeu, et le pari est réussi. C’est beau, sensible, réfléchi, c’est un film qui soulève toutes sortes de questions sur la fratrie, la spiritualité, le deuil, sur fond de paysages magnifiques. Le tournage s’est échelonné sur un mois au réservoir Gouin, un immense lac labyrinthe où il est possible de louer des bateaux-maisons. Googlez-le, réservoir Gouin, vous allez réaliser que c’est pire qu’essayer de retrouver son chemin au Ikea un samedi après-midi quand vous avez voulu prendre le raccourci vers la section des divans-lits.

Les deux filles se sont connues à l’INIS il y a 10 ans et n’ont cessé de développer des projets ensemble depuis. Réservoir est le premier qui voit le jour et Isabelle a été impliquée de très près dans toutes les étapes du film.

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J’ai donné rendez-vous à Kim et à sa coscénariste Isabelle Pruneau-Brunet à la chic Cage aux Sports (non je n’accepterai pas d’embourgeoiser la Cage avec son nouveau nom de wannabe bistro). « On a le meilleur spot du resto ». Kim a pris le temps de finir son gâteau au fromage, le meilleur de sa vie, avant de me raconter que l’idée de Réservoir lui est venue dans sa douche (je devrais peut-être me mettre à réfléchir au lieu de chanter). Elle a commencé à développer le projet avec un ami, qui lui a rapidement suggéré qu’elle l’écrive seule pour ne pas avoir à faire de compromis. Kim n’avait pas envie d’écrire en solo, elle a donc appelé Isabelle, qui s’est rapidement approprié le projet.

Si Kim a trié son équipe technique sur le volet, on sent toute l’admiration mutuelle qui est au cœur de la relation entre elle et sa coscénariste. Les deux filles se sont connues à l’INIS il y a 10 ans et n’ont cessé de développer des projets ensemble depuis. Réservoir est le premier qui voit le jour et Isabelle a été impliquée de très près dans toutes les étapes du film. Les deux sont au même diapason.

L’orgueil, c’est overrated

La clef du travail d’équipe selon elles? Ne pas avoir d’orgueil et se faire confiance aveuglément. Faire un film et participer à Occupation Double: même combat. Elles se sont séparées l’écriture moitié-moitié et se sont échangées les scènes jusqu’à perfectionner chaque ligne du scénario de 80 pages. Un travail de longue haleine fait dans la passion. Kim aime moins la partie écriture, pressée d’être sur un plateau de tournage, mais Isabelle la complète bien, avec la patience du mot juste et du retravail. Elles sont visiblement complices. « On s’obstine jamais sur des choix de mots ou des tournures de phrase. »

Le réservoir Gouin est un personnage en soi dans l’histoire.

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On a parlé du tournage qui n’a pas été de tout repos. Le réservoir Gouin est un personnage en soi dans l’histoire. Tout peut changer en quelques minutes. Lors d’une journée de tournage qui s’annonçait ensoleillée, Kim et une petite équipe étaient sur la berge et filmaient le bateau-maison de loin. Il s’est mis à pleuvoir des cordes. Son assistant-caméra a tenté une contorsion et s’est penché par-dessus l’équipement pour le protéger de la pluie, et son DOP a couvert l’assistant avec son hoodie, le temps qu’une partie de l’équipe en chaloupe vienne à leur rescousse. En quatre minutes, les renforts sont arrivés, et la pluie a soudainement cessé. Fausse alarme.

Cocktail cinéma-météo

Il fallait se revirer de bord sur un 10 cennes pour capter cette météo spectaculaire. Et quand le vent se levait, les vagues pouvaient aller jusqu’à un mètre de hauteur. Après trois jours sans soleil, leurs vêtements étaient humides, mais the show must go on. Quand le soleil se pointait finalement le bout du nez, tout le monde voulait faire sécher son linge en même temps, et l’étendait sur des cordes un peu partout entre les arbres. Une nuit, il a fait si froid que Kim a dû se lever elle-même de sa roulotte pour aller mettre une bûche dans le poêle à bois des comédiens, pour les réchauffer. Ils avaient une scène importante à tourner le lendemain. C’est de l’implication, ça, madame; Kim a le confort de son équipe à cœur. Le tournage s’est échelonné de la mi-août à la mi-septembre. Quand l’équipe est arrivée sur les lieux en voiture au mois d’août, l’air conditionné fonctionnait dans le tapis. Quand elle est repartie en septembre, il fallait partir le chauffage.

Il y a quelque chose de très apaisant dans le fait qu’au fond, on peut se recueillir partout.

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Le scénario était à la merci du climat. À un moment, les deux personnages principaux rencontrent un troisième personnage, interprété par Marco Collin. Celui-ci n’était libre qu’une seule journée et la scène devait être tournée à l’extérieur. Et comme de fait, ce jour-là, il pleuvait à siaux. Le matin en direction du plateau, Kim a réécrit toute la scène en voiture. Ironiquement, cette scène avait été retravaillée un nombre incalculable de fois par Isabelle et Kim, et elle a même été retravaillée au montage. Le sujet est délicat. Kim a parcouru des écrits sur les croyances autochtones voulant que répandre les centres des défunts dans la nature fasse en sorte que la nature transcende le passé. La nature devient le reflet de nos ancêtres. Il y a quelque chose de très apaisant dans le fait qu’au fond, on peut se recueillir partout. Et cette scène parle de spiritualité avec un homme des Premières Nations. Elles voulaient éviter les clichés et ne pas tomber dans le lyrisme.

L’incontinence émotionnelle…. Euh, hein?

Kim a réalisé plus de 30 courts-métrages dans sa jeune carrière, et bien qu’elle sorte son premier long-métrage, elle a encore une job alimentaire. Elle travaille deux jours par semaine dans un CHSLD comme adjointe administrative. Elle a pris le pari d’investir dans ses propres projets le reste du temps.

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Kim a réalisé plus de 30 courts-métrages dans sa jeune carrière, et bien qu’elle sorte son premier long-métrage, elle a encore une job alimentaire. Elle travaille deux jours par semaine dans un CHSLD comme adjointe administrative. Elle a pris le pari d’investir dans ses propres projets le reste du temps. Il faut être très têtu pour percer dans ce domaine-là. C’est peut-être pour ça que j’ai fini par bifurquer vers la traduction, et ensuite la publicité, au lieu de passer des auditions pour McDo. Kim en profite pour me révéler une primeur : le sujet de leur prochain long-métrage. L’incontinence émotionnelle, vous connaissez? Oui, oui, c’est un terme en psychologie. C’est le fait de dévoiler des informations intimes à de purs inconnus. Parfois, se confier à des gens qu’on ne recroisera jamais, c’est plus facile. Les filles comptent explorer ce phénomène au cinéma. Je sais pas pour vous, mais moi j’ai déjà hâte.

Parle parle jase jase, on va manquer Jouliks, le film de Mariloup Wolfe, présenté dans quelques minutes. On se rend au Théâtre du cuivre, et Claudelle, qui s’occupe des relations de presse, vient voir Kim et lui remet une carte professionnelle. Je reconnais tout de suite le nom. Une productrice très importante dans le milieu. Elle a vu Réservoir la veille, et visiblement, a aimé ce qu’elle a vu. Ça augure bien pour l’avenir, ça. Qui sait, peut-être que le CHSLD va avoir à ouvrir un nouveau poste bientôt.

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Je ne suis pas devenue productrice ou comédienne (Une pub de Brault et Martineau, on peut pas dire que c’est réussir sa carrière, hein?), mais j’ai quand même une petite émotion à interviewer des filles passionnées de cinéma, qui continuent de travailler fort pour faire leur chemin, et qui sont bourrées de talents. J’ai comme un peu l’impression, moi aussi, d’être sur la bonne voie, finalement.

Réservoir sort en salles le 6 décembre prochain.