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Réseaux sociaux : réparer nos erreurs avant qu’il ne soit trop tard

Pour que cesse le laisser-faire numérique.

Par
Catherine Fournier
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Je suis une grande utilisatrice des réseaux sociaux. Je m’en sers pour socialiser avec mes amis (allo le caractère essentiel en temps de pandémie), m’informer, me divertir, mais je les utilise aussi beaucoup dans le cadre de mon travail. Comme députée, ma présence sur Facebook, Instagram et Twitter me permet d’interagir directement avec les citoyennes et les citoyens, d’échanger avec eux dans un cadre authentique et accessible, de partager mes idées à plus grande échelle et de mobiliser les gens autour d’enjeux importants. Bref, ces réseaux offrent une tribune significative à qui s’en sert comme tel. J’ai pour ma part réussi à développer une communauté intéressante et intéressée, que je ne voudrais pas perdre.

Il y a deux raisons pour lesquelles je vous confie cela.

1- Éviter l’hypocrisie. Comme je m’apprête à critiquer les réseaux sociaux, je tenais à être honnête dans mon appréciation et dans le fait que je « profite » de ces plateformes, en quelque sorte.

2- Établir la nuance. Même si nous sommes de plus en plus au fait des conséquences de leur modèle d’affaires, les réseaux sociaux ne sont pas le démon. Nombreuses sont leurs applications qui peuvent être positives, tant individuellement que collectivement. Encore faut-il arriver à les encadrer et s’éduquer à en faire bon usage.

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Vous comprendrez cependant que le pot ne se trouve pas bien loin des fleurs.

Les créateurs des plateformes de réseaux sociaux ont « créé un monstre », comme le veut l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils ont créé quelque chose dont on a aujourd’hui perdu le contrôle. Et c’est ce qui est éminemment préoccupant.

Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que la gratuité était un piège.

Vous vous souvenez des débuts de Facebook, il y a près de 15 ans? Comme utilisateurs, nous étions sur nos gardes. Rien n’étant gratuit dans la vie, nous croyions que ce n’était qu’une question de temps avant que la plateforme ne devienne payante, tellement que Facebook avait dû répliquer en mentionnant explicitement sur sa page d’accueil pendant des années que son service demeurerait gratuit, et ce, pour toujours. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que la gratuité était un piège. Si ces plateformes ne fonctionnent pas selon le modèle de l’utilisateur-payeur, il leur faut nécessairement un autre modèle pour arriver à se financer. La publicité classique? Pas assez payant pour les cerveaux de la Silicon Valley. C’est ici qu’a surgi le concept d’économie de l’attention.

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Résumons les grands principes de ce gigantesque nouveau marché. Plus on passe de temps sur les plateformes, plus les plateformes peuvent décoder nos comportements, nos goûts et nos intérêts. Nos actions génèrent ainsi des données qui nourrissent le modèle. Les données sont ensuite utilisées pour nourrir l’algorithme publicitaire, qui se peaufine avec le temps pour créer de la publicité toujours plus sur mesure, offrant un avantage concurrentiel important pour quiconque désire publiciser quelque chose. Mais ça ne s’arrête pas là. Non seulement les réseaux sociaux ont tout intérêt à nous garder captifs de leurs plateformes pour amasser le plus de données possible, mais ils monétisent aussi le temps que nous y passons en vendant toujours plus de publicité, c’est-à-dire qu’il devient encore plus attrayant pour les annonceurs d’y afficher de la publicité si les utilisateurs s’y trouvent plus longtemps, augmentant de fait la probabilité d’être en contact avec leur contenu.

Mais comment les réseaux sociaux s’assurent-ils de notre présence toujours plus accrue sur leurs plateformes? En se servant de la nature humaine!

  • Réactivité et peur de manquer quelque chose : les contenus susceptibles de générer le plus de réactions sont mis de l’avant pour nous provoquer et nous inciter à commenter ou partager et ainsi, nous engager avec le contenu pour créer toujours davantage d’interactions qui nous inciteront à passer du temps sur la plateforme, notamment en exploitant notre sentiment de FOMO (Fear Of Missing Out). Les fausses nouvelles, souvent plus spectaculaires et donc, susceptibles de générer plus de réactions, sont ainsi avantagées dans cet univers. Comme l’algorithme favorise ce genre de « contenu choc », les médias ont aussi tendance à embarquer dans le train du sensationnalisme dans leur choix de titres, par exemple, afin de générer du trafic sur leurs pages, d’où la notion de clickbait (appât à clics).
  • Réactivité et peur de manquer quelque chose : les contenus susceptibles de générer le plus de réactions sont mis de l’avant pour nous provoquer.

  • Besoin de validation : ils nous proposent des contenus en phase avec nos valeurs sociales et politiques pour flatter notre égo et renforcer notre conviction d’être « du bon côté » dans les grands débats de société, un phénomène à l’origine des chambres d’écho, où tout le monde a l’impression que tout le monde est d’accord avec lui et où on est de moins en moins exposés aux opinions contraires aux nôtres (d’où la disparition de plus en plus marquée de la nuance dans l’espace public).
  • Sécrétion de dopamine : les mentions « j’aime » et autres réactions positives sont créées sur mesure pour donner des doses de « récompenses » à notre cerveau (là où remonte la dopamine, la molécule biochimique du plaisir) et ainsi créer un effet pavlovien d’association entre l’utilisation des plateformes et la reconnaissance par les pairs.
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Ces mécanismes ont entre autres été illustrés dans le documentaire Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma), produit par… Netflix. Un tantinet ironique.

non seulement notre tissu social est en train de s’effriter, mais on ne fait rien pour freiner la situation.

Le résultat est sans équivoque : des citoyennes et des citoyens s’autoradicalisent, la viralité des contenus spectaculaires désinforme massivement la population et des ados développent de graves problèmes d’anxiété et de dépression. Et nous sommes presque tous touchés à un niveau ou à un autre par un certain effet de dépendance. Il n’y a pas de honte à l’admettre : c’est exactement ce que ces plateformes recherchent, ce qu’elles mettent en œuvre par leurs mécanismes pernicieux.

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Ainsi, non seulement notre tissu social est en train de s’effriter en bonne partie par la faute des plateformes de réseaux sociaux, mais on ne fait rien pour freiner la situation. Les géants du Web continuent d’agir impunément sans intervention gouvernementale alors que TOUTES les autres entreprises sont soumises à une certaine réglementation de leurs activités. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elles ont des répercussions directes dans la société. C’est exactement pour cette raison que j’ai déposé une motion pour demander qu’on réglemente les algorithmes de ces applications à l’Assemblée nationale en septembre dernier, motion qui fut adoptée à l’unanimité.

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Le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault, responsable des dossiers liés au Web et au numérique au Canada, était alors entré en contact avec moi pour me mettre au fait des actions du gouvernement fédéral en la matière, comme il s’agit de sa responsabilité. Si j’ai apprécié la main tendue et son écoute, il n’en demeure pas moins que j’ai été estomaquée de constater à quel point les retards dans le dossier étaient importants : pour l’instant, l’objectif est de forcer les géants du Web à un plus grand partage d’informations avec les États, notamment en matière de données de base. Je comprends qu’on part de loin, mais avec aussi peu d’ambition, il nous faudra attendre un autre 15 ans avant de commencer à penser s’attaquer aux véritables problèmes que sont la transparence de ces plateformes (ni vous, ni moi, ni aucun expert indépendant n’avons accès aux modèles mathématiques des algorithmes, qui sont qualifiés de « secrets industriels » par les géants du Web) et le modèle d’affaires basé sur la monétisation de l’attention. Outre la France et l’Australie, bien peu de leadership est démontré en cette matière sur la scène internationale. Le temps presse pourtant.

Laisser les Facebook et cie dicter leurs propres solutions est un pari des plus risqués.

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Après les incidents du Capitole à Washington le 6 janvier dernier, qu’est-ce qu’il va falloir de plus pour que les pays se décident à agir sérieusement sur ce front? Laisser les Facebook et cie dicter leurs propres solutions est un pari des plus risqués. Récemment, Mark Zuckerberg annonçait que pour réduire les clivages sur sa plateforme, Facebook limiterait les contenus politiques. La nouvelle est passée sous le radar, mais elle a pourtant de quoi faire sursauter! Où traceront-ils la ligne? Qu’est-ce qui est un contenu politique, exactement? La portée des publications des élus et des partis sera-t-elle réduite? Les mouvements sociaux seront-ils freinés? Personne ne le sait.

Je pourrais poursuivre sur ce sujet longtemps. Et je n’ai même pas encore parlé de la crise des médias! À lui seul, cet enjeu est fondamental pour l’avenir de nos démocraties. Les réseaux sociaux étant plus performants pour offrir de la publicité adaptée aux besoins et au budget des annonceurs, un déplacement important des investissements s’est opéré depuis quelques années, de telle sorte que les médias font aujourd’hui face à des défis financiers majeurs, qui mettent à mal leurs activités (coupures dans les postes de journalistes et recours plus grand aux chroniqueurs et aux pigistes, utilisation de stratégies sensationnalistes pour compétitionner dans la guerre des clics, etc.). C’est vrai ici comme partout dans le monde. Ainsi, des voix s’élèvent pour demander aux géants du Web de rétribuer les médias pour l’utilisation de leur contenu.

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Les lobbyistes répondent que ce ne sont pas les plateformes qui profitent du contenu médiatique, mais bien le contenu médiatique qui a plus de visibilité grâce à leurs plateformes, ce qui n’est pas complètement faux. Ce que ces défenseurs du Far West numérique oublient toutefois de mentionner, c’est qu’une bonne portion de leurs utilisateurs passent du temps sur leurs plateformes précisément dans le but de s’informer, en y retrouvant les articles des médias dans leur fil d’actualités. Là encore, la solution envisagée par Facebook a de quoi faire sourciller : une nouvelle « surface » dédiée aux médias (à l’instar de Marketplace) où Facebook prévoit financer le contenu… mais en choisissant lui-même le contenu qu’il souhaite financer. Hmm.

Les réseaux sociaux ont une pertinence. Ils ont le potentiel de jouer un rôle positif dans la société, mais ils sont trop influents pour ne pas être encadrés. C’est pourquoi il est urgent que cesse le laisser-faire numérique.

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Comprenez-moi bien : je réitère que les réseaux sociaux ont une pertinence. Ils ont le potentiel de jouer un rôle positif dans la société, mais ils sont trop influents pour ne pas être encadrés. C’est pourquoi il est urgent que cesse le laisser-faire numérique. On l’a vu récemment avec l’épisode de Facebook qui a bloqué toutes les sources d’actualités sur ses plateformes en Australie pour répliquer à une intervention gouvernementale en faveur d’une rétribution des médias par Facebook. C’est grave. Nous avons laissé ces entreprises devenir plus fortes que des États et les États n’ont rien fait pour empêcher cela. La seule option est maintenant de s’unir pour bâtir un rapport de force afin de réparer nos erreurs avant qu’il ne soit trop tard.

VUE DU FOND

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Parlant des médias, saviez-vous que les journalistes ont une place de choix au Salon bleu de l’Assemblée nationale? Ils ne sont pas assis au sol avec les élus-es, mais peuvent prendre place dans une section surélevée au bout de la pièce, de sorte à leur donner une bonne vue d’ensemble, un peu comme un balcon au théâtre. La formule « tribune de la presse », à laquelle s’identifient les journalistes œuvrant sur la colline parlementaire, tire son origine de cet espace bien particulier! Étant assise juste en dessous, je peux d’ailleurs vous confier qu’ils commentent allègrement la « joute » pendant la période de questions, et ce, à haute voix… particulièrement Antoine Robitaille! :-)