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Répondre autre chose que pas grand-chose

Par
David Malo
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Dans nos interactions avec les autres, il y a des formalités de base que l’on s’échange généralement par automatisme. Souvent, il arrive même que nous les récitions avec une synchronisation parfaite et l’on trouve ça un peu drôle. On se dit alors qu’on est en stéréo. Je ne sais pas pourquoi on dit en stéréo, j’imagine que je dis ça par conditionnement aussi.

Avec beaucoup de gens, mes interactions se résument ainsi :

« Salut, ça va?
— Oui toi?
— Très bien. Et puis toi, quoi de neuf?
— Bah, pas grand-chose toi?
— Moi non plus.
— Bon ben c’est cool ça.
— Ouais.
— Vraiment. »
Bien qu’il m’arrive réellement d’avoir l’impression qu’il n’y a pas grand-chose de neuf dans ma vie et que je n’ai rien de spécifique à raconter, une conversation du genre ne sert pas une grande utilité mise à part de se sentir adéquat socialement.
À force de parler, j’ai remarqué qu’une conversation devient proportionnellement plus intéressante plus l’on dit grand-chose. Dorénavant, quand je parle, je vais donc essayer de dire de quoi. (Ce n’est pas bête du tout ça!)
« Et puis toi, quoi de neuf?
– Ah! Grand-chose et toi.
– Moi aussi grand-chose!
– Nice!
– Vraiment! »
Pas nécessairement, comme ça, mais vous voyez le genre.
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La semaine dernière, au bar où je travaille, il y avait une fille qui fréquentait l’endroit il y a quelques années, mais qui n’était pas revenue depuis au moins 3 ans. Après l’échange des formalités, vint le moment de répondre à la question : Et puis, quoi de neuf? Au lieu de répondre, pour me débarrasser, le traditionnel : pas grand-chose. Je décide de mentionner quelque chose de neuf. Même s’il ne se passe que peu d’événements dignes de mention dans ma vie, en trois ans j’ai sûrement quelque chose à dire. (Du moins, j’ose espérer.) Je mentionne donc un fait de ma vie qui est neuf, mais que je considère banal pour quelqu’un qui n’est pas dans mon cercle immédiat (même pour ceux qui sont dans mon cercle immédiat, c’est un peu banal) :
« Je finis la formation de conditionnement physique du YMCA bientôt, pour devenir entraîneur personnel.
— Ah oui, vers quelle branche tu veux t’enligner?
— Je ne sais pas trop encore je vais finir la session et je vais regarder ça après.
— Bien moi, je suis coach en préparation mentale pour les athlètes et parfois il arrive qu’on cherche des entraîneurs. Je te laisse ma carte et on se met en contact.
— Crime, c’est cool ça, merci! »
Drôle de coïncidence.
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Il y a quelques années, encore dans un bar, il y avait une fille que je trouvais vraiment jolie. J’avais l’impression que je la connaissais déjà. C’était finalement une fausse impression, car elle était un peu comédienne et j’avais dû la voir quelque part à la télévision. Avec un front que je ne me connaissais pas habituellement, je suis allé lui parler avec comme motif de simplement me présenter à elle. En conversant, j’ai probablement mentionné que je me cherchais un emploi, car la semaine suivante, j’avais une entrevue à la boîte où elle travaillait. J’ai même obtenu le poste. Un poste que je n’aurais peut-être pas eu avec mon CV, un poste que je n’aimais pas vraiment, mais ça, c’était de ma faute. Je cherchais un peu n’importe quoi et c’est exactement ce que j’ai trouvé. Néanmoins, cette opportunité ne se serait jamais présentée si je n’avais que parlé aux gens qui étaient venus avec moi à cette soirée.
Nous avons tendance à ne confier les détails de nos vies qu’à des gens que nous connaissons et qui sont moins en mesure de nous offrir de nouvelles perspectives. C’est un peu fou. Toutefois, comment pouvons-nous déterminer avec qui il serait bénéfique d’élaborer plus sur ce que l’on fait de bon? Il n’y a qu’une façon de le savoir alors il vaut donc mieux ne pas prendre de chance et s’investir un peu plus dans nos formalités. Nous n’avons que très peu à perdre dans cette opération et nous sommes libres d’arrêter à tout moment si l’autre se met à bailler ou quand il ne nous écoute clairement plus :
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« Excuse-moi, est-ce que je t’emmerde avec ce que je fais de bon?
– Ah oui, c’est cool ça.
– Ouais.
– Vraiment! »
N’importe quel humain, avec une certaine expérience en société, a pu se rendre compte que c’est avec les contacts humains que l’on peut évoluer dans la communauté, et ce non seulement socialement, mais aussi personnellement et professionnellement. C’est dans notre nature de mammifères sociaux, nous aimons créer des contacts et mettre en contact nos contacts avec vos contacts. C’est comme ça, c’est humain, autant que c’est canin de courir après les chats. Pourquoi priver un chien de courir après un chat? On sait tous qu’il ne l’attrapera pas de toute façon.
C’est pour cela que dire ce qui se passe de bon, même si ce n’est pas grand-chose, c’est toujours mieux que de dire littéralement : pas grand-chose.
Parfois, il est sidérant de constater que nous n’utilisons que très peu notre potentiel social. Il y a plein de gens que l’on n’aborde pas par gêne ou par peur de paraître inadéquats. Il y en a aussi bien d’autres à qui l’on ne dit que les formalités. Si nous avions la possibilité de savoir toutes les opportunités manquées lors de nos interactions sociales, nous serions sans doute vraiment déçus de n’avoir pas répondu autre chose que pas grand-chose, car, il y a toujours quelque chose de mieux à dire que pas grand-chose.
La gêne, c’est le démon.
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