Logo

Réouverture des boîtes de nuit : quand le GHB s’invite à la fête

Alors que l’État s’interpose en France, aucune légifération n’existe au Québec.

Par
Violette Cantin
Publicité

« J’ai cru que j’allais mourir ce soir-là. »

Abigaëlle prévoyait simplement passer une bonne soirée. Avec quatre de ses ami.e.s, la Parisienne de 20 ans est allée fêter la réouverture des boîtes de nuit en France, le 16 février dernier. Pourtant, la partie de plaisir a vite tourné au cauchemar.

« On a réussi à entrer dans un club vers une heure du matin puisque tout était bondé », se remémore Abigaëlle, jointe en France à peine trois jours après l’évènement. « On s’est installé à une table et on a commandé une bouteille qu’on a bue à cinq. »

Vers trois heures du matin, Abigaëlle et les deux autres filles de son groupe ont décidé d’aller faire un tour sur la piste de danse. Lorsqu’elles sont revenues, quelques minutes plus tard, la jeune femme s’est resservie dans le verre qu’elle utilisait plus tôt. Les deux garçons de son groupe étaient restés assis à la table pendant tout ce temps, alors à quoi bon s’inquiéter? Pourtant, à peine quelques minutes après avoir bu, Abigaëlle a senti que quelque chose clochait.

Publicité

« Je suis devenue complètement folle, je ne me reconnaissais pas, raconte-t-elle. Je ne suis pas aussi énervée quand je bois, d’habitude. »

Après quelques minutes, elle s’est écroulée par terre et a commencé à vomir. Ses ami.e.s l’ont emmenée dehors, mais elle avait de la difficulté à respirer.

«Je me souviens juste que je n’arrêtais pas de vomir. J’ai convulsé deux fois et je tremblais.»

« Je me souviens juste que je n’arrêtais pas de vomir, dit-elle. J’ai convulsé deux fois et je tremblais. Je n’ai même pas de mot pour expliquer à quel point c’était horrible. Après, j’ai complètement perdu conscience. » Ses ami.e.s ont pris soin d’elle et l’ont ramenée à la maison en taxi.

Abigaëlle se doute bien qu’elle a vécu ce soir-là ce que trop de jeunes femmes ont vécu lors d’une sortie en boîte de nuit : elle a été intoxiquée à son insu au GHB.

Un fléau invisible, mais répandu

À l’aube de la réouverture des boîtes de nuit, il est impossible d’éluder les risques que courent surtout les femmes lorsqu’elles sortent danser. « Garde toujours un œil sur ta consommation » ou « Ne bois jamais dans un verre que tu as laissé traîner sur le comptoir » sont des phrases que n’importe quelle jeune femme a entendues à maintes et maintes reprises.

Publicité

Il se trouve que des esprits particulièrement mal intentionnés prennent plaisir à insérer du GHB, surnommé « drogue du viol », dans les consommations des fêtardes. La drogue a mérité son surnom en raison de ses effets sédatifs qui empêchent les victimes de résister à une agression sexuelle. Et son utilisation est répandue, en France comme au Québec.

Il n’y a pas de mouvement ou de mesures équivalentes au Québec. Pourtant, les intoxications au GHB surviennent ici aussi.

L’automne dernier, une vague d’intoxications au GHB dans des bars de la ville de Québec a fait les manchettes. Deux de ces intoxications auraient d’ailleurs mené à des agressions sexuelles. Pour endiguer cette épidémie qui sévit également outre-mer, le gouvernement français a lancé un plan national de lutte contre le GHB en marge de la réouverture des boîtes de nuit, en février. Et depuis plusieurs mois, une campagne de dénonciation populaire nommée #BalanceTonBar permet aux femmes qui ont subi des violences sexuelles dans un bar, parfois à la suite d’une intoxication au GHB, de raconter leur histoire.

Publicité

Il n’y a pas de mouvement ou de mesures équivalentes au Québec. Pourtant, les intoxications au GHB surviennent ici aussi.

« On a cru qu’elle était morte »

Laura (prénom fictif) peut en témoigner. En octobre dernier, elle est sortie avec deux amies au Rouge Bar, une vaste boîte de nuit située sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Ce soir-là, elle a eu peur que la vie d’une de ses amies lui file entre les doigts.

« Nous étions installées au comptoir du bar, relate-t-elle. On allait souvent danser et chaque fois qu’on revenait, on demandait un nouveau verre. Mais une de mes amies, dans un moment d’inattention, s’est resservie dans son ancien verre. »

La suite est un schéma classique, néanmoins horrible, de ce qui ressemble fortement à une intoxication au GHB.

« Elle a commencé à agir comme si elle était vraiment saoule, et mon autre amie et moi, on trouvait ça bizarre parce qu’on n’avait pas beaucoup bu », se remémore Laura.

Publicité

Elles ont décidé d’aller à la salle de bain toutes ensemble : c’est à ce moment que l’amie de Laura s’est écroulée par terre, en plein milieu de la piste de danse.

«À un moment donné, elle a arrêté de bouger. On lui a versé un verre d’eau en pleine face, mais ça ne la réveillait pas.»

« Elle était tellement molle que des gens ont dû nous aider à l’emmener à la salle de bain, se souvient Laura. On l’a couchée sur le plancher et elle s’est mise à vomir, à avoir des spasmes, elle faisait des bulles avec la bouche et elle avait de la misère à respirer. »

« À un moment donné, elle a arrêté de bouger. On lui a versé un verre d’eau en pleine face, mais ça ne la réveillait pas. On paniquait. On croyait qu’elle était morte. Mon autre amie et moi, on s’est mises à pleurer », raconte la jeune femme avec émotion.

Publicité

Laura s’indigne du peu d’aide fourni par les employés du Rouge Bar. « Les gardes s’inquiétaient du port du masque sur la piste de danse au cas où la police débarquait, alors ça a pris 20 minutes avant qu’ils nous aident à amener mon amie à l’ambulance, à l’extérieur. »

Son amie a finalement été transportée à l’hôpital et s’en est sortie saine et sauve. « Les ambulanciers nous ont dit qu’elle avait clairement été droguée, explique Laura. Et ils nous ont dit que des cas de ce genre, ils en voyaient tous les soirs au Rouge Bar. »

Légiférer, une option

Les histoires d’Abigaëlle et de Laura sont loin d’être originales : elles surviennent plus souvent qu’on pourrait le croire. « Mais la drogue la plus souvent utilisée pour perpétrer une agression sexuelle, ça demeure l’alcool », rappelle Pamela Binette, intervenante au GRIP. Cet organisme se spécialise en intervention en milieu festif pour les personnes qui ont consommé et qui ont besoin d’aide.

«Le personnel des bars devrait être mieux formé pour réagir dans ce type de situations.»

Publicité

L’un des problèmes qu’identifie Mme Binette est le peu de ressources en intervention disponibles dans les bars. « Nous, on intervient dans les festivals, mais il faudrait ce type d’intervention dans les bars, souligne-t-elle. Il y a plein d’initiatives qui existent, comme les services de raccompagnement. »

L’intervenante estime qu’une pression gouvernementale pourrait contribuer à sécuriser les environnements de fêtes nocturnes. « Ça mettrait de la pression sur les propriétaires de bars pour intervenir, croit-elle. En tout cas, le personnel des bars devrait être mieux formé pour réagir dans ce type de situations. »

Abigaëlle était accompagnée d’un groupe, et Laura s’est bien occupée de son amie intoxiquée. Mais n’eût été la présence de cet entourage bienveillant, la soirée de ces jeunes femmes droguées à leur insu aurait pu prendre une tournure encore plus tragique. Alors que les boîtes de nuit rouvrent leurs portes, ce scénario d’horreur flotte assurément dans la tête de nombre de jeunes femmes qui n’ont rien demandé, sinon de passer une belle soirée.

Publicité