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Rehtaeh Parsons, Amanda Todd et la culture du viol

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Hier, deux hommes de 18 ans ont été arrêtés dans la région d’Halifax, en lien avec les événements entourant le suicide de la jeune Rehtaeh Parsons, survenu en avril dernier.

Pour ceux qui auraient loupé l’affaire Rehtaeh Parsons, un bref rappel.

En novembre 2011, la jeune Rehtaeh, alors âgée de 15 ans, aurait été agressée sexuellement par quatre garçons, lors d’une soirée « entre amis ». Des photos de l’agression ont ensuite été publiées sur Internet. Dans les mois qui ont suivi la publication des photos, la jeune fille a subi intimidation et harcèlement, jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus et se pende. À 17 ans.

Elle aura été, à proprement dit, humiliée et bullyée à mort.

Or, les deux hommes interpellés hier n’ont pas été inculpés pour agression sexuelle. Ils ont plutôt été portés sous le coup d’accusations de production et de distribution de pornographie juvénile. Il y a déjà plusieurs mois que les enquêteurs de la GRC se penchent sur les allégations d’agression sexuelle qui planent sur cette affaire. Mais les preuves manquent.

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La mort de Parsons a suscité une véritable onde de choc, partout au Canada. D’autant plus que son suicide n’était pas sans rappeler l’histoire tout aussi sordide de la petite Amanda Todd, en Colombie-Britannique, qui s’est également pendue en octobre dernier, trop harcelée.

Dans le cas d’Amanda Todd, il n’était pas question d’agression sexuelle, mais bien de harcèlement pur et dur, à caractère sexuel. Rappelons que Todd a été littéralement « traquée » pendant plus de deux ans par un mystérieux internaute qui détenait des photos de sa poitrine dénudée, et qui les publiait à tous vents sur les réseaux sociaux pour être bien certain d’humilier et de détruire la vie sociale de la jeune fille, partout où elle irait.

Mission accomplie. Ça fait cher payé pour une maladresse d’ado en mal d’être aimée.

Pour ce qui est de Parsons, nous dirons simplement qu’il n’y a rien qui puisse justifier de faire subir à une jeune femme tant d’horreur, de violence et d’humiliation.

Or, bien que les histoires ayant respectivement mené au suicide des deux adolescentes soient différentes, on peut néanmoins en dégager une logique commune et délétère.

Dans les deux cas, cela souligne douloureusement l’empressement avec lequel on recourt au « slut-shaming » et au harcèlement à caractère sexuel pour faire porter aux femmes l’odieux des assauts qu’elles subissent.

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Ce genre de mécanisme d’intimidation sous-tend une rhétorique absolument dégueulasse. D’abord, le cas d’Amanda Todd démontre à quel point nous sommes prompts à associer la sexualité féminine à quelque chose de sale et honteux, et dont on peut facilement (et « à raison ») se servir comme arme de discrédit. La femme qui se prétend désinvolte et libérée en est une de petite vertu, cela va de soi. Sans lui souhaiter malheur (bien qu’elle « l’aurait cherché » si quelque chose de terrible lui arrivait), on peut raisonnablement lui faire sentir que son usage de son corps et de sa sexualité sont, dans tous les cas, sujets à des jugements acerbes.

Capable de cul, capable d’en prendre. C’est ça?

Dans le cas de Parsons, l’intimidation subie suite à la publication des photos de son agression résulte du même mécanisme. Et comme dans bien des cas tristement célèbres et largement médiatisés, cette stratégie contribue à banaliser, voire à légitimer, autant au niveau « trivial » qu’institutionnel, l’agression sexuelle initiale.

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À ce chapitre, les histoires d’horreur sont atrocement nombreuses. Des histoires à faire frémir, où des victimes finissent sur un pied d’égalité avec leur agresseur. Des histoires qui font en sorte que, plus souvent qu’autrement, les victimes se taisent. Et qu’il n’est pas si grave, au fond, de s’être fait un peu « forcer la main »… Tant que ça reste à l’abri des regards.

L’espace public, on l’a trop souvent démontré, est le dernier endroit où les victimes trouveront l’armistice. La « morale collective » n’est souvent rien d’autre qu’une vieille machine toute détraquée.

On accuse souvent les féministes d’étendre abusivement et à tort la définition d’une agression sexuelle, pour présenter indistinctement les hommes comme des potentiels agresseurs, ou alors pour victimiser les femmes à outrance. Mais il semble clairement que la « zone grise » de l’agression sexuelle soit plus souvent récupérée au profit des agresseurs que de leurs victimes. Et qu’on en profite au passage pour faire « payer » ces dernières par deux fois pour les sévices qu’on leur a infligés.

C’est aussi ça, la culture du viol.

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