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Quand j’étais enfant, les vacances, ça se passait aux Îles. Un ami de la famille nous prêtait sa maison, au pied des Demoiselles, à Havre-Aubert.
Comme les dizaines de milliers de vacanciers qui profitent des Iles chaque été, on allait à la plage, on louait des kayaks à l’Istorlet, on flânait à la Grave. En août, on allait voir les petits bateaux et on faisait presque pipi dans nos shorts parce qu’on riait, on allait aux Châteaux de sable, on passait des après-midis à poker des anémones à l’Aquarium. On allait au resto, on « touristait », quoi.
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C’était la première fois que j’y allais l’hiver. Un tout autre univers. Aux Iles, on hiverne paisiblement. Un lambeau de continent tout engourdi, avec ses maisonnettes colorées qui soupirent sur le Golfe. C’est le vaste silence, entrecoupé par les craquements de la banquise.
« Aux Iles, l’hiver, le monde se visite. Ça se rencontre dans les maisons, ça tricote, ça prend des marches, ça fait des pot-en-pots. Parce que l’été, on a pas l’temps, tout le monde travaille!» m’a expliqué l’amie qui m’a accueillie, cette semaine.
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Les Iles, c’est un cas on ne se peut plus typique d’économie saisonnière. C’est précisément le genre de région qui risque d’être jugulée par la si peu fameuse réforme de l’assurance-emploi de notre Légo de Premier ministre.
Ce qui inquiète tout particulièrement les Madelinots, c’est la fin d’un projet spécial qui accordait cinq semaines de prestations supplémentaires aux travailleurs, afin de combler la période de flottement entre la fin des prestations d’assurance-emploi et le début de la saison de travail. Sans ces prestations, c’est le « trou noir ».
Et en plus, avec les nouvelles « catégories » de chômeurs prévus par la réforme, un travailleur ayant reçu 60 semaines de chômage en 5 ans est considéré comme un « travailleur fréquent », et peut être contraint d’accepter n’importe quel emploi rémunéré à 70% de son emploi habituel, à 100 km de chez lui. Que le travailleur ait recours au chômage parce qu’il œuvre dans une industrie saisonnière (la pêche ou le tourisme, par exemple), on semble tout bonnement en faire fi. Et aux Iles, comme dans biens des régions, en dehors des principaux secteurs d’activité, les emplois sont rarissimes.
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« On est pas des crosseurs! Quand même ben qu’on voudrait travailler, on peut pas, dans notre domaine ou pas: y’en a pas, d’la job! » m’a expliqué Marie-Claude Bourgeois, membre du Comité citoyen des Îles contre la réforme de l’assurance-emploi. « On va pas prendre l’avion tous les jours pour aller travailler à Gaspé au dépanneur pis revenir coucher nos enfants l’soir! »
Alors quoi? Il faudrait partir? Vider tranquillement la région pour obéir à des impératifs économiques douteux? Peut-être faudrait-il faire remarquer à M. Harper que les « travailleurs » et les « emplois » ne s’emboîtent pas forcément comme des Légo, et que le facteur humain, dans le roulement de son étrange économie de la main-d’œuvre, n’est pas qu’une fâcheuse externalité.
Pour Jeannine Richard, la députée péquiste des Iles, Ottawa coupe littéralement les vivres aux régions : « On ne reconnaît pas la saisonnalité de notre économie. Vous savez, aux Iles, et c’est le cas dans bien des régions, on a pas beaucoup de moyens de diversifier notre économie. Et on en fait, des efforts! Les gens des Iles sont très créatifs – on essaie de s’en sortir autrement. Mais au niveau des ressources, des matières premières, on peut pas en inventer! »
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Le plus révoltant, c’est que c’est une main-d’œuvre qualifiée qu’on méprise, avec une telle réforme. Autant dans les secteurs primaires que secondaires ou tertiaires. On ne s’improvise pas aide-pêcheur, pas plus qu’on ne s’improvise sommelier dans un restaurant haut de gamme ou infirmière sur appel. L’économie des régions dépend de la présence de travailleurs qui acceptent les compromis que représentent l’éloignement et la saisonnalité de l’emploi. Mais sans mesures d’appoint financier, comment retenir les gens?
Les effets pervers de cette réforme sont considérables, surtout au Québec, où l’occupation dynamique du territoire est primordiale. Déjà, les régions se dépeuplent. Si on met des bâtons dans les roues aux travailleurs, et qu’on menace de réduire leur niveau de vie, c’est toute l’économie qui s’en ressentira. Et l’exode, il s’accentuera. Mais au Québec, il n’a pas grand’ chose à perdre, M. Harper. Alors pourquoi ne pas enfoncer le clou?
« C’est au nom de la dignité humaine que le gouvernement n’aura pas le choix de reculer. Au nom de la dignité envers les régions et les personnes, il va falloir qu’on comprenne les impacts, et que l’assurance-emploi est nécessaire pour combler le manque à gagner pour l’industrie qui n’est pas opérable à temps plein.» conclue Jeannine Richard.
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La réforme de l’assurance-emploi de Monsieur Harper est non seulement scandaleuse et bâclée, mais elle est pathétique. Ce n’est pas une réforme pour porter ou assainir l’économie, ce n’est pas un projet de société : c’est un plan de sous-développement, motivé par une idéologie aplatissante et arriérée.
Ce sera dit.
Ah oui et la photo, c’était mercredi, au rassemblement symbolique contre la réforme. Les gens, vêtus de noirs, ont reconstitué un “trou noir”, en se massant dans un cercle. On a pris une photo aérienne, et de la soupe a été servie. Environ 900 personnes sont passées, en tout et pour tout.
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