.jpg)
Réflexions sur la présomption d’innocence
La dénonciation d’une inconduite sexuelle entraîne généralement son lot de commentaires quant à la manière dont elle a été faite.
Ainsi, selon l’étendue des vagues que cette dénonciation engendre, il y aura différentes prises de position sur la place publique sur la justesse de la dénonciation et sur la justice, à la fois comme système et comme vertu.
Chacun ira de son propre exercice éditorial. Plusieurs rappellent les grands principes juridiques. Il y a la présomption d’innocence, c’est-à-dire qu’une personne demeure innocente jusqu’à preuve du contraire, preuve faite hors de tout doute raisonnable. Ce principe est enchâssé dans la constitution du pays.
Il y a aussi le principe de proportionnalité du châtiment c’est-à-dire que la peine infligée doit être proportionnelle à la gravité du crime et le degré de responsabilité de son auteur. Ce principe est dans le Code criminel.
Certains rappelleront la nécessité de respecter les processus actuels. Se rendre au poste de police, formuler une plainte et puis attendre. Attendre que la plainte soit retenue par les policiers, que des accusations soient portées, que le système de justice criminelle suive son cours jusqu’au procès. Puis attendre le verdict et, le cas échéant, sa sentence. Ce processus a des règles établies, redéfinies et quelques fois remise en question. C’est le propre du système de droit criminel au Canada.
D’autres personnes attrapent la balle au bond et rappellent l’étendue du labeur émotionnel qui doit être accompli avant, pendant et après le marathon du système de justice criminelle.
Une plaignante doit, après tout, raconter son histoire à plusieurs reprises. Chaque fois, elle doit revivre son traumatisme devant différent-es intervenant-es qu’elle ne connait pas avant de s’exposer à l’ultime épreuve du contre-interrogatoire en salle de cour par une avocate de la défense cherchant à sauvegarder les intérêts de son client.
Inévitablement, nous arrivons donc à un nœud. Ce noeud est gordien pour les juristes, mais coulant pour les victimes.
Et puis cette fâcheuse possibilité que l’inconduite ait bel et bien été commise, mais qu’elle ne constitue pas un crime au sens du droit criminel.
Inévitablement, nous arrivons donc à un nœud. Ce noeud est gordien pour les juristes, mais coulant pour les victimes.
Oui, la présomption d’innocence en salle d’audience est capitale au bon déroulement des procès en droit criminel. Oui, les règles à respecter avant d’arriver à un verdict de culpabilité visent notamment à éviter des condamnations au rythme des humeurs populaires… en salle d’audience.
Or, hors de la salle de cour, quelques questions demeurent en suspens.
Les procès criminels sont-ils adaptés pour répondre aux besoins des victimes d’inconduites sexuelles? Si nous demandons aux victimes de s’incliner devant le processus de justice criminelle, alors ne devons-nous pas aussi nous assurer que ce processus puisse leur apporter une forme de justice selon leurs termes? Avons-nous trop rapidement amalgamé verdict de culpabilité et sentiment de justice dans le cas des agressions à caractère sexuel? Cet amalgame est-il le résultat d’une absence de solution alternative? Devrions-nous réfléchir à des solutions de justices alternatives au droit criminel?
Il semble illusoire de croire que les dénonciations publiques disparaitront. Il semble aussi curieux de demander à ce mouvement de se ranger, de se taire et de régler en privé ce qui l’a étouffé pendant des années. Parlez moins fort, survivantes, car les voisins risquent d’entendre? Peu séduisant pour qui cherche à briser le silence!
Peut-être devons-nous, alors, changer notre façon de les comprendre. À force de se concentrer sur la manière dont on dénonce, nous finissons par oublier la substance de cette dénonciation.
L’ampleur de ce problème ne semble avoir d’égal que notre malaise à le gérer, faute d’outils nous permettant d’y faire véritablement face, à ciel ouvert, en plein jour.
Au fond, ces dénonciations rendent visibles des problèmes qui imbibent à peu près tous les champs de la société civile. L’ampleur de ce problème ne semble avoir d’égal que notre malaise à le gérer, faute d’outils nous permettant d’y faire véritablement face, à ciel ouvert, en plein jour.
Une dénonciation publique n’est peut-être pas une mise en accusation parallèle au système, mais plutôt un cri envers ce système. Derrière ce cri, nous percevons une sourde colère, un manque de confiance envers les institutions actuelles ou encore une manière de faire tabula rasa pour reprendre le contrôle d’une vie morcelée par le traumatisme d’une inconduite.
Ce cri est peut-être là pour nous faire comprendre que notre société n’est pas très bien équipée pour gérer les violences sexuelles et que plusieurs personnes refusent de plus en plus de se limiter au choix de se taire ou d’aller parler aux policiers.
Ce cri est peut-être là pour nous rappeler que plusieurs facettes du système – notamment ses institutions publiques – doivent s’adapter, répondre et changer. C’est aux institutions publiques que revient le travail de faire mieux, de forcer une réflexion collective et de nous fournir collectivement des options autres que le marathon de la justice criminelle ou la culture d’un silence qui perdure.
Au fond, peut-être est-il grand temps pour notre société de s’équiper de différentes options de justice, en prenant pleinement conscience des forces et des faiblesses de chacune.
***
Arij Riahi est avocate en droit criminel.