Dans un café du Vieux-Longueuil, Carolanne Boileau ne cache pas son sourire. À 25 ans, elle vient tout juste d’être élue par acclamation à la présidence du Conseil national des jeunes du Parti québécois devant plus de 400 membres, le plus important rassemblement de l’aile jeunesse depuis des années. À l’heure où le PQ, jadis moribond, grimpe sondage après sondage et vient de signer une victoire électrisante à Arthabaska, la nouvelle présidente arrive, portée par ce vent favorable.
« Moi, j’suis là pour faire un pays », lance-t-elle sans détour, comme une profession de foi.
Le parti de René Lévesque, longtemps donné pour agonisant, plane aujourd’hui autour de 35 % d’appuis. Pour Boileau, ce retour n’a rien d’un miracle. « Quand je suis arrivée, en 2020, le PQ était à 8 %. De l’extérieur, on nous disait condamnés. Mais, à l’intérieur, on savait qu’il y avait du travail à faire. Ce n’était pas pensable que le PQ disparaisse. »
Désormais entourée d’un exécutif paritaire, elle s’installe dans une position rare : celle d’une jeune femme appelée à incarner sa génération. Elle s’étonne encore de sa nouvelle stature qui implique d’avoir un attaché de presse, et de parler au nom d’un parti. « C’est vraiment bizarre qu’on doive passer par quelqu’un d’autre pour me parler », lance-t-elle en riant. Mais derrière le sourire, une certitude : Boileau entend préserver cette authenticité qu’elle revendique, quitte à bousculer un univers politique parfois figé dans ses conventions.
Héritages
Carolanne Boileau a grandi à Saint-Constant chez ses grands-parents maternels, eux-mêmes enfants du baby-boom. Un univers différent de celui de ses camarades, rythmé par la radio allumée dès l’aube et les conversations de cuisine. Son grand-père, électricien à la STM, recevait ses consignes uniquement en anglais, une réalité qui a nourri chez lui une vigilance farouche envers la langue et la culture françaises, lucidité qu’il a transmise à sa petite-fille.
Très tôt, elle en a fait une arme.
Dans la cour d’école, elle s’emportait contre ceux qui la qualifiaient de Canadienne française. « On est des Québécois! », rectifiait-elle avec un aplomb que ne renierait pas Elvis Gratton.
L’héritage, c’est aussi les pancartes défraîchies du OUI, les deux référendums perdus, la ferveur souverainiste devenue mémoire familiale. Autant de fragments qu’elle n’a pas vécus, mais qu’elle a reçus comme une filiation.
Ni tout à fait Gen Z
L’engagement l’a toujours habitée, mais c’est lorsqu’elle s’inscrit à l’université en science politique, qu’il s’est mué en véritable militantisme. Là où les idées se frottent aux réalités du terrain, et où la politique cesse d’être une abstraction pour devenir une pratique.
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Blonde, la jambe tatouée, les ongles longs et impeccables, Carolanne Boileau a l’allure d’une femme de sa génération. Toutefois, elle dit ne pas vraiment se reconnaître dans l’étiquette Gen Z. Élevée par une génération plus âgée, elle a grandi à distance des codes culturels de sa cohorte. « Je viens d’apprendre le terme rizz », lance-t-elle, amusée. Elle se sent plus proche des combats transmis par ses aînés que des références partagées par les jeunes de son âge.
Un entre-deux qui nourrit sans doute son style. Elle conjugue une culture politique façonnée par la ferveur souverainiste et une approche décomplexée, plus libre. « Je sacre comme un trucker », dit-elle en riant, promettant ensuite de surveiller son langage.
Éduquée, assumée, elle revendique une authenticité que le monde politique a parfois du mal à digérer.
L’aile jeunesse comme laboratoire
Le conseil jeunesse du PQ, ouvert aux 16 à 30 ans, n’est pas qu’un club-école. Pour Carolanne Boileau, il s’agit d’une véritable pépinière d’idées. Ses mandats sont vastes : rédiger du contenu, nourrir les plateformes, préparer congrès et conseils, aiguiller les instances locales.
« La mobilisation, ce n’est pas seulement du porte-à-porte ou des appels téléphoniques, insiste-t-elle. C’est réfléchir, être conscient des enjeux de la jeunesse, faire partie intégrante de ce qui s’en vient. Moi, c’est pour ça que je suis là. »
Elle conçoit l’aile jeunesse comme un think tank souverainiste, mais aussi comme un lieu de dialogue, y compris avec les jeunes d’autres partis, dans un rapport qu’elle juge plus cordial qu’on ne l’imagine.
Parmi les priorités mises de l’avant : la gratuité du transport en commun à l’échelle du Québec, un vaste plan de logements pour répondre à la crise qui frappe sa génération de plein fouet, et une exigence accrue d’imputabilité des gouvernements. « Les jeunes pensent aussi à l’économie. On ne fait pas que pelleter des nuages. On veut des propositions réalistes », dit-elle.
Les femmes en politique
Dans son mémoire de maîtrise qu’elle vient tout juste de déposer à l’Université de Sherbrooke, Carolanne Boileau s’est intéressée aux comportements électoraux au féminin, un sujet qu’elle juge incontournable, tant il traverse son propre parcours.
« Quand je suis arrivée, il y avait très peu de femmes dans l’appareil partisan. Ça change, mais il en manque encore », observe-t-elle.
Elle dénonce la tendance persistante à reléguer les femmes à des portefeuilles ministériels jugés secondaires et questionne la valeur réelle de la parité. « On entre dans des quotas, mais est-ce que la parité est vraiment équivalente? »
Ses modèles ne manquent pas. D’abord Pauline Marois : « J’avais 12 ans quand elle est devenue première ministre. Je suis encore une vraie fan girl », confie-t-elle. Puis Louise Harel, qui lui a raconté qu’à son arrivée à l’Assemblée nationale, il n’y avait même pas de toilettes pour les femmes. Enfin, Véronique Hivon, Manon Massé, Catherine Dorion…
« Elles ont ouvert la porte en changeant les codes », résume-t-elle, reconnaissante envers celles qui ont pavé la voie.
Entre décorum et authenticité
Boileau ne cherche pas à se fondre entièrement dans le moule. « Je parle fort. Mon image et ma personnalité sont peut-être différentes, mais les gens savent que je vais toujours répondre », dit-elle. Elle sait très bien ce qu’exige le décorum en place.
Son point d’équilibre, elle entend le trouver en restant fidèle à elle-même, sans se laisser happer par les pièges de la game politique. Elle sourit : « Je ne sais pas si Pauline Marois aimerait mes tatouages… » Sur sa jambe, les lettres « QC LIBRE » s’affichent en permanence, comme une déclaration gravée dans la peau de son engagement.
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Le référendum, non négociable
À ses yeux, la souveraineté ne peut se réduire à une posture abstraite. « Un référendum au premier mandat, c’est non négociable », martèle-t-elle. Elle croit Paul St-Pierre Plamondon sincère dans cette intention, malgré les appels à la prudence d’anciens chefs comme Lucien Bouchard.
Elle se méfie toutefois du simple buzz qui entoure la cause, phénomène sur lequel mes collègues ont signé un reportage éclairant. « Il y a un danger à ce que la souveraineté soit perçue comme quelque chose de cool. Il faut que ça persiste. Notre job, en tant qu’institution, c’est de canaliser cette énergie pour qu’elle reste quand ce sera le temps de la faire. »
Pour elle, l’indépendance doit s’assumer comme un véritable projet de société, pas comme une simple mode passagère. « Ce qu’on pense maintenant doit durer. »
Consciente des fractures régionales, elle insiste sur la nécessité d’un discours rassembleur. Comment parler à la fois à quelqu’un du quartier Saint-Michel ou de Lac-Mégantic? Selon Boileau, misant sur un ton positif, qui cristallise le souffle actuel et s’élargit aux différentes communautés, aux générations et aux réalités multiples du Québec d’aujourd’hui. « Il faut surtout, et avant tout, être à l’écoute. »
Un parti en mutation?
Le PQ, longtemps caricaturé comme le parti des « mononcles », s’est transformé, assure Carolanne Boileau. « Au dernier congrès national, 40 % des membres étaient des jeunes », souligne-t-elle. Cette arrivée massive ne se fait toutefois pas sans heurts. « On nous reproche de manquer d’expérience, de vouloir trop moderniser les idées. Mais c’est aussi ça, faire avancer un mouvement. »
Pour elle, l’essentiel demeure : rester fidèle à soi-même, quitte à bousculer certains cadres.
Elle salue au passage le style de Paul St-Pierre Plamondon. « Il n’agit pas comme un chef messianique. Il sait tendre l’oreille. » Elle affirme pouvoir l’aborder directement, sans détour. « Si quelque chose ne fait pas mon affaire, je vais m’arranger pour le croiser. Il entretient vraiment le désir de faire une place aux jeunes. »
Le souffle de la jeunesse
À l’écouter, on en oublie vite ses 25 ans. Elle maîtrise déjà les codes, comprend « la game », peut-être même trop bien pour son âge. Qui sait si son visage ne finira pas, plus tôt que prévu, sur une affiche électorale?
Pour l’heure, elle se fait catégorique : « Je suis bénévole. Je veux un pays. C’est ça, mon salaire. »
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