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(Re)découvrir les femmes effacées de l’histoire

Elles forment la moitié de la population, pourquoi n'occupent-elles pas 50 % de nos livres d’histoire?

Par
Pauline Allione
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L’Homme de Néandertal, Charlemagne, Rousseau, Bonaparte, Zola… Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour se rendre compte que l’Histoire qu’on nous a racontée ne comporte que peu de femmes.

Dans Les grandes oubliées, la journaliste Titiou Lecoq met à jour notre histoire en incluant la moitié de l’humanité qui était restée dans l’angle mort, laissant penser que les femmes n’avaient été que figurantes. L’occasion de découvrir l’héroïne Atalante dans la mythologie grecque, mais aussi les vies passionnantes de Brunehaut, Alix la Burgotte, Catherine Bernard, Julie Daubié et bien d’autres encore.

Gardez-vous beaucoup de souvenirs de femmes dans vos manuels d’histoire ?

À part Jeanne d’Arc – qui brûlait sur le dessin, ce n’est pas une histoire qui termine bien – je n’ai absolument aucun souvenir de femme. Ce qui m’intéressait, c’était de comparer ce que j’avais appris à l’école et les découvertes actuelles en recherche historique, puisque les progrès technologiques et les historiennes qui travaillent sur l’histoire des femmes, dans la continuité de Michelle Perrot, permettent de faire énormément de découvertes.

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Du jour où l’on a commencé à chercher les femmes, la moitié de notre histoire a commencé à ressurgir. Rien que concernant les sépultures de la Préhistoire et de l’Antiquité, de nombreuses tombes attribuées à des hommes à cause d’armes qui s’y trouvaient se sont avérées être des tombes de femmes.

Comment expliquer que les femmes aient été effacées de l’Histoire ?

Le XIXe est un siècle extraordinairement misogyne, et c’est là que l’histoire devient une matière universitaire enseignée à l’école. À cette époque, on est persuadé que la place naturelle des femmes est à la maison avec les enfants, et que cela a toujours été comme ça. On découvre aussi les premiers sites préhistoriques, auxquels on calque le modèle familial que l’on connaît, avant de l’appliquer au Moyen-Âge puis aux autres périodes historiques. J’ai grandi avec l’idée que les femmes n’ont pas pu participer à l’histoire parce qu’elles étaient matériellement empêchées par leurs enfants, mais c’est un mythe.

J’ai grandi avec l’idée que les femmes n’ont pas pu participer à l’histoire parce qu’elles étaient empêchées par leurs enfants, mais c’est un mythe.

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Réécrire l’histoire en incluant les femmes est un projet de taille, comment vous y êtes vous prise ?

Je n’ai pas écrit le manuel d’histoire que j’aimerais que les élèves aient à l’école, des historiennes l’ont déjà fait. J’ai voulu raconter tout ce que l’on ne sait pas sur l’histoire à travers le prisme des femmes et en analysant les rapports entre les hommes et les femmes au fil des époques. La Révolution française vue par les femmes, ça change quoi ? Et la Deuxième Guerre mondiale ? Ça change beaucoup de choses et c’est passionnant.

En parlant de la Révolution, dans votre livre vous évoquez justement une autre date que le 14 juillet…

La date phare de la Révolution française est celle du 14 juillet 1789, avec la prise de la Bastille. Mais dès le XIXe, Michelet dit que la vraie Révolution a été menée par les femmes lors des journées d’octobre, lorsqu’elles partent à Versailles chercher la famille royale et la ramènent à Paris. À l’école on l’apprend de façon anecdotique, mais on pourrait changer nos bornes historiques et dire que la Révolution française a vraiment démarré les 5 et 6 octobre.

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À partir de quand a-t-on commencé à restreindre les femmes dans la société ?

En réalité, on ne sait pas. On dit des grottes de Lascaux qu’elles ont été peintes par des hommes mais on n’en a aucune preuve. Ce que l’on sait, c’est qu’à partir du Néolithique, période à laquelle on se sédentarise, les femmes changent de statut. Dans les grottes, les représentations de vulves laissent place à des hommes armés. Les sépultures commencent à établir une hiérarchie entre les riches et les pauvres, et les femmes qui maîtrisaient leur fécondité au Paléolithique avec un enfant tous les 3 ou 4 ans commencent à en avoir un par an, ce qui réduit leur capacité d’action. Ces indicateurs prouvent que l’on commence à rentrer dans un régime patriarcal qui existait peut-être déjà avant.

L’histoire est globalement présentée comme une succession d’évolutions technologiques, sociales, intellectuelles… La place des femmes dans la société a-t-elle suivi cette courbe exponentielle ?

L’idée que l’histoire a un sens et que chaque période est meilleure que la précédente est une vieille croyance.

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L’idée que l’histoire a un sens et que chaque période est meilleure que la précédente est une vieille croyance. Je ne suis pas sûre que cela soit vrai, et ce n’est clairement pas le cas pour l’histoire des femmes. Il y a eu des moments où les femmes ont perdu des droits et des libertés, d’autres où elles en ont gagné… Ça montre que rien n’est écrit dans le marbre et qu’il faut rester vigilant.e.s : on peut gagner des droits, mais aussi en perdre.

Y a-t-il eu une période particulièrement répressive pour les femmes ?

Le XIXe est mon siècle préféré, mais il est terrible car on est à un point culminant de la misogynie de la pensée. On considère par exemple que les femmes ne peuvent pas étudier puisqu’elles ont une plus petite tête que les hommes. Dans toutes les périodes précédentes, les femmes avaient une marge de liberté, mais au XIXe siècle, la société se fige et elles sont exclues de tous les lieux de pouvoir.

Les luttes féministes peuvent sembler relativement récentes, mais votre livre revient sur l’histoire de ces mouvements qui préexistent largement au XXe siècle…

Il est très naïf de s’imaginer que les revendications féministes ont émergées au XXe siècle.

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Le mot féminisme date du XIXe, mais ces luttes existent depuis bien plus longtemps. Le truc le plus cool au XIXe, c’est de voir les féministes avec leur chignon et leurs grandes robes jeter des pierres sur les bureaux de vote et mener des actions hyper radicales. Déjà au Moyen-Âge, Christine de Pizan disait qu’il fallait plus de droits pour les femmes… Il est très naïf de s’imaginer que les revendications féministes ont émergées au XXe siècle. De tout temps, dès qu’il y a eu domination masculine, il y a eu des femmes pour se révolter.

Vous expliquez aussi que l’écriture inclusive n’a finalement rien inventé, le langage était donc moins marqué par le genre avant ?

Au Moyen-Âge et après, la langue française était très souple : on formait un masculin ou un féminin à partir du radical d’un mot. Au niveau des métiers, on parlait de la jongleresse, la médecine, la maréchal-ferrante… L’accord était de proximité ou de majorité, et au XVIIIe, l’Académie française a décidé d’écrire les règles du bon français pour masculiniser et modeler la langue. Toutes les langues évoluent naturellement, mais cette évolution n’a pas du tout été naturelle et aujourd’hui l’écriture inclusive tend à enlever cette rigidité imposée de force.

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Pourquoi est-il nécessaire de lutter contre l’oubli du passé des femmes ?

Pour une raison de vérité historique : quand on efface les femmes, on raconte une histoire qui est fausse, et pas juste tronquée. Et politiquement, à quoi rime une société dans laquelle on ne raconte que l’histoire des hommes ? Comment grandit une petite fille à qui l’on raconte une histoire uniquement peuplée de figures masculines ? Ça m’est arrivé, et c’est peut-être pour cela que je ne me suis jamais imaginée présidente de la République.

Y a-t-il une femme dans l’histoire qui vous a particulièrement marquée ?

Il y a quelques années j’ai découvert Charlotte Delbo, qui est une survivante des camps de concentration. Quand les rescapés sont revenus, on a principalement publié des récits d’hommes, avec Primo Levi ou Robert Antelme. Charlotte Delbo a été publiée plus tard, et c’est parmi ce que j’ai lu de plus beau au monde. D’un point de vue littéraire, philosophique et historique, il faut que Charlotte Delbo soit beaucoup plus connue.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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