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Récit d’une vie de party

La ligne est mince entre faire le party et l'alcoolisme.

Par
Eliane Gagnon
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«HOLY SHIT C’EST LA PETITE DE RAMDAM!!!»

Cette phrase, je l’ai entendue très souvent dans ma vie.

Et le monde pense et me dit: «Ta vie va bien, tu réalises ton rêve, ça doit être merveilleux.»

Retour en arrière, en 2004. J’ai 19 ans et je décroche le rôle de Kim Bellavance, la petite de Ramdam.

Description: 12 ans, face de petit chat, énergique et pleine de vie, elle aime jouer aux pichenottes avec Gary-Bob, le petit frère de Shandy.

J’avoue que Ramdam est mon émission préférée à l’époque, je capote ma vie de me joindre à ce groupe d’humains extraordinaires. Le seul petit hic, c’est que je ne connais rien du métier d’acteur. Je suis terrifiée et je tremble comme une feuille au premier jour de tournage. Je ne suis pas très bonne, mais j’ai un peu d’instinct et la caméra m’aime alors je m’en tire… Je commence rapidement à me faire reconnaitre dans la rue et je n’ai aucune idée de comment affronter ma nouvelle réalité de personnalité semi-connue.

Je n’arrivais comme pas à gérer le changement, la popularité, le succès.

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Je joue dans l’émission la plus populaire de l’heure, je fais du beau “cash” et surtout… je suis devenue l’amie de Manolo! Deux de mes rêves les plus fous sont exaucés. J’ai l’impression que je suis partie pour la gloire, j’apprends mon métier et je reçois plein d’amour du public. Mais pour une raison que j’ignore, même si j’ai toutes les raisons du monde d’être heureuse, je n’arrive comme pas à gérer le changement, la popularité, le succès, les émotions et cette nouvelle vie excitante, mais ô combien terrifiante.

Début de la montagne russe

Dans ce tourbillon fou, j’apprends que je suis une “party animal”. Cette identité me va à merveille! Je traîne dans les bars, je deviens “chummy” avec les barmans et les doormans du Diable Vert, du Loft, des Foufs. Je ne paie jamais de covers, je passe devant tout le monde dans les line-up et je peux faire rentrer les amis gratis! J’ai genre un horaire: mardi Loft, jeudi Foufs, vendredi Loft, samedi Diable! C’est le temps des shots de sour puss, de Real big fish sur le dance floor, du sexe dans les coffres de char (ouin…) et de la consommation de drogues de toutes sortes dans des vieilles toilettes pas propres.

J’ai à peu près 8 ans dans ma tête et je me trouve tellement cool.

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Mon personnage de Kim devient de plus en plus populaire, mais ça me gosse raide de me faire aborder dans les bars parce que plus souvent qu’autrement, je suis bien pétée, déchirée, arrachée, déchaussée, gelée (du grand vocabulaire de fille de party) que ça m’arrive de faire de l’attitude aux fans qui sont vraiment heureux de m’apprendre que j’ai donc l’air plus jeune que mon âge.

Grosse nouvelle! «Comme si je ne le savais pas, dude. Ciao bye, je n’ai rien à te dire, laisse-moi jouer au pool tranquille, je suis vraiment bonne avec un verre dans l’nez!» que je me dis et leur fais sentir avec ma belle attitude de marde. J’ai à peu près 8 ans dans ma tête et je pense tout connaître du monde. La vérité c’est que je ne suis pas si nice, mais moi je me trouve tellement cool. Je vis une vie de rock star, Ramdam style.

Une bonne fois, au Loft, je me fais offrir de la Kétamine par un de mes faux amis de party. C’est quoi ça? C’est de l’anesthésiant pour chevaux, ou de la Ké pour les intimes. Cette fois-là, j’en prends trop, mes amis disparaissent, et moi, je me rappelle plus de mon nom. J’ai juste une image dans tête, une image qui aujourd’hui me fend le cœur en mille morceaux.

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Moi, toute petite, toute seule, écrasée dans un coin du bar, genre l’entrée principale où TOUT LE MONDE passe pour sortir… Mon prince charmant, un employé du Loft que j’aime en secret vient me porter secours. Black out.

Le régisseur de Ramdam me prend à part et me dit que je peux tellement faire mieux et qu’il sait que je suis “hangover”.

Début de ma prise de conscience

C’est laitte mon histoire, hein? Je me concentre sur le laitte pour montrer que ça clash avec le fait que même si je suis supposée être la plus heureuse du monde y’a clairement quelque chose qui cloche. La vérité, c’est que j’ai fucking mal en dedans et je ne sais pas pourquoi. Je me sens différente et tout ce que je sais faire, c’est de me geler l’émotion, l’engourdir…

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Un jour, lendemain de veille d’une soirée croustillante au Diable, le régisseur de Ramdam me prend à part. Je me fais chicaner pour une très rare fois de ma vie. Il me dit que je peux tellement faire mieux et qu’il sait que je suis “hangover”, que je ne peux plus continuer comme ça, surtout pas sur un plateau qui coûte beaucoup de milliers de dollars à faire rouler. Pierre le régisseur c’est un peu comme un premier petit miracle dans ma vie.

Je suis encore et toujours en peine d’amour. Je suis très triste. Je me donne donc le droit de boire.

L’après Ramdam

On est en 2009, j’ai 24 ans, Ramdam se termine, je travaille comme vendeuse au Château St-Denis. Je suis encore et toujours en peine d’amour. Je suis très triste. Je me donne donc le droit de boire. Mais mon médecin de famille pointe pour la première fois ma consommation excessive d’alcool et me recommande de faire une thérapie. C’est gratis. Comme l’alcool gratis dans les wrap partys, j’adore la gratuité alors je me dis pourquoi pas, ça ne peut pas me faire de tort. À chaque rencontre, je suis hangover. J’aime ma misère, ça n’a aucun sens. Je l’aime tellement que je me trouve des raisons pour être encore plus misérable tout le temps. Pour être honnête, je me rappelle plus de ce qui s’est passé dans cette thérapie-là ou dans ces années-là tout court.

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Je me mets à tripper “voyage” et je pars souvent pensant que m’enfuir va régler tous mes soucis. Je me cherche, mais je n’arrive pas à trouver ce qui manque ou ce qui cloche. Je me plonge dans l’écriture et je me trouve des nouvelles passions à tous les 2 jours pour tenter d’échapper à ma réalité. Je continue à ce train-là et plusieurs années passent sans que je les voie passer.

Mon rêve de devenir une grande actrice m’a sauvé la vie.

Dans ma petite tête, tout est beau, car j’arrive à fonctionner et je suis consciente que je n’arrive pas à boire exactement comme tout le monde. Je pense que je suis bien là-dedans. Je dérape et j’arrête de boire pour un bout. Et je re-dérape et je re-arrête de boire. Dans le fond, je suis à peu près tout le temps en train d’arrêter de boire… et de recommencer… Et je fonctionne tellement que c’est impossible de penser ou d’admettre que ma consommation d’alcool puisse réellement être un problème.

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Prise de conscience

Février 2016, j’ai maintenant 30 ans. Ça fait un bon 3 mois que je suis partie sur la Côte Ouest pour réaliser mes rêves les plus fous. Aujourd’hui, j’aime dire que mon rêve de devenir une grande actrice m’a sauvé la vie. Hey, je me suis rendue à Los Angeles. Je n’arrive pas à croire que j’ai réussi à me rendre, que je touche mon rêve. J’ai trouvé un manager qui croit en moi et j’ai travaillé assez fort que j’ai pratiquement plus d’accent quand je parle anglais. Je me pète la face moins souvent, mais ça arrive et quand ça dérape, ça dérape solide. Si ce n’est pas pire qu’avant. Ça me prend moins d’alcool, ma tolérance diminue et les black out sont inévitables. C’est périodique et c’est probablement une des pires sortes d’alcoolisme, car ça peut prendre ben du temps à se rendre compte du problème, de la maladie.

Je réalise que mon mode de vie a pu de bon sens, que je suis littéralement un danger pour moi.

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Moi, ça m’a pris 15 ans. Mais j’en avais besoin de ces 15 années, car autrement je n’aurais pas pu faire tout ce chemin-là. Le 26 février 2016, je conduis saoule pour la dernière fois, je black out et mon char se brise pendant que j’essaye de retrouver mon chemin. Comme je suis bien protégée pour ne pas dire miraculée, je ne meurs pas et je ne tue personne. La vie est «smat» avec moi, j’ai eu beaucoup de chances. Je me réveille le matin, la tête dans le cul, je ne me rappelle pas que mon char a brisé.

C’est grave. Je ne sais pas ce qui se passe à l’intérieur de moi, mais je réalise que mon mode de vie a pu de bon sens, que je suis littéralement un danger pour moi et surtout…pour les autres. Clairement, ça n’ira pas en s’améliorant cette vie-là. C’est donc dans mon trip aux États-Unis dans ma Mazda Protégée à 900$ que j’ai eu le déclic. Le plus grand miracle c’est toute cette aventure qui m’a menée à ça, à me réveiller et devenir sobre au moment où j’étais prête, au moment où les bonnes personnes ont croisé ma route pour me faire prendre conscience que je ne peux plus défier la vie ainsi, qu’elle est belle et précieuse cette vie. Ma vie.

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De l’alcoolisme à la sobriété

Au moment où j’écris ces lignes, j’ai 3 mois d’abstinence. En peu de temps, j’en ai appris beaucoup sur l’alcoolisme, sur cette maladie qui fait des ravages puisqu’elle est parfois très difficile à cerner. J’ai aussi appris que j’ai beau avoir peur qu’on juge ma vie et mes choix, les gens vont me juger anyway. Alors j’ai décidé de me faire juger pour avoir le courage d’être honnête pour la première fois de ma vie et, peut-être, aider quelques personnes dans le lot. Je n’ai aucune idée si je vais même avoir le courage de publier ça, mais je me dis que c’est important d’en parler. Je sais à quel point j’ai souffert de ne pas savoir ce qui clochait chez moi et là, j’ai comme un poids de moins sur mes petites épaules.

Être «drunk», je sais où ça me mène et j’ai la certitude que ça peut être encore plus laitte.

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Aujourd’hui, avec du recul, je comprends plusieurs de mes comportements et je peux choisir de les changer et d’avoir une vie meilleure. À 30 ans, je réapprends à vivre, à enlever mon masque, à être bien dans ma peau, à me redécouvrir et à être en accord avec mes choix. Sobrement. Je jure que la sobriété c’est un mode de vie terrifiant. C’est l’inconnu. Carrément. J’ai très peur de l’inconnu, mais je garantis que cet inconnu-là me tente pas mal plus que la vie que j’ai menée dans les 15 dernières années.

Être «drunk», je sais où ça me mène et j’ai la certitude que ça peut être encore plus laitte que l’histoire que je t’ai racontée. (Imagine, une vie sans honte et sans hangovers. Fou raide, mais ça se peut, tellement.) À 30 ans, j’ai choisi la sobriété et c’est le plus beau cadeau que je pouvais m’offrir. J’ai choisi de me pardonner, de m’aimer et d’arrêter de courir après quelque chose à l’extérieur de moi qui n’existe pas. Et cette sobriété, elle me donne la liberté et le bonheur d’être qui je suis, pour la première fois de ma vie.

Je réalise mon rêve. Ma vie va bien. C’est merveilleux.

J’ai un 1 an de sobriété. Aujourd’hui. Et je continue.

Eliane, ta petite de Ramdam

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Pour poursuivre la discussion sur le sujet de la sobriété, on vous conseille d’allez visiter la nouvelle plateforme Soberlab créée par Eliane Gagnon.

Eliane est officiellement ambassadrice du 28 jours sans alcool de la Fondation Jean Lapointe qui est actuellement en cours. Si vous souhaitez la parrainer, c’est par ICI

Si vous souffrez et que vous croyez avoir un problème de consommation, voici des options où vous pourrez trouver de l’aide.

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Pour lire un autre texte sur la réalité de l’alcoolisme: «Papa, pourquoi ne va-t-on jamais voir mamie?»