Mais voilà que, dans une semaine, nous partons en camping faire le tour de la Gaspésie. Ce sera l’occasion — surtout pour moi, l’auteur qui passe sa vie devant un ordinateur — de nous connecter à la nature. Cette nuit-là, je rêve que des fourmis rouges me dévorent les jambes tandis que des loups se disputent ma tête; des plantes carnivores se régalent du sang qui gicle. J’aurais préféré aller à New York.
Le jeu du camping semble consister à s’offrir, selon ses moyens, l’expérience la plus similaire à celle de l’appartement, mais sans y être.
Les préparatifs détonnent avec la simplicité censée être au cœur de ces vacances. Il nous faut une tente, des sacs de couchage, des lanternes… et quoi encore? Ah oui: quelqu’un pour venir s’occuper de Carpette, notre poisson rouge. Nous plaçons notre équipement dans un coin du salon. Le tout forme une montagne plus haute que le téléviseur, mais pour m’assurer que nous aurons tout ce dont le parfait campeur a besoin, je m’aventure dans un magasin de plein air.
Aux côtés des manteaux et des survêtements permettant d’explorer l’Antarctique sans jamais avoir froid est présentée une gamme d’appareils procurant un confort digne de la vie urbaine. En fait, le jeu du camping semble consister à s’offrir, selon ses moyens, l’expérience la plus similaire à celle de l’appartement, mais sans y être: petite cuisinière à induction, petite vaisselle, petite glacière et, pour les véhicules récréatifs, petit écran plasma, petit Vitamix, petit bain sur pattes… De mon côté, j’investis mon budget vacances dans une machine à espresso avec préinfusion allant sur le feu et une poche de café «troisième vague».
Port-Daniel, nous plantons notre tente au bord du fleuve.
En faisant un dernier tour de l’appartement avant de partir, j’arrive devant Carpette. Personne n’a voulu garder notre poisson rouge. Pour un éventuel fishsitter, les risques de décevoir un ami en lui apprenant la mort de son animal de compagnie sont beaucoup trop grands comparativement aux bénéfices potentiels, c’est-à-dire aucun: pas de fourrure à flatter en regardant Netflix, pas de prétexte à de longues balades au parc… Juste une odeur de varech qui chatouille les narines.
Je cours à la quincaillerie et reviens avec un pichet à jus en plastique, dans lequel je transvide l’eau de l’aquarium avant d’y plonger Carpette. Ce sera sa tente-roulotte, déclaré-je fièrement.
À Port-Daniel, nous plantons notre tente au bord du fleuve pour faire griller une truite saumonée achetée à l’épicerie. Nous sommes convaincus d’avoir découvert un petit coin oublié du monde, mais au coucher du soleil, nous sommes rejoints par des dizaines de résidents venus pêcher. Gênés, nous cachons le plateau en styromousse qui servait de support à notre repas.
Les Gaspésiens ne peuvent s’empêcher de se moquer à la vue de notre poisson rouge dans son pichet, et j’avoue que moi-même, je nous trouve ridicules, déconnectés de cette nature à la rencontre de laquelle nous prétendions être allés. Notre existence ressemble beaucoup plus à celle de Carpette qu’à celle des maquereaux que les enfants retirent du fleuve avant de leur arracher la tête avec les dents. Et au fond, cela me convient tout à fait. Je ne veux pas vraiment vivre dans la nature: juste la regarder en touriste, de l’autre côté d’une vitre. Le camping consiste à se faire croire qu’on sort de son aquarium, mais ce n’est que pour se transvider dans un pichet à jus. L’aventure se limite à la possibilité de se perdre un instant dans la poignée d’une carafe.
Quand tout le monde est enfin parti, j’écoute les bruits envoûtants de la nature comme, en ville, une chanson à la radio.