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Récit d’un réfugié irakien: après la survie vient le combat

Épisode 3 - via MEDIAFUGEES

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Mohamed Al Lami était un homme accompli et un mari comblé. En 2015, il a dû fuir l’Irak avec sa femme et ses jeunes enfants. Il nous partage son récit en trois épisodes (les précédents sont juste ici). Dans cette dernière chronique, il nous raconte son arrestation en Belgique, pays où la situation de la plupart des demandeur·se·s d’asile est très précaire. Une nouvelle raison de se battre pour le père de famille irakien de 33 ans…

La Belgique est cette femme magnifique qui ne regardera jamais vers vous. Elle ne vous parlera jamais non plus. Pour autant, vous ne pouvez pas vous empêcher de la regarder. Parfois, lorsque je suis assis dans le tramway, j’essaie de ne pas succomber au charme des rues. En le faisant, j’aurais trop peur de m’attacher à cette femme fatale.

Je n’étais même pas supposé voir la Belgique un jour. Initialement, ma femme Maryam, mes deux petites filles et moi-même nous dirigions vers la Finlande. Mais nous avons été arrêté·e·s le 15 juillet 2015 dans l’avion qui nous conduisait d’Athènes, en Grèce, à Charleroi en Belgique. Nous n’avons jamais pu prendre notre correspondance pour Helsinki.

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À l’aéroport, nous avons immédiatement été enfermé·e·s dans une cellule. Les enfants avaient faim. J’ai demandé du lait à un policier pour les nourrir. Ce dernier m’a rétorqué : «Nous ne sommes pas un supermarché.» J’ai compris qu’il n’était pas très enclin à nous faciliter les choses. «Vous êtes des criminel·le·s», nous disait-il. «Retournez en Irak, pourquoi essayez-vous venir ici?» Au bout de quelques remarques du genre, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander : «Monsieur, ça vous arrive de regarder la télévision ou d’écouter la radio ?»

Avec le recul, je réalise que la plupart des Belges n’ont que très peu d’informations sur ce qui se passe vraiment en Irak. Les médias considèrent peut-être que l’Irak n’est plus un pays très intéressant à couvrir. En tout cas, pour cet officier, vouloir quitter l’Irak était comme essayer de quitter Dubai : c’était un caprice.

«Certaines personnes brûlent leurs empreintes digitales dans l’espoir de ne pas être affiliées à un pays.»

Nous avons été relâché·e·s après 9 heures en cellule. On nous a donné un document nous demandant de quitter la Belgique et l’Union Européenne dans les 24 heures. Comme si on avait fait tout ce chemin pour retourner au point de départ…

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J’ai appelé une demi-douzaine d’avocat·e·s afin de savoir quoi faire. Elles et ils m’ont tous demandé si les autorités avaient pris nos empreintes. J’ai compris que ces empreintes digitales étaient la pierre angulaire du système, responsables du sort de tou·te·s les demandeur·se·s d’asile de l’Union Européenne.

En fait, lorsqu’un pays européen enregistre vos empreintes digitales, vous passez sous le joug du «règlement de Dublin». En bref, il s’agit d’une loi qui détermine quel pays est responsable d’examiner votre demande d’asile. Cette loi considère que vous ne pouvez pas faire de demande dans plus d’un pays de l’Union Européenne. Ainsi, vous êtes forcément sous la juridiction du pays qui a pris vos empreintes. Et si vous essayez de vous établir dans un autre pays de l’Union Européenne, vous serez renvoyé·e·s dans le pays auquel vous êtes affilié·e·s.

Officiellement, l’idée de cette loi est d’empêcher que les demandeur·se·s d’asile ne se retrouvent «en orbit », c’est-à-dire qu’elles et ils soient transféré·e·s de pays en pays sans qu’aucun ne leur concède l’asile.

Lorsqu’un pays européen enregistre vos empreintes digitales, vous passez sous le joug du «règlement de Dublin». En bref, il s’agit d’une loi qui détermine quel pays est responsable d’examiner votre demande d’asile.

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Mais beaucoup voient cela comme une manière de prévenir le phénomène «d’asylum shopping». Dans le jargon des institutions européennes, ce terme renvoie au fait de demander l’asile dans différents pays européens en espérant multiplier ses chances de recevoir le statut de réfugié·e. Selon moi, l’expression «asylum shopping», autant que le concept, est extrêmement offensante. Parce que dans les faits, qui fait du shopping? Les migrant·e·s qui essayent de trouver un endroit sûr pour reconstruire leur vie? Ou les gouvernements qui trient les migrant·e·s comme des marchandises pour qu’elles et ils répondent à leurs attentes et à leurs agendas politiques?

Les conséquences de ce système sont effroyables : certaines personnes brûlent leurs empreintes digitales dans l’espoir de ne pas être affiliées à un pays. Mais ça ne sert absolument à rien. Elles seront simplement enfermées jusqu’à ce que leurs blessures guérissent.

En ce qui concerne ma famille, puisque nos empreintes digitales avaient été enregistrées en terres belges, nous devions rester là. En sortant de l’aéroport, nous avons trouvé un hôtel à Charleroi et nous nous sommes reposé·e·s un peu. Après deux jours, je me suis rendu dans un poste de police pour nous inscrire en tant que demandeur·se·s d’asile. En général, les Irakien·ne·s de Bagdad reçoivent l’asile, ainsi que des papiers de résidence. Les autorités d’immigration belges savent à quel point il est devenu dangereux d’y vivre.

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En attendant que notre demande d’asile soit traitée, nous avons été envoyé·e·s dans un centre de la commune wallonne de Florennes, où nous avons pu nous installer pour un moment. Mais cet endroit était atroce. Les chambres étaient minuscules. Il n’y avait pas de cuisine. Pas de fenêtre. Le bâtiment avait été peint avec un revêtement bleu foncé qui s’était très vite dégradé. Nous ne pouvions pas poser nos yeux sur quoique ce soit sans voir des cafards. Pourtant, nous n’aspirions pas à être hébergé·e·s dans un hôtel cinq étoiles. Un endroit propre aurait suffit.

À partir de ce moment-là, nous avons attendu. Nos rendez-vous avec les autorités étaient repoussés encore et encore. Nous avons passé un an et demi à attendre.

«Une vie en cage, occupé·e·s à ne rien faire.»

Dans cette situation, vous avez beaucoup de temps pour penser à la vie d’avant. Vous pensez à des choses insignifiantes. Dans votre tête pourtant, elles sont extraordinaires. Pour ma part, je ne cessais de penser à ma voiture et à mon bureau. La satisfaction d’être important au travail me manquait, la satisfaction égoïste de réussir aussi.

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Le restaurant où j’avais l’habitude d’aller chaque semaine avec ma femme me manquait. Je fantasmais durant des heures sur le plat italien que je commandais toujours : un morceau de viande rouge enroulé de poulet avec du fromage et une sauce aux champignons. Pourtant, je n’encourage pas vraiment la consommation de viande. Il n’y a aucune logique à faire souffrir une autre créature. Mais c’est comme fumer. Vous savez que c’est mal et vous le faites quand même.

Dans ce centre, mes filles ont commencé à agir vraiment bizarrement. Elles pleuraient tout le temps pour attirer mon attention. Comme elles étaient trop jeunes pour aller à l’école, elles passaient leur journée à la maison, comme des lionnes en cage.

Nous étions effectivement en cage. Enfermé·e·s dans un centre de réfugié·e·s et soumis·es chaque jour à la même routine. Réveil à sept heures du matin, direction la file d’attente pour le petit-déjeuner. Même chose pour les repas du midi et ceux du soir. Les mercredis, il fallait faire la queue à la laverie du centre.

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Et l’image est plutôt bien choisie : nous étions effectivement en cage. Enfermé·e·s dans un centre de réfugié·e·s et soumis·es chaque jour à la même routine. Réveil à sept heures du matin, direction la file d’attente pour le petit-déjeuner. Même chose pour les repas du midi et ceux du soir. Les mercredis, il fallait faire la queue à la laverie du centre. Les lundis, il fallait faire la queue pour obtenir des couches pour les enfants. La vie dans ce centre était rythmée par un agenda précis. Une vie en cage, occupé·e·s à ne rien faire.

Après un an, j’ai commencé à réparer des ordinateurs portables pour 23€ [35 dollars canadiens] par semaine. Ce travail non-déclaré était une façon d‘avoir un peu d’espace à moi.

Et puis très vite, les mauvaises nouvelles ont rythmé nos journées. Nous avons reçu une décision négative de la part des autorités belges trois fois de suite. Selon l’administration, l’Irak n’était pas si dangereuse, et nous donc n’avions aucune raison de rester.

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«Je peux changer ce qu’il y a dans la tête des gens.»

Aujourd’hui, nous vivons dans le flou. Nous ne pouvons pas rentrer chez nous. Nous ne pouvons pas nous établir en Belgique. Alors que faire, quand il n’y a plus rien à faire ? Regarder mes enfants grandir et attendre? Ou tenter de me défendre?

Comme d’autres irakien·ne·s, j’essaie de faire évoluer la situation. Pas seulement pour moi, mais pour tou·te·s les migrant·e·s qui vivent ainsi. Je ne peux pas voter, c’est vrai. Je ne peux pas non plus changer la législation européenne. Mais je peux changer ce qu’il y a dans la tête des gens.

Je ne peux pas voter, c’est vrai. Je ne peux pas non plus changer la législation européenne. Mais je peux changer ce qu’il y a dans la tête des gens.

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Avec l’aide de nombreux·ses activistes et organisations en Belgique, j’ai commencé à organiser des manifestations. Et ces évènements rencontrent un succès croissant. Un jour viendra, je l’espère, où les milliers de manifestant·e·s qui nous accompagnent seront des millions.

Ce jour-là, je suis persuadé que l’actuel Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration belge, Théo Francken, utilisera alors toute son énergie pour aider les demandeur·se·s d’asile à retrouver un peu de dignité. Car, comme tout le monde, il veut garder son travail, non?

Et grâce à ce dévoué M. Francken, je m’inscrirai en doctorat et je deviendrai Dr. Mohammed Al Lami. Je trouverai une petite maison dans un bel endroit. Entouré·e·s de sympathiques compatriotes belges, j’apprendrai à ma femme comment faire du vélo, et je regarderai mes deux petites filles devenir des femmes accomplies. Des irako-belges. Ou des belgo-irakiennes. Qui sait?

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Mohamed Al Lami collabore aujourd’hui avec MEDIAFUGEES, qui offre une tribune aux réfugiés de la francophonie.

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