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La semaine dernière, j’ai fait ce que je fais rarement : je suis allée voir un spectacle d’humour. Je suis somme toute assez novice en la matière, mon expérience se limitant à un show de Patrick Huard dans les années 90. Il avait d’ailleurs invectivé une spectatrice trop bavarde. Mon souvenir de mon unique spectacle d’humour commence et se termine avec cette seule anecdote.
J’ai donc récidivé la semaine dernière, avec un show qui avait tout pour me séduire : l’humoriste a un bon delivery, il est charmant, irrévérencieux, avant-gardiste (le spectacles est bilingue). Il n’est pas difficile de deviner de qui je parle. Mais là n’est pas la question. Même si le spectacle était bon, les blagues bien ficelées, mon cœur n ’entendait pas rire. L’ami qui m’accompagnait m’a d’ailleurs surnommée : pire date ever.
Bon, peut-être.
J’étais vraiment choquée de constater que l’humoriste en question, devant un public qui mangeait littéralement dans sa main, n’aborde pas du tout la question de la grève. De la crise sociale qui déchire le Québec en ce moment. Qui lacère ma ville. À deux pas de la salle de spectacle, au Centre-Ville de surcroît.
En allant à la salle de bain, je me suis regardée dans le miroir et je me suis trouvée rushante. Décroche, fille. En plus d’être la «pire date ever» (sérieux, c’est le genre de call qui peut blesser à long terme, attention les gars), j’avais le soupir facile. Je ne suis pas plus vertueuse qu’une autre : mais savoir qu’on matraque et qu’on poivre les manifestants dehors, ça goûte le sang dans ma bouche.
Dimanche après-midi de pluie, 1990ish. J’ai 8 ans, et comme il m’est interdit d’aller jouer dans la bouette – ma mère lavant les planchers le samedi – je me retrouve confinée à l’intérieur. Comme on n’avait pas le droit de jouer à Duck Hunt plus que 30 minutes par jour, on se retrouvait à regarder la tél é avec mon père. De ces après-midi télé, je resterai longtemps marquée par le rire en cascade d’Yvon Deschamps, par ses jokes de boss gentils, de fondation du Canada, opposant les Sauvages aux Anglais, qui ont descendu De Lorimier one way par en-bas…
J’avais envie d’intituler ce billet De la responsabilité des artistes en période de crise mais j’avais peur que ce titre soit rébarbatif, tout autant sinon davantage que l’utilisation du mot rébarbatif. Mais le fait demeure : je me questionne beaucoup sur l’engagement des artistes en ce moment. Certes, à l’instar de Loco Locass, Ariane Moffatt, Jon Lajoie et Urbain Desbois, plusieurs artistes ont pondu des chansons militantes, drôles, pleines d’esprit. Engagées. Arcade Fire à Saturday Night Live et Xavier Dolan à Cannes ont sans aucun doute contribué à la couverture de presse internationale inouïe: le New York Times, et même le Courrier International se sont mis de la partie pour parler de cette historique crise sociale.
Mais à quand notre Osstidcho à nous, où réflexion politique et humour social s’allieront? Bien sûr, il y a les Zapartistes, oh combien pertinents. Mais il me semble que la scène pourrait s’élargir…
Désolée d’être lourde, mais il me semble que la futilité n’a plus sa place. On y pense deux fois avant de mettre un statut Facebook sur nos nouveaux souliers, mettons. Quand ça pète dehors, quand ça fait 3 mois que ça brasse, est-ce que le silence sur scène relève de la prise de position ?
Car revenons à mon humoriste – suis-je devenue complètement psycho-rigide si je lui demande de se positionner ? Le fait est que jamais on a autant parlé politique autour de moi. Les débats sont houleux, entre voisins, on tape fort sur les casseroles. On parle de désobéissance civile et on se questionne sur ses contours, ses limites, sa portée. C’est beau. Pour une fois, ça semble plus grand que nous. Mais pas plus grand qu’un show d’humour bien rodé, il faut croire.
Je suis rushante parce que je suis incapable, justement, de passer à autre chose. Pas capable d’arrêter de m’en faire, d’oublier un peu, le temps de deux ou trois jokes sur le multiculturalisme et l’accent québécois. Les rires fusaient pourtant, l’air était léger, comme dans un bon party de famille où on évite soigneusement les questions délicates comme la politique, justement.
Je revois mon grand-père (bleu) s’emporter contre mon oncle (rouge) pour finalement piocher, boudeur, dans ses patates pilées suite au « Ça suffit ! » intraitable de ma grand-mère. Principe matriarcal d’usage : rien ne doit venir perturber l’atmosphère calme et sereine qui règne dans la maison un soir de réveillon.
Pas certaine qu’elle aurait tenu le même discours si dans la rue, ses enfants et petits-enfants se faisaient matraquer, poivrer, arrêter, coller des amendes salées aux fesses. Elle aurait aussi compris que je n’aie ni très faim, ni le coeur à la rigolade, parce que dans ma bouche, ça goûterait un peu trop le sang.