Quoi regarder en fin de semaine : The Kid Detective

Confession : j’adore les films/romans de détectives. Les intrigues, les gens louches, le nombre inquiétant de combats à mains nues, les révélations choc, l’écoeurement de la société, l’alcoolisme (fictif), je ne m’en tanne juste pas.

Malheureusement, il s’agit d’un genre qui a connu ses heures de gloire en même temps que la profession elle-même. Après les deux guerres mondiales, devenir détective privé était un véritable débouché pour plusieurs hommes de retour du front. Dans la vraie vie, là.

Deux générations plus tard, il ne reste plus grand-chose de cette figure classique de la culture populaire. Aujourd’hui, les compagnies de sécurité à grand déploiement ont rendu la profession largement caduque, sauf pour les cas plus délicats comme la fraude d’assurance ou les besoins particuliers comme l’enquête sur adultère.

On fait encore des films de détectives, mais ils sont de moins en moins réalistes. Par exemple, le film de Ruben Fleischer Gangster Squad (paru en 2013) était un divertissement honnête, mais ressemblait plus à une séance de cosplay avec Sean Penn et Ryan Gosling qu’à un film d’époque. Ce n’est la faute de personne, comme ce n’est la faute de personne s’il n’y a plus de films de chevaliers réalistes. C’est un phénomène qui, comment dire, ne fait plus partie de la vie contemporaine.

En fait, PRESQUE plus partie….

Le premier long métrage du Canadien Evan Morgan The Kid Detective raconte l’histoire d’Abe (le toujours excellent Adam Brody), un jeune trentenaire qui travaille comme détective privé, un boulot qu’il pratique depuis sa plus tendre enfance. Autrefois jeune prodige de l’énigme, Abe n’a jamais vraiment été plus loin que les mystères du style: «qui a volé les magazines de basketball de Johnny» et «c’est qui le pas fin qui a pigé dans la petite caisse de financement de l’école».

Bien sûr, il a aussi développé un complexe d’infériorité et une dépendance à l’alcool. Les gens du voisinage se tournent vers lui pour toutes sortes de broutilles jusqu’au jour où une jeune fille (Sophie Nélisse) l’engage pour enquêter sur le meurtre de son amoureux. Un adolescent studieux et réservé, en apparence sans histoire.

Un des aspects les plus réussis de The Kid Detective, c’est que le film admet d’entrée de jeu qu’il n’y a plus vraiment de détectives privés, seulement des gens qui jouent au détective privé. Par contre, il y a encore des crimes crapuleux contre lesquels le système semble impuissant. La gravité des événements emmènera Abe à faire un choix: veut-il continuer à s’occuper de méfaits inoffensifs et d’être la risée du voisinage ou est-il prêt à risquer sa vie pour résoudre un vrai crime?

Les enjeux sont à la fois personnels à Abe et universels: tout le monde veut voir un meurtrier être puni. Ça change en titi des enjeux de Marvel qui sont toujours les mêmes: sauver l’univers d’un méchant quelconque aux motivations pas claires. La quête d’Abe est d’autant plus pertinente depuis la multiplication des enquêteurs web qui s’amusent à résoudre des énigmes et/ou à échafauder des théories du complot chaque fois que quelque chose se passe dans le monde. Faire des déductions, c’est une chose. Prendre des risques pour pallier aux manquements du système de justice en est une autre.

Ce n’est pas tout le monde qui pourra voir la beauté dans cet aspect de The Kid Detective (je vous regarde, Montréalais d’origine), mais le film comprend merveilleusement bien la réalité des petites villes. Le genre de ville où on connaît le nom de tout le monde, même si on ne connaît pas tout le monde personnellement.

Je sais que le retour aux régions a la cote, mais grandir dans une petite ville pose un défi particulier. Lorsqu’on passe notre vie à côtoyer les mêmes personnes, on est un peu toujours l’enfant qu’on a été. L’opinion des autres et l’image qu’on a de nous-même se forment très tôt. Pour ses concitoyens, Abe a toujours été « le p’tit gars qui résout des énigmes » et il a été entretenu là-dedans au point où c’est devenu nocif pour lui. Il n’a pas une passion pour le crime. Il a l’impression que c’est la seule chose qu’il sait faire. Ça le rend très attachant.

The Kid Detective représente également très bien toute cette espèce de façade de normalité propre aux endroits où tout le monde se surveille. L’école est propre et ordonnée, mais on y voit jamais un étudiant. Le bar de la place est une espèce de twilight zone monolithique où des activités criminelles se déroulent sans que personne ne lève le petit doigt. Les flics sont complètement invisibles tant que ça reste assez tranquille à leur goût. Les petites villes ont toutes un visage qui ne reflète pas vraiment leur réalité. C’est ce qui les rend si intéressantes.

À travers la chasse gardée des petits milieux et des excentricités de caractère de son personnage principal, The Kid Detective fait revivre une époque révolue pendant près de deux heures et ouvre la porte à de multiples possibilités pour une éventuelle renaissance du film de détective.

Vous devriez éventuellement voir le film aboutir sur Crave (la plateforme figure fièrement au générique), mais si ça vous tente d’encourager un film et une actrice d’ici, le film est disponible en location sur YouTube et plein d’autres plateformes de vidéo sur demande. Je vous le conseille. C’est pas juste un film à regarder pour encourager le contenu d’ici. C’est drôle, nuancé et même creepy parfois. Pourquoi bouder son plaisir?