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Quoi regarder en fin de semaine : « Shrinking »
C’est encore très difficile de parler de santé mentale pour le commun des mortels. On a fait beaucoup de progrès dans le discours culturel et on sait tous que c’est important d’en parler, mais c’est une autre paire de manches d’aborder le sujet avec nos proches. Surtout quand ça nous touche directement.
Les mieux intentionné.e.s ont le bouton « panique » collé dans le tapis. Les autres crient à l’exagération. Pour une personne qui souffre, c’est difficile de s’exprimer à ses proches sans avoir peur de ruiner ses relations. On s’améliore, mais on n’y est pas encore tout à fait.
La santé mentale commence aussi à s’infiltrer dans nos séries télé sans nécessairement qu’un personnage soit en crise totale ou que l’histoire tourne entièrement autour de la question. La problématique n’a probablement jamais été traitée avec autant de doigté que dans la nouvelle série d’Apple TV+ Shrinking mettant en vedette les immenses talents que sont Jason Segel et Harrison Ford.
Le drame ordinaire d’une santé mentale chancelante
Écrit par l’inénarrable Brett Goldstein (le Roy Kent de Ted Lasso), Shrinking raconte l’histoire de Jimmy Laird (joué par Jason Segel), un psychothérapeute endeuillé par la mort de sa femme dans un accident de voiture il y a de cela un an. Semi-fonctionnel depuis, il dérive de plus en plus loin de sa fille Alice (interprétée par la talentueuse Lukita Maxwell) jusqu’au jour où il pète une coche à une cliente et brise son éthique professionnelle (ce qui s’avérera être somme toute une bonne chose).
La série brille là où d’autres se sont cassé les dents auparavant à travers d’une part son portrait nuancé et réaliste des différents visages que peuvent prendre les problèmes de santé mentale et d’autre part, le ton que Shrinking prend pour en discuter. L’idée n’aurait pas aussi bien fonctionné si elle n’avait pas été articulée par le truchement d’une comédie dramatique. Parce qu’une santé mentale chancelante dans la vraie vie, ce n’est jamais présenté aussi dramatiquement que dans un drame.
Lorsque quelqu’un souffre, c’est tout un écosystème social qui est affecté, ce qui donne à la personne affectée l’impression que le monde s’écroule.
Un détail que j’ai particulièrement apprécié est que la détresse éprouvée par Jimmy qui pèse lourd sur les épaules de tout le monde. Surtout sur celles d’Alice, devenue l’adulte dans leur relation depuis le décès tragique de sa mère. Accablée par des responsabilités qu’elle ne devrait pas avoir à son âge, elle s’éloigne graduellement de ses amies et se réfugie dans la discipline et le sport.
Il y a aussi Brian, meilleur ami de Jimmy et incorrigible bibitte jovialiste, qui ne comprend pas pourquoi ce dernier a décidé de couper les ponts alors qu’il avait un criant besoin d’aide. Il y a aussi Paul (joué par Harrison Ford), psychothérapeute sénior à la clinique où travaille notre protagoniste, qui essaie tant bien que mal de lui venir en aide tout en faisant respecter ses propres limites.
Lorsque quelqu’un souffre, c’est tout un écosystème social qui est affecté, ce qui donne à la personne affectée l’impression que le monde s’écroule. Au-delà de l’humour bien dosé et de la justesse de l’interprétation, Shrinking se démarque par ce portrait précis et empathique de situations que l’on vit continuellement sans toujours en comprendre l’importance.
Le pouvoir magique de la vulnérabilité
L’apport de Jason Segel était tout aussi crucial au succès de Shrinking. La maladresse burlesque et la sincérité grandiose de l’acteur américain gardent le ton de la série constamment imprévisible. Un moment ,on rit de bon cœur et l’autre, on écoute religieusement ses monologues minimalistes, mais efficaces.
Lorsqu’on se permet d’être vulnérable, on se permet aussi d’être vrai, d’être soi-même avec les peurs, les insécurités et les imperfections qui viennent avec.
C’est aussi grâce à Segel que les moments de vulnérabilité de Jimmy Laird prennent la place qui leur revient au cœur de la série. Ils sont présentés dans l’écriture de Brett Goldstein comme les clés de la guérison du psychothérapeute. Lorsqu’il s’ouvre tout d’abord à sa cliente Grace sans vraiment le vouloir, l’exercice lui permet ensuite de s’ouvrir à Alice, à Brian et éventuellement à ses collègues Gaby (Jessica Williams) et Paul qui pourront l’accompagner vers la conclusion de son deuil. Ou peut-être que je projette : après tout, on est seulement rendu.e.s au troisième épisode d’une saison qui devrait en compter dix.
Lorsqu’on se permet d’être vulnérable, on se permet aussi d’être vrai, d’être soi-même avec les peurs, les insécurités et les imperfections qui viennent avec. Plus de masques. Plus de jeux sociaux. C’est dans les microexpressions et les gestes en apparence involontaires de Jason Segel qu’on voit à quel point pouvoir être lui-même et mettre des mots sur sa douleur soulage Jimmy.
Le troisième épisode de Shrinking sort aujourd’hui. Je ne l’ai pas encore vu, mais ce sera le premier divertissement à l’ordre du jour après ma journée de travail. C’est une série qui vient chatouiller quelques bobos, mais qui le fait avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Vous en avez pour sept vendredi encore : faites-vous du bien et regardez Shrinking.