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Quoi regarder en fin de semaine : No Sudden Move
Si je vous dis le mot «antihéros», vous pensez à quoi?
À un tough qui porte un manteau en cuir et qui fait la baboune? À un motard hyperviolent qui essaie de venger l’honneur d’un.e proche en essayant de gérer un problème d’alcool? À une personne vertueuse ayant la rage au coeur et un p’tit look pseudo-Goth? Dans notre imaginaire, ça ratisse large. Un vrai antihéros, c’est surtout un personnage qui n’a pas les qualités d’un héros conventionnel comme le courage, la générosité, un esprit d’abnégation, etc. C’est un brin moins séduisant.
il n’y a pas plus intéressant qu’un antihéros bien réussi au cinéma ou à la télé. C’est un personnage qui influence instantanément la lecture d’une oeuvre.
À mon avis, il n’y a pas plus intéressant qu’un antihéros bien réussi au cinéma ou à la télé. C’est un personnage qui influence instantanément notre lecture d’une oeuvre. S’il n’y a pas une leçon morale évidente, ça nous force à sonder nos valeurs pour apprécier la fiction. C’est facile d’haïr Thanos dans Avengers: Endgame parce qu’il a fait disparaître la moitié du monde dans l’univers. C’est plus difficile de détester Walter White dans Breaking Bad parce que même s’il commet des crimes crapuleux, on est inexplicablement attaché à ce personnage de perdant pathologique qui accomplit finalement quelque chose dans sa vie.
Walter White, est un antihéros en bonne et due forme. Et j’en ai deux autres à vous proposer cette semaine: Curt Goynes et Ronald Russo, protagonistes du nouveau film de Steven Soderbergh No Sudden Move.
https://www.youtube.com/watch?v=7GRDLX3a-IE
Éthique et (magouilles) politiques
No Sudden Move est l’histoire de Curt (Don Cheadle), Ronald (Benicio Del Toro) et Charley (Kieran Culkin, le frère de Macauley), trois criminels sans envergure qui sont engagés par le crime organisé pour kidnapper la famille d’un comptable de GM afin qu’il subtilise des dossiers secrets dans le coffre-fort de son supérieur. Vous l’aurez deviné, rien ne se déroule comme prévu et nos protagonistes se retrouvent avec une tâche beaucoup plus compliquée sur les bras que de garder la femme et les deux enfants d’un comptable tranquilles pendant quelques heures.
Curt et Ronald ne sont certainement pas des citoyens modèles, mais ils sont seuls et démunis face à une machination politico-corporative dont ils ne comprennent pas les rouages.
Ni la prémisse ni le film ne gagnera un prix pour son originalité, mais là n’est pas l’intérêt de No Sudden Move. D’entrée de jeu, on est confrontés à un crime extrêmement violent et on déshumanise la victime. Le comptable (le policier grognon de Stranger Things David Harbour) est un poltron maladroit et menteur qui trompe sa femme avec une collègue et qui met la santé de sa famille en péril. Est-il victime du kidnapping ou était-ce la conséquence inévitable de l’accumulation de ses transgressions? On est dans un univers moral on ne peut plus gris.
Curt et Ronald ne sont certainement pas des citoyens modèles, mais ils sont seuls et démunis face à une machination politico-corporative dont ils ne comprennent pas les rouages. S’ils ne sont pas conventionnellement aimables, on peut difficilement être contre eux. Le film met en contexte leurs actions dans à travers le filtre de la survie. Oui, ils ont choisi un mode de vie violent et perfide, mais doivent-ils vraiment mourir pour un vol de documents? No Sudden Move met à l’épreuve nos valeurs et notre éthique personnelle à chaque rebondissement.
le maudit rêve américain
La mallette remplie d’argent est devenue en quelque sorte un personnage iconique des thrillers américains depuis les dernières décennies. On la voit mystérieuse et rayonnante dans Pulp Fiction. Elle détruit tout sur son passage dans No Country For Old Men des frères Coen. C’est un symbole puissant de la corruption du rêve américain: on ne veut plus la maison avec la petite clôture blanche, les enfants, le caniche; on veut l’argent pour s’offrir tous les futurs à la fois parce qu’on ne sait pas ce qu’on veut.
Curt et Ronald ne sont pas différents. Ils veulent s’enrichir et s’affranchir de leur situation. Ce qui change, c’est leur rapport à l’argent. Ils débutent le film avec une dette considérable: leurs têtes sont mises à prix par la pègre locale. Plus ils progressent, plus le montant auquel ils auront droit, s’ils prennent les risques nécessaires, augmente. Leur relation se transformera aussi en suivant la même courbe. C’est vraiment une dynamique à laquelle Hollywood ne nous a pas habitués. Se trahir pour de l’argent, oui. Faire évoluer une relation au gré du montant dans la valise, ça moins.
Nos deux bandits sont motivés par des promesses de richesses futures, mais qui restent floues et immatérielles jusqu’au dernier moment. No Sudden Move pose la question: est-ce qu’on doit saisir les occasions seulement pour le principe? Est-ce que l’idée du succès ne viendrait pas entraver la possibilité d’avoir du succès?
No Sudden Move est disponible sur Crave depuis une semaine. Sans être un triomphe d’originalité, c’est un film intelligent, sournois et profond à sa manière. Il nous rappelle aussi à quel point une vraie bonne histoire d’antihéros peut nous confronter et modifier notre conception de ce qui est bien, ou mal.