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Quoi regarder en fin de semaine : « L’ouragan f*ck you tabarnak »

Une histoire de marginalité on ne peut plus queb.

Par
Benoît Lelièvre
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Confession: un de mes plaisirs coupables, c’est de regarder des films québécois indépendants après le téléjournal de fin de soirée, la fin de semaine à Radio-Canada. C’est comme un sac à surprise de films dont j’ignorais l’existence, existence que j’en viens à questionner environ quinze minutes après mon visionnement. Dans le sens : « est-ce que j’ai vraiment vu ce que je viens de voir, ou suis-je tombé endormi sur le divan il y a deux heures? »

Ne pas trop savoir si j’existe ou non, c’est ma passion.

J’y ai vu des films extraordinaires dont je n’avais jamais entendu parler auparavant comme Genèse, de Philippe Lesage et Flashwood, de Jean-Carl Boucher, où des ados de Boisbriand s’emmerdent pendant l’été. Le film d’Ara Ball L’ouragan fuck you tabarnark m’a rappelé ces fins de soirées oniriques et parfois intoxiquées que j’aime tant. C’est un film audacieux et transgressif, qui regarde la marginalité hochelaguienne sans les lunettes rose bonbon avec lesquelles le cinéma et la littérature québécoise analysent habituellement le phénomène. Ouin… peut-être pas totalement, mais les lunettes sont moins foncées.

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En fin de semaine, je vous invite à sortir de votre grotte pour aller voir la projection de fin de soirée de L’ouragan fuck you tabarnak, au Festival du Nouveau Cinéma. Parce qu’un petit moment onirique, ça se vit si bien en groupe.


Aux origines de la marginalité

L’ouragan fuck you tabarnak, c’est l’adaptation d’un court-métrage du même nom de 2013 à propos d’un garçon de 11 ans d’Hochelaga-Maisonneuve nommé Delphis Denis, qui vit avec un père ultra-violent, une mère à la santé mentale fragile et un petit frère qui vient tout juste de naître. Négligé et incompris, il est renvoyé de l’école et fait une fugue. Un punk le prend sous son aile et l’invite à rejoindre un squat où il gagnera en maturité et un certain contrôle sur ses émotions.

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Mais pas trop, quand même. Un ouragan, c’est pas un ouragan si ça casse pas tout sur son passage.

On va se dire les vraies affaires: c’est un film assez violent et par là, j’veux pas dire qu’il y a des explosions et des fusillades.

Il y a de la violence verbale, émotionnelle et domestique, surtout perpétrée par une figure paternelle narcissique et frustrée qui refuse systématiquement de prendre ses responsabilités. Cette figure paternelle et cette violence aussi explosive qu’imprévisible sont à l’origine de la marginalité de Delphis. La violence de L’ouragan fuck you tabarnak est une violence difficile, une violence qui dérange, parce qu’elle nous est familière.

La colère irrépressible de Delphis contre le système, c’est d’abord une colère qu’il éprouve envers son père, contre la première et principale figure d’autorité dans sa vie et les conséquences que le manque de jugement de ce dernier engendrent dans son développement. Delphis, c’est un vrai de vrai marginal qui refuse d’être une victime, malgré l’hostilité à laquelle il fait face. Ce n’est donc pas si surprenant qu’il trouve éventuellement sa place au sein d’une bande de marginaux qui le comprennent et l’appuient, malgré son langage ordurier et ses écarts de conduite. En d’autres mots, ils le laissent vivre sa vie de p’tit crisse.

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L’ouragan fuck you tabarnak n’est peut-être pas un film joyeux, mais il reflète une belle réalité qu’on ne peut apprendre que par soi-même dans la vie: tout le monde a sa place, mais c’est difficile en crisse de trouver la sienne.

Le merveilleux monde des gens maganés

Un truc qui me tombe sur les nerfs dès qu’on parle d’Hochelaga-Maisonneuve ou de Centre-Sud, c’est l’espèce de romantisme social qu’on associe aux quartiers pauvres dans l’imaginaire collectif. Ces quartiers sont presque toujours présentés comme des villages urbains où les maganés de la vie se tiennent les coudes en marge de la loi: la travailleuse du sexe dans la cinquantaine, le vieux garagiste bedonnant, le propriétaire de casse-croûte grognon, etc. C’est charmant, oui, mais c’est aussi loin, très loin de la réalité.

Le portrait que dresse L’ouragan fuck you tabarnak d’Hochelag’ est pas mal plus compliqué que ça. Pendant la première demie-heure du film, Delphis est constamment victime de violence, tant verbale que physique. Ses explosions de colère lui éclatent au visage et l’enfoncent de plus en plus loin dans une marginalité qu’il ne cherchait pas au départ en passantdes bancs d’école à la rue en très peu de temps. Oui, on y retrouve un peu de cette fameuse solidarité sociale que tant d’artistes aiment rêver à propos des quartiers pauvres de Montréal, mais elle n’est jamais gratuite. Elle doit se mériter ou être marchandée.

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Bref, L’ouragan fuck you tabarnak n’est pas exactement le genre de films qu’on retrouve dans les cinéma Guzzo et mettant en vedette Patrick Huard et Julie Le Breton (quoique Julie Le Breton y joue un petit caméo).

C’est confrontant, brutal, mais on y retrouve aussi le petit côté fantastique de l’épopée d’un jeune garçon qui touche à la liberté pour la première fois de sa vie.

Un film doux amer qui vous habitera longtemps après l’avoir vu. Parfait pour une sortie au FNC… ou pour une fin de soirée un peu irréelle à Radio-Canada. Vous aurez éventuellement l’occasion de le regarder des deux manières, mais commencez donc par une petit virée au festival, ce samedi. Ça coûte moins cher qu’aller au Guzzo et y’a presque rien sur les plateformes de streaming, de toute façon!

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