.jpg)
Quoi regarder en fin de semaine : Heels
« La lutte, c’t’arrangé. »
Chaque dimanche matin, le rituel était le même. Des hommes gigantesques en costumes moulants et colorés s’affrontaient au petit écran pour gagner l’amour du petit garçon de cinq ans que je fus jadis. Malgré la pause improbable au cycle de vie infernal d’un parent d’enfant en bas âge, ma mère TENAIT à passer cette petite heure avec moi chaque fois, pour être SÛRE que je comprenne bien que la lutte, c’est fake.
Même si j’étais beaucoup trop jeune pour comprendre ce que ça impliquait, au juste, que « la lutte, c’t’arrangé », j’ai toujours su que c’était plus un métier qu’un drame pugilistique mettant en vedette des hommes huilés en bobettes de lycra. Ça ne m’a jamais empêché d’aimer ça.
Il y a quelque chose de plus grand que nature à propos de ce feuilleton injecté de testostérone, qui m’y fait revenir encore et encore.
J’aime encore ça aujourd’hui. Il y a beaucoup trop de lutte à la télé pour que je puisse tout suivre, mais il y a quelque chose de plus grand que nature à propos de ce feuilleton injecté de testostérone, qui m’y fait revenir encore et encore. Des hommes d’âge mûr qui se battent comme des petits gars dans la cour d’école avec un budget obscène pour financer leur tapochage, ça m’émeut. Ça me fait sentir comme si j’étais encore devant la télé, les dimanches matins.
Ça se peut que vous ne compreniez pas. Si vous voulez comprendre, je vous conseille fortement d’écouter la nouvelle série Heels, diffusée sur Starz jusqu’au 10 octobre.
https://www.youtube.com/watch?v=dKFfSSXavYc&t=28s
Les rôles qu’on joue
Heels, c’est l’histoire de deux frères qui reprennent l’entreprise de leur paternel quelques mois après le suicide de ce dernier. L’aîné et président Jack (interprété par Stephen Amell) joue le rôle du méchant et champion en titre de la Duffy Wrestling League. Son frère Ace (Alexandre Ludwig), lui, est la vedette montante. Le bon garçon un peu arrogant, mais pas trop. Juste assez pour tenir tête à son grand frère… mais juste sur le ring.
La relation entre les frères Spade est définie par leur philosophie respective : Jack veut assurer la pérennité de l’entreprise de son père, et Ace, lui, cherche à quitter la ville de Duffy pour s’épanouir ailleurs. Ensemble, ils écrivent une trame narrative autour de laquelle la ville se rassemble semaine après semaine, pour le meilleur ou pour le pire.
Voir quelqu’un assumer ce rôle, le vivre pleinement dans un univers scripté et prévisible, ça a un je-ne-sais-quoi de satisfaisant.
Le personnage de Jack sur le ring n’a rien à voir avec l’homme qu’il est. Père de famille et entrepreneur, il prend un malin plaisir à faire peur aux enfants de Duffy qui croisent son chemin. Pour Ace, c’est beaucoup plus compliqué. Son besoin d’amour et d’admiration le dévore. Le rôle qu’il joue chaque samedi soir est plus important à ses yeux que la personne qu’il est vraiment. C’est aussi un rôle envers lequel il ne se sent pas à la hauteur.
Bref, Heels c’est très bon. C’est aussi beaucoup plus qu’une simple série sur la lutte. C’est une série qui parle des rôles qu’on joue en société, de la pression qu’on se met à être quelqu’un qu’on n’est pas vraiment pour plaire aux autres ou juste pour avoir du succès. De la différence entre qui on ressent le besoin d’être et qui on est vraiment. On a beau être lutteur professionnel ou lutteuse professionnelle, ou simple vendeur ou vendeuse de tondeuses (comme Jack l’est sur les heures de bureau), on joue tous et toutes un rôle.
Voir quelqu’un assumer ce rôle, le vivre pleinement dans un univers scripté et prévisible, ça a un je-ne-sais-quoi de satisfaisant. Parce que c’est difficile de s’assumer et de vivre comme on le voudrait vraiment lorsque d’autres personnes dépendent de nous. C’est pour ça qu’on le vit à travers des personnages qu’on incarne ou qu’on regarde. À travers un spectacle pugiliste ou une série de fiction.
Un monde idéal
Vous avez connu la glorieuse époque de Friday Night Lights? Cette vision ensoleillée et romantique du sport amateur aux États-Unis, avec un coach qui s’occupe d’une bande de jeunes esseulé.e.s mieux que leurs propres parents et une équipe de football qui gagne systématiquement tous ses matchs sur le dernier jeu?
Voir Ace ou Wild Bill (qui ont tous deux un problème d’alcool) livrer un monologue touchant et lucide à propos du passé entre deux bières, c’est juste assez maladroit pour être adorable.
On retrouve un peu ce monde idéal dans Heels : une petite communauté tissée serrée, des voisin.e.s bienveillant.e.s, des familles aux liens complexes, le sport comme élément unificateur, etc. C’est une vision du sud des États-Unis idéalisée certes (il existe bien une tension raciale dans l’univers de la série, mais elle ne mène à aucune violence), mais il y a quelque chose de rassurant dans ce genre de rêve éveillé où tout le monde est réfléchi et sincère.
Ce dévouement du créateur Michael Waldron à cet univers où la vie simple et honnête est à l’honneur cause d’ailleurs quelques débordements cocasses au long de la série, alors que certains personnages font parfois des envolées lyriques complètement à l’opposé de leurs valeurs. Voir Ace ou Wild Bill (qui ont tous deux un problème d’alcool) livrer un monologue touchant et lucide à propos du passé entre deux bières, c’est juste assez maladroit pour être adorable.
Heels est disponible sur Crave, mais juste si vous avez l’abonnement à Starz. C’est celui qui coûte cher et que personne n’a. Si vous tournez en rond sans trop savoir quoi regarder depuis quelques semaines, ça vaut la peine d’investir quelques dollars (ne serait-ce que pour un mois) pour regarder la série. Il y a présentement six épisodes disponibles. Il en reste donc deux qui seront distribués chaque dimanche jusqu’à l’Action de grâce.
Oui, la lutte, c’est fake, maman. La fiction aussi, c’est fake, mais on regarde quand même les deux parce que ça sonne vrai. Les vérités du coeur n’ont pas à être factuelles.