.jpg)
Quoi regarder en fin de semaine : Crimes of the Future
À l’échelle cosmique, huit ans c’est l’équivalent d’un battement de cils. Si vous regardez un film réalisé en 2014 et un film réalisé en 2022 sans contexte, il vous sera peut-être difficile de dire lequel est venu avant et lequel est venu après. Huit ans, c’est aussi une éternité dans le contexte sociopolitique actuel. En 2014, Barack Obama était encore président des États-Unis, Justin Trudeau n’était pas encore premier ministre du Canada et il restait un bon deux ans avant que le mouvement #metoo balaie la planète.
Aussi incroyable que ça puisse paraître, Donald Trump n’était alors qu’un excentrique milliardaire avec une émission de téléréalité et des aspirations mégalomanes que personne ne prenait vraiment au sérieux. Ouin, ça fait longtemps. C’était aussi l’année de la parution du dernier film de David Cronenberg Maps to the Stars.
Le Bonhomme Sept Heures du grand écran est de retour aujourd’hui avec un tout nouveau long-métrage Crimes of the Future, qui a fait la pluie et le beau temps la semaine dernière au festival de Cannes. Une tradition de longue date entre un réalisateur controversé et un festival qui aime faire jaser la plèbe beaucoup plus qu’il ne le prétend. Bonne nouvelle, le deuxième plus grand fleuron des arts canadiens après Céline n’a rien perdu de son mordant. Crimes of the Future est le genre de film que l’on oublie pas. Pour le meilleur et pour le pire.
La rock star comme arme politique
Crimes of the Future raconte l’histoire de Saul Tenser (joué par le roi du Gondor lui-même Viggo Mortensen), une des nombreuses personnes souffrant d’une condition appelée syndrome d’évolution accélérée. Ceux qui en sont atteints génèrent continuellement de nouveaux organes dont l’usage est inconnu et ça fait vraiment badtripper le gouvernement. Tenser lui, est devenu une vedette de renommée internationale en procédant à l’ablation de ses organes parasites dans le cadre de performances artistiques avec sa partenaire Caprice (Léa Seydoux).
Oui! Oui! Il se fait opérer artistiquement. Vous avez bien lu. Bienvenue dans l’univers de David Cronenberg (et désolé si vous n’étiez pas prêts).
L’intrigue du film repose sur l’assassinat d’un mystérieux jeune garçon nommé Brecken qu’on voit littéralement croquer et mastiquer un pot de fleurs dans la première séquence du film. C’est probablement la raison pour laquelle certaines personnes sont sorties à Cannes. Si vous avez des enfants à la maison, je vous avertis : vous allez trouver ça rough. C’est filmé avec tout le respect et le sérieux qu’il se doit, mais c’est rough en ti-pépère quand même. Le sort de Bracken et de son « don » décideront du futur de l’humanité face au syndrome d’évolution accélérée et Saul devra décider s’il veut se servir de son art et de sa popularité pour le faire connaître du monde entier.
Crimes of the Future est une histoire qui se penche sur le rôle moral et politique de l’artiste.
Comme vous pouvez déjà le comprendre, Crimes of the Future est une histoire qui se penche sur le rôle moral et politique de l’artiste. Les performances de Saul Tenser lui auront valu une popularité équivalente à celle d’une rock star des années 80. Les hommes veulent être son ami, les femmes veulent coucher avec lui alors qu’il est tout bonnement trop occupé à composer avec la douleur de ses nouveaux organes qui lui déchirent l’intérieur afin d’en profiter. La raison est simple: il a décidé du sort de ses nouveaux organes. À chaque performance, il leur donne une forme et une signification: elles deviennent des œuvres d’art.
Le rôle de Tenser (dont il est très conscient), c’est de diriger éthiquement l’attention du public. De créer en accord avec ses valeurs. Lorsque confronté à une nouvelle signification de sa condition, Saul devra faire un choix qui mettra potentiellement l’ordre social précaire en danger.
La chirurgie, c’est le nouveau sexe
Un des charmes du cinéma de David Cronenberg, c’est l’introduction de paradigmes créatifs complètement détraqués. C’est ce qui rend son cinéma aussi polarisant et inoubliable. Dans Crimes of the Future, c’est l’érotisation de la chirurgie. C’est bien sûr une idée allégorique supposée représenter la confiance et le sex-appeal des gens qui choisissent et assument leur destin, mais c’est représenté avec l’excès et l’hyperbole sanglante qu’on aime tant chez Cronenberg.
Comme Kristen Stewart susurre sensuellement à l’oreille de Saul après une performance : « La chirurgie, c’est le nouveau sexe. » Dans le monde de Crimes of the Future, on ne pénètre plus. On fait sortir. La logique même de la reproduction de l’espèce est bafouée. On ne cherche plus à se sentir complets, on enlève des morceaux. Dans cette logique cauchemardesque digne d’un tableau de Bosch, Saul Tenser doit garder le nord et faire des choix qui auront une influence sur le destin de l’humanité. C’est drôle à dire, mais le gars qui s’enlève les organes du corps pour gagner sa vie est la personne la plus terre à terre du film. C’est complètement fou, mais de la meilleure façon possible.
Aussi, vous n’êtes pas prêts pour Kristen Stewart dans ce film. Elle n’a qu’un rôle de soutien, mais elle est tout simplement phénoménale.
Dans le monde de Crimes of the Future, on ne pénètre plus. On fait sortir. La logique même de la reproduction de l’espèce est bafouée.
Crimes of the Future a aussi un petit côté néo-noir assumé. L’ordre semble avoir abandonné les rues. Le gouvernement semble omnipotent, mais les personnes qui le représentent sont toutes faibles, corrompues et sans pouvoir réel. La vie se déroule dans les bars ou lors de rassemblements artistiques clandestins, sinon les gens sont isolés socialement et géographiquement les uns des autres. Le rôle qu’ils assument lors de ces rassemblements devient leur personnalité aux yeux des autres. Tout est à l’envers dans ce film, mais le bordel est joyeux.
Le film prend l’affiche aujourd’hui et je ne peux que vous le conseiller si vous croyez que votre estomac et vos émotions peuvent tenir la route. Les films de David Cronenberg ont une manière bien à eux de rester avec vous longtemps après le visionnement et d’évoluer avec le temps, comme un bon roman. Ça fait longtemps qu’on a pas eu droit à un film aussi courageux et inconfortable. Du grand Cronenberg.