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Quoi regarder en fin de semaine : « Cocaïne, prison & likes »

La vraie histoire d'Isabelle Lagacé. Racontée par elle-même.

Par
Benoît Lelièvre
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Le psychologue israélo-américain Daniel Kahneman affirme dans son célèbre ouvrage Thinking Fast and Slow que l’être humain possède deux systèmes de pensée : un système instinctif qui permet d’associer de l’information nouvelle avec des connaissances existantes et un système plus laborieux et délibéré qui demande un effort cognitif conscient. Le premier est évolutionnaire et sert à prendre des décisions rapides pour faciliter la gestion de l’information, et le deuxième, à contextualiser et à incorporer l’information jugée importante dans nos vies.

Quand l’arrestation d’Isabelle Lagacé et Mélina Roberge a fait le tour du web en 2016, c’était une histoire qui semblait aussi facile à catégoriser qu’à oublier : deux nounounes québécoises ont documenté leur croisière autour du monde avec des photos Instagram, permettant ainsi à la police australienne de garder l’oeil sur elles et de les attendre bien tranquillement pour les arrêter, elles et leurs valises pleines de cocaïne, au port de Sydney.

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Oui, mais non. Aussi facile et séduisante qu’une histoire puisse paraître, c’est rarement aussi simple qu’on le croirait à première vue. Isabelle Lagacé a décidé de remettre les pendules à l’heure dans la série documentaire Cocaïne, prison & likes, diffusée sur Crave.

S’il y a un exercice auquel la catégorisation des systèmes de pensée de Kahneman se prête, c’est bien celui-ci.

La mort lente de l’insouciance

Mettons quelque chose au clair tout de suite : traverser une frontière avec plusieurs kilogrammes de cocaïne dans ses bagages, c’est pas l’idée du siècle. C’est un risque immense et peu importe la récompense touchée, ça ne justifie pas la très haute probabilité de faire plusieurs années de prison dans un pays étranger. C’est pas une bonne décision de vie. Cependant, la sagesse et le QI de la personne concernée sont loin d’être les deux seules variables en jeu quand on fait un choix de la sorte.

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« Les filles qui sont exploitées dans les réseaux criminels, ce sont souvent des filles qui ont des vulnérabilités », explique la journaliste d’enquête de La Presse Caroline Touzin dans le documentaire.

Dans Cocaïne, prison & likes, on apprend les vulnérabilités d’Isabelle Lagacé. Elle n’était pas spécialement naïve (peut-être un peu?) ou ignorante : son désir de s’impliquer dans une opération à haut risque de la sorte était motivé par des problèmes financiers. Des problèmes ordinaires que beaucoup d’entre nous vivent dans la vingtaine (accumulation de dettes, dépenses mal avisées) et d’autres un peu plus complexes (utilisation de son crédit par un ex abusif). Devenir mule pour un cartel n’est peut-être pas une décision que tout le monde prendrait, mais c’est une possibilité à laquelle pas mal de monde réfléchirait dans la position d’Isabelle.

On est tous insouciant.e.s jusqu’à ce qu’on ait plus les moyens de l’être. Si certain.e.s doivent se calmer tôt, d’autres vont dériver jusqu’à ce que leur situation personnelle devienne intenable.

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L’histoire d’Isabelle est discrètement tragique parce qu’elle relate la mort lente de l’insouciance d’une jeune personne. Quand on devient finalement adulte, une liberté grisante nous frappe de plein fouet. On sort. On va danser. On boit. On commet toutes sortes d’excès. Plusieurs d’entre nous finissent l’école, trouvent quelqu’un pour partager leur vie et fondent une famille, mais pour une personne charismatique comme Isabelle, c’est facile de faire durer le plaisir pendant quelques années et même de faire carrière dans le monde nocturne. Ce désir de changer de vie que ressentait Isabelle Lagacé est né dans ces circonstances.

On est tous insouciant.e.s jusqu’à ce qu’on ait plus les moyens de l’être. Si certain.e.s doivent se calmer tôt, d’autres vont dériver jusqu’à ce que leur situation personnelle devienne intenable. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’Isabelle.

La vie après la gaffe d’une vie

Vous trouverez peut-être qu’il s’agit d’un constat bizarre, mais je suis ressorti de Cocaïne, prison & likes avec une certaine admiration pour Isabelle Lagacé. Peut-être pas pour ses choix de vie, mais pour avoir eu le courage de les assumer complètement sur la place publique.

C’est la nature humaine de vouloir minimiser l’importance et les conséquences de ses erreurs. De vouloir se donner le beau rôle dans une histoire scabreuse. Isabelle Lagacé n’est pas du tout dans ce pattern de justification. Elle discute de son parcours avec une candeur remarquable.

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Dites-en ce que vous voulez, mais c’est la nature humaine de vouloir minimiser l’importance et les conséquences de ses erreurs. De vouloir se donner le beau rôle dans une histoire scabreuse. Isabelle Lagacé n’est pas du tout dans ce pattern de justification. Elle discute de son parcours avec une candeur remarquable. Elle explique comment se sont déroulées ses années en prison pendant le dernier épisode et c’est difficile de ne pas être de son côté alors qu’elle a plaidé coupable, a fait preuve d’un si bon comportement en prison, a été transférée dans un établissement à sécurité minimum et a même réintégré la société à l’aide d’un programme de travail pour les prisonniers et prisonnières.

Cocaïne, prison & likes présente une jeune femme qui travaille extrêmement fort pour ne pas laisser une mauvaise décision définir sa vie et force est d’admettre qu’exorciser ce démon qui l’habite à l’aide d’une série documentaire lui sourit. En racontant sa propre histoire, Isabelle Lagacé déconstruit les préjugés qu’on entretient à son propos. Elle nous empêche de tirer des conclusions hâtives et nous invite à utiliser le deuxième système de pensée de Daniel Kahneman afin d’apprendre à connaître la vraie personne qui vit les vraies conséquences d’un mauvais choix.

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Vous pouvez regarder Cocaïne, prison & likes en rafale sur Crave dès aujourd’hui dans la langue de Shakespeare ou celle de Molière. C’est trois épisodes d’une quarantaine de minutes, donc ça se regarde bien en une soirée!