.jpg)
Quoi regarder en fin de semaine : Can’t Get You Out of My Head
Dans son plus récent ouvrage Everything is F*cked : A Book About Hope, l’auteur américain Mark Manson explore les sentiments de découragements et de désespoir chez les gens de ma génération. On a souvent l’impression que le monde va mal et que la société est sur le point de s’ écrouler, même si statistiquement les choses vont mieux que jamais (à part l’environnement, bien sûr).
Pourquoi le monde nous semble-t-il hors de contrôle? Manson affirme que les tactiques marketing ont réussi à nous faire croire qu’on est brisés. Pour le documentariste Adam Curtis, la question est beaucoup plus compliquée.
Sa nouvelle série Can’t Get You Out of My Head est l’histoire du monde dans lequel on vit aujourd’hui et de la manière dont on en est venus à se sentir découragés tout le temps et à propos de tout.
De la faillite des mouvements populaires à la montée du capitalisme sauvage
Can’t Get You Out of My Head, c’est six épisodes de durée variable (entre une et deux heures) sur l’histoire du monde d’après-guerre et la montée de l’individualisme dans la société contemporaine.
Dès le premier épisode Bloodshed of Wolf Mountain, Adam Curtis présente plusieurs victimes de la faillite des grands mouvements populaires, notamment l’épouse de Mao Zedong Jian Quing, l’auteur psychédélique Kerry Thornley et le jeune immigrant Michael de Freitas. La vie de chacun d’entre eux est affectée par la corruption au sein de mouvements qui affirment vouloir créer un monde meilleur.
À partir de ce constat, Curtis retrace la montée d’un individualisme opportuniste et d’un capitaliste qui mise sur les plaisirs superficiels plutôt que sur les idées. «Ce que je reproche à la gauche, c’est d’avoir tourné le dos à l’économie parce que leurs adversaires politiques ont accédé au pouvoir partout. […] C’est à partir de là qu’on a perdu le contrôle et que l’argent a pris le contrôle sur nous,» expliquait-il au magazine Time.
«Ce que je reproche à la gauche, c’est d’avoir tourné le dos à l’économie parce que leurs adversaires politiques ont accédé au pouvoir partout. […] C’est à partir de là qu’on a perdu le contrôle et que l’argent a pris le contrôle sur nous.»
Au long de la série, Curtis dresse le portrait d’une désillusion alimentée par un manque de transparence des gouvernements et par le confort infantilisant de sociétés avec une classe moyenne bien établie. Lorsqu’on ne sent plus le besoin de s’informer sur ce qui se passe dans le monde parce qu’on est pépère à la maison, on cherche alors à se divertir. Selon Curtis, c’est à partir de là qu’a débuté la surenchère du sensationnalisme et que le journalisme s’est mis à tirer de la patte: «Ça a commencé dans les années 90. À cette époque, il n’y avait pas d’histoires dramatiques. La droite et la gauche ne faisaient qu’un. C’était vraiment le début de l’économie d’attention à grande échelle,» continuait-il.
Pour Adam Curtis, ce manque de vision et d’honnêteté a contribué à la montée d’un individualisme malsain. Si on est aussi malheureux et obnubilés par notre développement personnel, c’est parce qu’on ne fait pas confiance aux autres et qu’on n’a plus de direction commune dans laquelle progresser.
Une alternative à Trump et à Brexit
«C’est nous qui sommes responsables du monde dans lequel on vit, » expliquait Adam Curtis à The Guardian dans la foulée du lancement de sa série. «C’est nous qui l’avons créé. Donc, c’est à nous d’y faire des changements si besoin est.»
Il y explique que l’idée derrière Can’t Get You Out of My Head était d’offrir une explication pour le manque d’alternatives aux visions populistes de Donald Trump et Boris Johnson après leurs élections respectives. Ça peut paraître lourd présenté comme ça, mais il a quelque chose d’intoxiquant à l’approche responsabilisante qu’utilise le réalisateur pour parler à une audience qui partage foncièrement les mêmes allégeances politiques. Le retour de l’extrême droite et de politiques populistes qui divisent, c’est en partie notre responsabilité. On a raté l’occasion de créer une vision commune forte.
Il faut arrêter de souhaiter un monde meilleur. Il faut être meilleurs et pour ça, il faut penser différemment.
Bien sûr, la série sert le propos de son réalisateur et propose une analyse somme toute claire et tranchée de problèmes complexes et difficiles. Aborder le monde d’après-guerre comme un long et douloureux échec et non comme la réussite qu’on nous vend depuis 1945 est confrontant et stimulant. Ce qui unit les visions de Mark Manson et d’Adam Curtis, c’est cette idée selon laquelle il faut arrêter de souhaiter un monde meilleur. Il faut ÊTRE meilleurs et pour ça, il faut penser différemment.
Une autre bonne raison de regarder Can’t Get You Out of My Head c’est que c’est gratuit. Pas d’entourloupes. C’est disponible sur YouTube en Amérique du Nord à la demande d’Adam Curtis lui-même.
Qu’est-ce qu’il y a de mieux que du divertissement intelligent et gratuit, hein?