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Quoi regarder en fin de semaine : « American Gigolo »

50% ridicule, 50% sincère, 100% enlevante.

Par
Benoît Lelièvre
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Les années 80 à Hollywood étaient une sorte d’Eldorado naïf. Propulsées par une commercialisation agressive engendrées par les dérégularisations financières de Ronald Reagan et beaucoup BEAUCOUP de cocaïne, l’éthique de travail et les horaires de production étaient inversement proportionnelles à l’ampleur de réflexion mise dans chaque film. C’était les belles années de Commando, Cobra, Bloodsport et compagnie.

Toutes les excuses étaient bonnes pour mettre des biceps huilés et le plus d’armes à feu possible à l’écran. Bref, c’était le reflet d’une époque triomphaliste et complètement hors de contrôle.

Fidèle au matériel original, mais pas trop, la nouvelle escorte est à la fois déconstruction et hommage aux stéréotypes de genre.

Paru en 1980, le film de Paul Schrader American Gigolo est un compromis entre le film d’auteur des années 70 et la folie créative de la décennie qui s’annonce. Un film noir à propos d’une escorte masculine coïncée dans une conspiration? C’est à la fois complètement folklorique et hypersérieux. Cette dualité tonale a fait tomber le film dans l’oubli. American Gigolo représente un passage entre les époques, mais n’appartient à aucune d’entre elles.

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Ou plutôt, n’appartenait à aucune d’entre elles. Jusqu’à aujourd’hui.

Depuis ce matin, le premier épisode d’American Gigolo, la série télé, est disponible sur Crave, et c’est pas, MAIS PAS DU TOUT ce que vous vous imaginez. Fidèle au matériel original, mais pas trop, la nouvelle escorte est à la fois déconstruction et hommage aux stéréotypes de genre. Un produit bien de notre époque : sensible, intelligent… et un petit peu folklorique sur les bords (mais pas trop)!

La partie qui se veut sérieuse

Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec l’intrigue d’American Gigolo, l’adaptation télé de David Hollander (la tête pensante derrière la série à succès Ray Donovan) diffère légèrement de celle du film. Elle est un tantinet plus contemporaine.

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Elle raconte l’histoire de Julian Kaye (joué par Jon Bernthal), un ancien travailleur du sexe condamné pour un meurtre dont il n’a aucun souvenir. Après avoir passé 15 ans en prison, il est innocenté par la confession du vrai tueur, qui se trouve sur son lit de mort, et un test d’ADN un peu flou que la série aborde très rapidement. Contrairement à dans le film, Julian n’est pas innocenté par son amoureuse Michelle au dernier moment, mais plutôt trahi par elle, et 15 ans après les faits, il retourne dans le métier pour essayer de comprendre ce qui lui est arrivé.

Jon Bernthal utilise ses grands yeux de chien battu et son nez de boxeur afin de faire transparaître la complexité et l’intériorité d’un petit garçon vendu par sa mère à une pimp hollywoodienne

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Oui, cette prémisse est complètement folle. Elle n’est cependant qu’une excuse pour un exercice de déconstruction d’un personnage improbable. Jon Bernthal, l’acteur qui l’interprète, utilise ses grands yeux de chien battu et son nez de boxeur afin de faire transparaître la complexité et l’intériorité d’un petit garçon vendu par sa mère à une pimp hollywoodienne dans un geste de désespoir pour lui éviter une existence sans issue dans un trailer park en plein milieu du désert.

Contrairement au Julian du film, celui de la série télé est tout sauf superficiel. C’est un survivant d’abus et d’injustice et un romantique qui, malgré tout ce dont il a été victime, n’a jamais perdu foi en le rêve américain. Jamais la ligne entre le Julian-qui-travaille et le vrai-Julian ne devient floue. Une histoire d’underdog classique, oui, mais néanmoins complexe et nuancée.

La partie un peu fofolle

Un peu comme un mini-wheat, American Gigolo a un petit côté fou avec un givrage sucré. Dans le premier épisode, ce petit côté pulp (comme le disent nos voisins du Sud) s’exprime par le personnage de Stratton, un magnat de la technologie californien qui parle constamment de YouTube (situant donc les événements pré-arrestation à environ 2006).

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Pour vous situer, Stratton est le mari de Michelle (interprété par Gretchen Mol), la femme dont Julian est amoureux. Dans l’original, il était politicien. La transition est logique : son personnage dans la série est toujours un homme de pouvoir, mais au XXIe siècle.

Stratton n’est pas exactement un personnage. C’est plus un symbole de pouvoir qui essaie de détruire quiconque ne lui obéit pas.

Contrairement à tous les cool kids de Silicon Valley, Stratton ne porte que des costumes trois-pièces, s’entoure de personnages aussi sordides que lui (dont un garde de sécurité qui grimace comme un monstre de film d’horreur) et aime visiblement régler ses problèmes en marge de la loi. Dans le premier épisode, il essaie d’ailleurs très ironiquement de faire disparaître l’enseignante de son fils adolescent avec qui ce dernier a une idylle. Stratton n’est pas exactement un personnage. C’est plus un symbole de pouvoir qui essaie de détruire quiconque ne lui obéit pas.

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Le personnage de Lorenzo (joué par Wayne Brady) est peut-être le point le plus faible de ce premier épisode d’American Gigolo. Beaucoup trop conciliant et empathique envers un gars accusé de meurtre qui ne sait lui-même pas s’il est coupable, c’est clair et net qu’il est impliqué dans la magouille ayant fait emprisonner Julian. C’est beaucoup trop évident.

Ce premier épisode d’American Gigolo vaut à 100 % une petite heure de votre attention, que vous soyez fan de prémisses ridicules du cinéma des années 80 ou non. La série de David Hollander fait tenir en équilibre plusieurs éléments en apparence disparates et incompatibles, mais elle les fait tenir. C’est à la fois classique, réconfortant et audacieux sur certains éléments.

Bref, vous pourriez faire bien pire que de dédier une heure de votre vendredi à cette improbable série.