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Quoi regarder cette semaine : Dans l’ombre du Star Wars Kid
Tout le monde (ou presque) connaît Ghyslain Raza. Même ceux et celles qui ne connaissent pas son nom. Dans la conscience populaire, il est encore aujourd’hui un adolescent en chemise rayée qui joue maladroitement au Jedi dans un studio de son institution scolaire. Il aura toujours 14 ans. Il ne vieillira jamais.
C’est pour ça que Raza a décidé de participer au documentaire de Mathieu Fournier Dans l’ombre du Star Wars Kid. Comme il l’explique si bien lui-même : « Star Wars Kid, ce n’est pas moi. C’est un personnage qui existe dans une vidéo sans contexte devenue virale sur internet. Moi, c’est Ghyslain. »
Star Wars Kid a été la première vidéo virale à émerger d’internet. Il y en a eu d’autres avant, comme le terrifiant dancing baby, mais Star Wars Kid est (à ma connaissance) la première vidéo téléversée mettant en vedette un pur inconnu qui est devenue un point de référence dans la culture populaire. Avant Star Wars Kid, une vidéo devenait virale parce qu’elle mettait de l’avant une référence déjà connue. Dancing Baby, par exemple, est devenu viral à la suite de son passage à l’émission américaine Ally McBeal.
Star Wars Kid représentait donc un tout nouveau phénomène d’une popularité inégalée. Selon le documentaire, la vidéo aurait été visionnée plus de 900 millions de fois. C’est plus ou moins 10 % de la population mondiale (en prenant en compte que certaines personnes l’ont écoutée plusieurs fois). Ça a changé le monde d’une certaine façon, mais ça a surtout changé Ghyslain Raza. Dans l’ombre du Star Wars Kid documente sa démarche pour boucler la boucle sur un personnage l’ayant mené en marge de sa propre existence. Un efficace retour dans le passé pour (on ne peut que le souhaiter) mieux avancer dans le futur.
Le poids du souvenir collectif
Dans l’imaginaire collectif, Star Wars Kid est un jeune adolescent qui s’est sauvé de sa propre popularité. Surpris par la portée de sa performance, il aurait rejeté l’amour, l’admiration, des invitations aux plus grands talk-shows américains et même un caméo dans Star Wars : Revenge of the Sith. C’est quelqu’un qui a tourné le dos au rêve. C’est le contraire de Momo, le gars de « Téquila, Heineken, pas le temps de niaiser », qui a surfé beaucoup trop longtemps sur ses propres 45 secondes de gloire.
Ça, c’est l’histoire qu’on aime se raconter. La réalité est tout autre.
On découvre dans le documentaire que Ghyslain Raza n’a jamais spécialement été fan de Star Wars. Malgré les apparences, cette vidéo n’a pas été faite pour rendre hommage au personnage de Darth Maul. C’était une tentative de régler un bogue de caméra après une longue soirée de travail. Un moment où Ghyslain a eu le malheur de lâcher son fou pendant quelques secondes.
Dans l’ombre du Star Wars Kid réussit habilement à illustrer les univers et les identités parallèles qui ont chamboulé la vie du principal intéressé.
C’était aussi en novembre 2002, et ce n’est pas avant avril 2003 que la vidéo s’est retrouvée en ligne. Imaginez-vous enregistrer quelque chose sans trop vous soucier de ce dont vous avez l’air pour découvrir quelques mois plus tard que des millions de personnes vous ont non seulement vu, mais partagent la vidéo à tout vent. C’est le cauchemar que Ghyslain Raza a vécu.
Dans l’ombre du Star Wars Kid réussit habilement à illustrer les univers et les identités parallèles qui ont chamboulé la vie du principal intéressé. Au fil des intervenants, Ghyslain rencontre des gens qui non seulement ignoraient presque tout des problèmes que lui a causés la vidéo du Star Wars Kid, mais qui viennent d’un peu partout dans le monde et qui ne parlent pas français. Le processus de désassociation pour eux est brutal. Le blogueur Andy Baio, l’un des premiers propagateurs de la vidéo, s’excuse même pour les torts causés.
Notre souvenir collectif du Star Wars Kid a peu à voir avec la réalité. C’est cette notion que le documentaire de Mathieu Fournier établit habilement. Si on avait tout faux à propos de Star Wars Kid, à propos de combien de vidéos virales faisons-nous erreur?
Patient zéro de la cyberintimidation
Un autre aspect de l’histoire de Ghyslain Raza abordé dans le documentaire est la cyberintimidation dont il a été victime. C’était un concept nouveau à l’époque. Tout le monde mettait de l’information en ligne, mais peu réagissaient encore directement via les plateformes. C’est en partie pour ça que Ghyslain s’est heurté à beaucoup d’incompréhension, mais ce que Dans l’ombre du Star Wars Kid nous apprend, c’est que les commentaires désobligeants d’inconnu.e.s ne sont qu’une forme d’hostilité à laquelle il a fait face.
L’intimidation à laquelle s’est heurté Ghyslain à la suite de la publication de la vidéo a dépassé de beaucoup les confins d’internet. Elle s’est immiscée dans sa vie. À l’école et même à la maison, par le truchement de journalistes beaucoup trop zélé.e.s souhaitant récolter des images de lui à tout prix. Le manque criant de soutien aussi. Il raconte d’ailleurs que son institution scolaire l’a complètement laissé tomber, poussant ultimement Ghyslain et sa famille vers l’éducation à domicile.
Est-ce qu’on est capables d’aider quelqu’un en situation de crise (même si cette crise ne nous affecte pas directement) en tant que professionnel.le.s ou simplement en tant qu’êtres humains?
On aime tous et toutes croire en nos capacités de reconnaître et protéger une victime lorsqu’on en voit une, mais l’histoire de Ghyslain Raza nous confronte au contraire. Dans l’ombre du Star Wars Kid n’approfondit pas cet angle, mais soulève quand même la question par la force des choses : est-ce qu’on est capables d’aider quelqu’un en situation de crise (même si cette crise ne nous affecte pas directement) en tant que professionnel.le.s ou simplement en tant qu’êtres humains?
Parce qu’on a pas mal tous et toutes, collectivement, laissé tomber Ghyslain Raza. Plus spécialement les gens qui auraient pu avoir un impact direct.
Dans l’ombre du Star Wars Kid est présenté ce soir, sur les ondes de Télé-Québec, et sera disponible pour visionnement sur la plateforme en ligne de l’ONF dès demain. Je vous le conseille fortement. On a tendance à toujours se réapproprier la signification du contenu viral. C’est un peu la nature des mèmes. C’est un bon exercice de retourner à la source et de comprendre les circonstances réelles entourant un contenu viral. Pas juste celles qu’on aime imaginer. Quoi regarder cette semaine : Dans l’ombre du Star Wars Kid