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Quoi faire quand on ressent de la jalousie en amitié?

« La jalousie, c’est un deuil anticipé. »

Par
Laïma A. Gérald
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« J’ai une amie d’enfance, Amélie*, de qui je suis proche depuis qu’on a 4 ou 5 ans. Nos mères étaient amies. Il y a deux ans, j’ai organisé mon anniversaire dans un parc et j’ai invité plusieurs personnes, dont mon amie Leila*, avec qui je passe beaucoup de temps depuis l’université. Je dirais que c’est l’amie que je vois le plus. On est vraiment super liées », raconte Maude*, une trentenaire établie dans la ville de Québec.

« Pendant la soirée, j’ai remarqué qu’Amélie et Leila jasaient vraiment beaucoup ensemble, poursuit-elle. Je trouvais ça franchement cool de voir qu’elles bondaient autant! »

Même scénario l’année suivante. À l’occasion de l’anniversaire de la jeune femme, Amélie et Leila sont heureuses de se revoir et discutent une bonne partie de la soirée.

Quelques semaines plus tard, Maude est sur Instagram et constate avec surprise que Leila est taguée dans une story d’Amélie. « J’ai ressenti comme un coup de point dans le plexus, me confie Maude. Je vais être honnête : ça m’a fait vraiment chier de savoir que mes deux amies, que j’ai présentées en plus, se voyaient sans moi. Elles aiment toutes les deux le plein air – moi, c’est zéro mon truc –, donc dans un sens, je comprends pourquoi elles ne m’ont pas invitée, mais je me suis sentie trahie, triste, fâchée, c’est weird! »

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Un deuil anticipé

« Que ce soit sur le plan social, amoureux, professionnel ou amical, les enjeux qui sous-tendent la jalousie restent les mêmes », m’explique d’emblée Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal.

«La jalousie est une perte potentielle : on a peur de perdre l’autre, on se sent blessé si on sent un potentiel éloignement. C’est un deuil anticipé»

Si la jalousie est beaucoup plus commune en amour, elle peut effectivement s’immiscer dans les relations d’amitié. « Pour une grande partie des gens, la relation amoureuse est le lien de proximité principal, ce qui explique que la jalousie est plus commune dans cette sphère, indique-t-elle. Quand on s’engage, qu’on se marie, qu’on fonde une famille, on compte sur le fait que l’autre va rester là. Donc tout ce qui vient “menacer” le couple est perturbant. »

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Pour la psychologue, qui vient d’ailleurs d’offrir une conférence sur la jalousie, le lien de proximité existe aussi dans la sphère amicale, mais la majorité des gens se sentent alors moins menacés par la présence d’une tierce personne. « La jalousie est une perte potentielle : on a peur de perdre l’autre, on se sent blessé si on sent un potentiel éloignement. C’est un deuil anticipé, » déclare Geneviève Beaulieu-Pelletier, qui rappelle l’importance des relations interpersonnelles dans le bien-être des humains.

Comme a pu le vivre Maude, le sentiment de jalousie en amitié s’éveille quand on a peur de perdre un.e ami.e et d’être rejeté.e, abandonné.e. Or, la psychologue insiste sur le fait que cette peur est anticipée.

Pourquoi certaines personnes, comme Maude, sont-elles plus susceptibles de vivre de la jalousie dans un contexte amical?

« Chaque personne a son bagage, précise notre experte. Si une personne a vécu la perte d’une personne de confiance, un ami, un amoureux ou autre, et a ressenti une déception ou une douleur, elle sera plus sensible à cette tendance. Quelqu’un qui a des angoisses d’abandon, de la part des parents par exemple, aura tendance à reproduire ça en amitié. »

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Les ami.e.s de mes ami.e.s sont mes ami.e.s?

Si on partage des points communs avec plusieurs de nos ami.e.s, il y a de fortes chances que ces personnes s’entendent bien entre elles. Mais dans le cas de Leila et Amélie, celles-ci ont découvert un intérêt commun que Maude ne partage pas, d’où la jalousie ressentie par cette dernière.

«Certaines personnes vont verser dans la surveillance, le contrôle et l’agressivité»

« Je me suis sentie menacée, j’avais l’impression que mes amies n’avaient plus “besoin” de moi. Le fait qu’elle entame une relation d’amitié sans moi, ça m’a fait vraiment peur et j’ai eu envie de les flusher toutes les deux, pour me venger, genre! », raconte Maude, en ajoutant qu’elle a plutôt décidé d’en parler à ses amies, ce qui a désamorcé la situation.

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Si Maude a décidé de parler de ses émotions à ses amies afin de maintenant les liens, il existe plusieurs réactions potentielles lorsque l’on est jaloux ou jalouse.

« Certaines personnes vont verser dans la surveillance, le contrôle et l’agressivité », fait valoir Geneviève Beaulieu-Pelletier, en ajoutant que ce type de comportement, provoqué par la blessure et la peur de perdre l’autre, risque de l’éloigner davantage. « On peut se demander si le nouveau comportement qu’on adopte maintient le lien ou au contraire, le mine. »

Selon la psychologue, on constate d’autres types de réactions face à la jalousie, qui elle-même englobe plusieurs émotions comme la tristesse, la colère et l’anxiété. « Dépendamment de comment on gère chacune de ces émotions-là, nos réactions vont varier et être influencées par notre gestion de celles-ci, décrit-elle. Certaines personnes se sentent blessées, perdent confiance en elles, se sentent rabaissées, voire humiliées. D’autres personnes vont se retirer, couper les ponts, ou alors faire fi de leurs émotions pour maintenir le lien coûte que coûte. »

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Pour la psychologue, dans le meilleur des cas, la jalousie est un excellent prétexte pour se questionner et même retravailler sa relation. « Si je sens que mon ami s’éloigne de moi pour se rapprocher d’une tierce personne, je peux prendre le temps de me poser des questions. Qu’est-ce qui a changé dans notre relation? Qu’est-ce que je ne lui amène peut-être pas ou plus? C’est aussi une occasion de réfléchir sur ses propres comportements. »

La jalousie constructive

Geneviève Beaulieu-Pelletier explique que lorsqu’on ressent de la jalousie (ou tout autre sentiment envahissant), il est recommandé de prendre le temps de se déposer et d’identifier ce que ça active en nous. Est-ce que ça évoque des souvenirs? Qu’est-ce que l’on sent dans son corps? Est-ce simplement des pensées ou pose-t-on des actions en ce sens?

«Nommer ses émotions, comme la jalousie, permet de désamorcer certaines pensées et de ne pas forcément agir dans ce sens-là»

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La psychologue croit que de nommer ses émotions permet de diminuer la charge qu’elles suscitent. Elle affirme également que d’avoir des pensées jalouses ne signifie pas forcément que l’on va agir. « L’idée est de normaliser l’émotion et de créer une prise sur celle-ci. Nommer ses émotions, comme la jalousie, permet de désamorcer certaines pensées et de ne pas forcément agir dans ce sens-là », ajoute-t-elle, en insistant bien sur le fait que la jalousie est un sentiment normal et adaptatif.

Pour conclure, Geneviève Beaulieu-Pelletier rappelle que, en amour comme en amitié, il est tout à fait sain de ressentir de l’attirance (à différents degrés) pour d’autres personnes et de souhaiter combler des besoins avec d’autres individus. « Quand c’est discuté dans la dyade d’amitié, on réalise parfois que cela ne remet pas obligatoirement la relation en question et qu’elle n’est pas forcément menacée. Ces discussions viendront peut-être même nourrir la relation. »