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Quoi faire quand on est victime de plagiat: le cas Joe Rocca

Incursion sur la très épineuse question du droit d'auteur en musique.

Par
Hugo Bastien
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La semaine passée dans une publication Facebook, le rappeur Joe Rocca a pointé des similitudes entre le refrain de sa chanson Commando et le titre Rien à Branler du rappeur français Lorenzo.

Difficile en effet d’écouter les deux titres sans noter une ressemblance dans les mélodies, et ce ne fut qu’une question de temps avant que les fans en appellent au plagiat.

Quelques jours plus tard, j’ai écrit à Joe Rocca pour recueillir ses impressions sur l’histoire. Suite à sa réponse très nuancée (« Fuck Lorenzo, on va le baiser »), il m’a ensuite redirigé vers son label qui s’est chargé de préciser sa pensée.

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Sans entrer dans les détails légaux, Jean-Christian Aubry, président de Make It Rain Records, m’a tout de même confirmé que selon eux, la chanson de Lorenzo représentait bien un vol de droit d’auteur.

Qu’il y ait poursuite ou non, on trouvait malgré tout que la situation était une belle occasion d’aborder la question épineuse du plagiat ainsi que les recours qui s’offrent aux artistes québécois pour s’en défendre.

Voici donc une brève incursion dans la zone grise du droit d’auteur.

Comment prouve-t-on le plagiat?

Pour bien comprendre le cas qui nous intéresse, Kerry Williams, avocat spécialisé en propriété intellectuelle, m’a expliqué au bout du fil le concept de la « partie substantielle ». En gros, c’est l’idée qu’il n’est pas nécessaire de copier entièrement une œuvre pour enfreindre le droit d’auteur, une petite partie suffit.

L’équivalent du « piquer, c’est voler », appliqué à la propriété intellectuelle plutôt qu’aux jujubes durs dans un dep : le vol d’une chanson, qu’il soit de 3 secondes, ou de 3 minutes, reste un vol. En ce sens, bien que Lorenzo n’ait copié que le refrain de « Commando », le geste pourrait quand même être considéré comme un vol aux yeux de la loi.

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L’autre chose sur laquelle Kerry Williams a insisté, c’est le concept de « l’originalité ».

Au Canada, une œuvre est protégée par le droit d’auteur à condition qu’elle soit « originale ». Afin de déterminer cette « originalité », on se base sur deux écoles de pensée.

Le vol d’une chanson, qu’il soit de 3 secondes, ou de 3 minutes, reste un vol. En ce sens, bien que Lorenzo n’ait copié que le refrain de « Commando », le geste pourrait quand même être considéré comme un vol aux yeux de la loi.

La première est celle qui considère qu’une certaine forme de créativité doit être présente dans la réutilisation d’une œuvre pour que cette nouvelle proposition soit considérée originale, et donc qu’elle soit protégée par le copyright.

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La deuxième est celle du sweat of the brow, qui fait plutôt valoir la charge de travail derrière la production avant la « créativité ». On reconnaît donc « le travail pour le travail », ce qui implique qu’un investissement considérable de temps et d’argent d’un auteur dans la « nouvelle » proposition peut suffire pour qu’elle soit considérée originale.

C’est donc la belle route de plaisir qu’attend Joe Rocca s’il décide de poursuivre Lorenzo : premièrement, prouver que son œuvre est originale, puis ensuite présenter en cour des preuves que la chanson de Lorenzo n’est pas créative, ou pas assez travaillée et donc « non originale ».

Ces preuves seront amenées par des musicologues de chacun des camps qui auront préalablement analysé différents éléments de la pièce (progression d’accords, mélodie, tempo, choix de gamme, rythmique, etc.) afin de faire pencher le jugement du côté de leur client lors du procès.

Choisir ses combats

Pas surprenant que les procès de droits d’auteurs soient si longs et ardus. Hautement subjectifs, ils deviennent souvent un marathon à savoir quel parti a le plus d’argent pour payer les experts qui appuieront son point de vue. En fait, c’est à se demander : « Est-ce que cela en vaut vraiment la peine? »

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« En effet, à quoi bon… » m’a répondu Guillaume Déziel, ancien gérant de Misteur Valaire, après que je l’aie contacté pour avoir son avis sur la question. Sa réponse n’est d’ailleurs pas surprenante, lui qui se dit « évangélistes des licences creative commons. »

Le creative commons, c’est cette licence créée par l’avocat Lawrence Lessig qui permet à l’artiste de choisir les droits qu’a le public sur son œuvre (diffusion, remix, reproduction, copie, etc.) offrant ainsi une alternative à la très restrictive licence « tous droits réservés ».

C’est une approche très moderne du droit d’auteur qui encourage le partage, tout en reconnaissant le statut « d’éponge » de l’artiste. L’art étant un mélange de plusieurs inspirations, points de vue et influences, le creative commons questionne « l’arrogance » derrière la pensée qu’une œuvre peut réellement être « originale ».

L’art étant un mélange de plusieurs inspirations, points de vue et influences, le creative commons questionne « l’arrogance » derrière la pensée qu’une œuvre peut réellement être « originale ».

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Après tout, la structure d’une chanson hip-hop est souvent si simple (drum + sample loopé + hook) qu’elle reste mathématiquement possible à reproduire par pur hasard. Dans le cas de Commando, on parle d’une mélodie de trois notes. À moins d’une preuve circonstancielle (Genre un vidéo de Lorenzo qui dit « CRISS DE BONNE TOUNE ON LA VOLE POUR L’ALBUM ») comment prouver que le hook de Lorenzo n’est pas un fruit du hasard…? Et quitte à se faire l’avocat du diable, le hip-hop n’a-t-il pas toujours surfé sur cette zone grise du semi « vol » d’idées, d’auto référencement et d’hommage?

Alors, maintenant on fait quoi avec tout ça? On se laisse voler parce que se défendre ne sert à rien? On va en cour pis on perd du temps et de l’argent? On fait quoi Guillaume?

« Moi ce que je dirais à Joe Rocca, c’est de mettre ses futures chansons sous une licence creative common. Comme ça s’il se fait copier, au moins l’artiste ne se sentira pas mal de lui faire un shoutout et ça lui fera de la pub. Nous avec Misteur Valaire on s’est fait copier plus de 60 000 fois et ça nous a permis d’aller faire des shows partout dans le monde. Le public nous connaissait déjà quand on arrivait pis on sauvait de l’argent sur la promo! »

Pis d’ici là, on fait quoi avec Lorenzo?

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« Si tu veux mon avis, ce que les deux devraient faire, c’est reprendre le beat en duo pis partager la notoriété. Ce serait carrément une entente à l’amiable… musicale! »

Faites la musique et non la guerre.

P.S. : Dans un texte sur le droit d’auteur, je m’en voudrais de ne pas citer mes sources.

Pour en apprendre plus sur l’originalité et le principe du sweat of the brow , cliquez ici et ici.

Pour en apprendre plus sur la licence creative commons, ça se passe sur le blogue de Guillaume Déziel.

Merci encore à Kerry Williams, de la firme Creative Legal pour les conseils. Pour en savoir plus sur ses services vous pouvez visiter

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