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Qui sont ces célibataires qui mentent sur leur âge sur les applications de rencontres
Tout commence un soir, sur une application de rencontres. Un peu blasée, je swipe à gauche, à gauche, à droite, à gauche, à droite. Un match.
Son nom commence par D, il vit à Montréal, il a 37 ans. En lisant le contenu de son profil un peu plus en profondeur, une information retient mon attention: « Mon profil dit que j’ai 37 ans, mais en fait, j’ai 40 ans. ».
On s’échange deux trois messages et il me propose qu’on apprenne à se connaître en se posant des questions à tour de rôle. Je saisis la balle au bond.
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« Déjouer les algorythmes (sic) »? Je suis intriguée et, déformation professionnelle oblige, je décide de creuser un peu, en omettant de répondre à sa question sur ce que j’ai appris sur moi pendant la pandémie.
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Je ne sais pas quoi penser de tout ça, mais mon premier réflexe est de lever les yeux très, très haut vers le ciel.
Homme cherche femme candide
Quelques jours plus tard, j’en parle à une amie célibataire autour d’un verre. Elle a sans doute déjà vu ce cas de figure lors de ses expériences sur les applis.
«Ark!, s’exclame-t-elle, sans trop de nuances. Personnellement, je trouve ça très manipulateur. Si je paramètre mon app pour voir des gens entre 25 et 35 ans, ce n’est pas pour que des dudes de 40 ans se mettent à «déjouer l’algorithme», voyons donc. En fait ce qui me dérange, c’est que je n’y vois qu’une seule motivation: se pogner des filles plus jeunes».
«je sais que plusieurs [hommes] apprécient le rapport de pouvoir qu’ils ressentent face à des femmes plus jeunes, plus naïves, plus candides»
Sur le coup, je ne peux m’empêcher d’être d’accord avec elle. Moi aussi, en parlant avec D, j’ai d’emblée perçu le mensonge, le non-respect des limites, la tromperie. Ayant moi-même fréquenté des hommes plus vieux pendant ma vingtaine (et ayant regardé beaucoup de vieux films français), je sais que plusieurs d’entre eux apprécient le rapport de pouvoir qu’ils ressentent face à des femmes plus jeunes, avec moins d’expérience de vie, plus… candides? C’est toute cette dynamique patriarcale que m’évoque le mensonge blanc de D.
Le lendemain, j’en parle à des collègues pour prendre leur pouls sur cette épineuse question et, à ma grande surprise, elles ne sont pas aussi catégoriques que mon amie vue la veille. « Ah je sais pas Laïma, il me semble que ça doit être plus complexe que juste vouloir coucher avec des filles plus jeunes, non? », me lance une première collègue dans la quarantaine. « Quand on dépasse la quarantaine, tout le rapport à l’âge dans le dating se complexifie, donc je ne sauterais pas si rapidement aux conclusions», ajoute une autre, du tac au tac. « J’ai vu ça quelques fois sur Hinge : le dude change son âge dans ses infos de base et mentionne son âge véritable dans ses “prompts”. Toutes les données sont là “pré-match” pour que je puisse prendre une décision éclairée à savoir si je like ou pas. Mais bon, c’est sûr que ceux qui exagèrent “polluent” l’expérience. Ça passe quand c’est 3-4 ans d’écart. Mais 10 ans, c’est non. Et si tu ne mentionnes pas le subterfuge dans ton profil, c’est non aussi » précise-t-elle.
Ce soir-là, je rentre à la maison, songeuse: qu’est-ce qui se cache derrière les profils de ceux et celles qui trichent sur leur âge?
Homme cherche femme tout court
«Si je mets mon vrai âge sur les applications de rencontres, je vois défiler beaucoup moins de personnes qui me correspondent, m’explique Joël*, qui approche la cinquantaine et qui a accepté de me donner son point de vue, sous le couvert de l’anonymat. Célibataire et sans enfant, Joël fréquente les applications et les sites de rencontres depuis maintenant plusieurs années. « J’ai eu plusieurs relations amoureuses significatives au fil des années, mais je n’ai jamais souhaité fonder une famille. Mon travail, mes ami.e.s, mes loisirs occupent une grande place dans ma vie et je m’en porte très bien. Je sors beaucoup, je vais beaucoup au cinéma, au théâtre, je vais voir des shows de musique, j’adore aller au resto. Ça me tient occupé et ça me stimule beaucoup».
«Quand j’ai eu dépassé 45 ans, j’ai pris conscience que je voyais de moins en moins passer des profils de femmes qui ont un mode de vie qui ressemble au mien»
En arrivant sur les applications de rencontres au début de sa quarantaine, Joël indiquait son âge véritable. Il rencontrait des femmes de la mi-trentaine à la jeune quarantaine, parfois maman, parfois non. « Pour moi, c’est une question d’affinités, de connexion, plus que d’âge. Mais je ne date pas non plus des femmes trop jeunes. Ce n’est pas mon genre, tient à préciser celui qui, à mon avis, paraît plus jeune que son âge. En effet, en le voyant, on ne lui donnerait pas presque cinquante ans et son mode de vie n’est pas non plus celui qu’on attribue traditionnellement à un homme de son âge.
«Quand j’ai eu dépassé 45 ans, j’ai pris conscience que je voyais de moins en moins passer des profils de femmes qui ont un mode de vie qui ressemble au mien, confie Joël, en pesant bien ses mots et conscient du caractère potentiellement délicat de ses affirmations. Je ne dis vraiment pas que les femmes ne sont plus intéressantes, bien au contraire et j’insiste là-dessus, mais c’est vraiment que la compatibilité sur le plan du mode de vie est moins là, en règle générale. J’ai donc fait le test de de retrancher quelques années à mon âge et ça a complètement changé le portrait des profils qui me sont présentés».
Joël n’est pas le seul utilisateur d’applications de rencontres à falsifier ses informations personnelles. Selon un sondage en ligne mené par Badoo en 2019, 57 % des utilisateur.trice.s d’applications de rencontre se disent prêt.e.s à magnifier la réalité, voire à cacher des informations importantes sur leur profil. En effet, 26 % d’entre eux.elles seraient prêt.e.s à s’inventer des passe-temps («oui, oui moi aussi j’adore la randonnée en montagne!»), 24 % mentiraient sur leur statut (oui, oui je suis en “couple ouvert”) et, enfin, 21% mentiraient sur leurs revenus réels.
Passé réglé et autres clichés
Quand je le challenge un peu sur ses pratiques, Joël affirme que son but n’est pas de cacher la vérité ad vitam æternam ou de mener qui que ce soit en bateau. «Je dis mon vrai âge assez rapidement si ça vient dans la conversation, assure celui qui se considère comme une personne transparente. J’en suis venu à me dire que quand on me rencontre dans la vraie vie, sans écran, sans photo, sans profil, on me donne presque toujours quelques années de moins. Donc je sais que c’est discutable, et j’ai des amies qui m’ont souvent challengé là-dessus, mais sur les app, je mets l’âge qu’on me donne dans la vraie vie. Dans un sens, c’est plus fidèle à ma personnalité et ça rapproche la dynamique virtuelle de ce que je vis dans la réalité».
«Je trouve que dans notre société, on a tendance à associer l’âge à un type de personne, à des étapes de vie, à une apparence physique spécifique»
Martine*, qui vient de souffler sa quarante-deuxième bougie, avoue avoir recours au même subterfuge. «Je vais être honnête avec toi, sur les applications de rencontres, je mets que j’ai 39 ans, admet-elle, un peu gênée. Je me suis rendu compte qu’il y a plein d’hommes qui règlent leurs paramètres d’âge à « 40 ans maximum ». Je trouve ça tellement aléatoire. Je ne vais pas mentir sur mon vrai âge si on me pose la question, mais ça m’aide à faire des rencontres de m’enlever ce petit 3 ans sur les applications, why not?».
Martine, qui utilise les applications de rencontres depuis quelques années, considère que l’âge est une donnée qui peut mettre des bâtons dans les roues de son célibat numérique. « Je trouve que dans notre société, on a tendance à associer l’âge à un type de personne, à des étapes de vie, à une apparence physique spécifique, croit celle dont le cœur est à prendre. J’ai 42 ans, j’ai pas d’enfant, j’ai un mode de vie très similaire à celui que j’avais quand j’avais 32 ans. J’ai réalisé que pour beaucoup d’hommes, une célibataire de 42 ans veut dire femme avec enfant en garde partagée et avec un passé non réglé » ajoute-t-elle en riant.
Au fil de la discussion, Martine développe naturellement une réflexion similaire à celle de Joël: si on la rencontre dans un bar ou dans une soirée, on suppose qu’elle a quelques années de moins que sur son permis de conduire. «C’est exactement ça, sur les appli, je mets l’âge que les gens pensent que j’ai. Je n’ai pas peur de vieillir, au contraire, mais je me bats contre la perception de ce que c’est, avoir plus de quarante ans. Ce n’est déjà pas évident de rencontrer des hommes passée quarante ans, donc si cette petite «tricherie» peut m’aider, je me dis “let’s go” », explique-t-elle.
C’est vrai que sur les applications et les sites de dating, l’âge est un critère central qui nous rapproche ou qui nous éloigne de faire des rencontres potentiellement intéressantes. Mais à l’extérieur de la sphère numérique, ce n’est pas forcément une donnée qu’on l’on prendra en compte d’emblée lorsqu’on fait une nouvelle rencontre
C’est vrai que sur les applications et les sites de dating, l’âge est un critère central qui nous rapproche ou qui nous éloigne de faire des rencontres potentiellement intéressantes. Mais à l’extérieur de la sphère numérique, ce n’est pas forcément une donnée qu’on l’on prendra en compte d’emblée lorsqu’on fait une nouvelle rencontre. Bien sûr, l’âge a son importante à un moment ou à un autre, mais, dans la «vraie vie», 4 ans de plus ou de moins de nous empêchera pas d’aller parler à la personne cute qui nous fait des yeux doux à l’autre bout du bar.
Chez Joël comme chez Martine, je n’ai perçu aucun désir de flouer qui que ce soit. Joël ne m’est pas apparu comme le cliché de l’homme d’âge mûr qui souhaite n’attirer que des jeunes femmes dans son lit et Martine n’est pas une quarantenaire qui n’assume pas de vieillir. Ce sont simplement des célibataires qui naviguent dans le monde paramétré et sans pitié des applications de rencontres en 2021.
Tout cela étant dit, Tinder, Hinge et autre Bumble ne sont pas des espaces à l’abri de personnes qui mentent de manière mal intentionnée. Mais dans certains cas, comme le chantait Marie-Mai: « La vie nous force parfois à faire des détours. Cacher la vérité en l’habillant de velours». À méditer.